Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

 

Liberté anticipée pour une personne condamnée à la prison.

 

 

 

          La possibilité de la libération conditionnelle de Michelle Martin et de son accueil comme hôte dans une communauté religieuse française a créé beaucoup de remous aussi bien en France qu'en Belgique. Le journal La Vie m'a posé toute une série de questions à ce sujet.  Je vais essayer d'y répondre d'une façon aussi objective que possible.

 

1) Liberté anticipée

 

          La loi prévoit qu'une personne condamnée à une peine de prison peut demander sa libération anticipée après avoir purgé un tiers de sa peine. On peut avoir des opinions diverses sur la sagesse de cette loi ; mais c'est actuellement la loi. Le raisonnement derrière cette loi est qu'à moins qu'une personne ne soit condamnée à l'emprisonnement à vie, il faut prévoir sa réinsertion dans la société.

 

          C'est donc la personne incarcérée elle-même, qui à travers ses conseillers légaux, doit faire la demande.  Il ne s'agit évidemment pas de personnes extérieures ni de groupes qui veulent la faire libérer.

 

          La décision de libérer cette personne avant qu'elle n'ait purgé l'entièreté de sa peine est prise par un tribunal spécial appelé le Tribunal d'application des peines.  C'est donc une décision de la Justice. Celle-ci doit évaluer un bon équilibre entre la protection de la société et la réinsertion de la personne incarcérée dans la société. La demande n'est évidemment pas acceptée automatiquement et je pense que dans tous les cas où les faits pour lesquelles la personne est incarcérée sont graves, cette demande est rejetée plusieurs fois avant d'être acceptée.

 

          Lorsque le Tribunal d'application des peines accepte la libération anticipée d'une personne détenue, il établit une liste de conditions qui devront être respectées.  C'est pourquoi on parle généralement de « libération conditionnelle ».

 

          Lorsqu'une personne détenue présente sa demande au Tribunal d'application des peines, elle doit préciser où et dans quelles conditions elle vivra durant les années qui lui restent de sa peine. Si un groupe ou une institution accepte de l'accueillir il appartiendra au Tribunal d'évaluer si cette situation est acceptable, c'est-à-dire si, dans cette situation la protection de la société et la possibilité de réinsertion de la personne condamnée dans la société seront toutes deux assurées. C'est le Tribunal et non le groupe d'accueil éventuel qui porte toute la responsabilité de cette décision.  Le Parquet peut d'ailleurs faire appel de la décision du Tribunal.

 

          Normalement c'est l'État qui devrait créer et gérer des institutions permettant aux petits et grands criminels de se réinsérer dans la société civile, soit après une libération anticipée, soit après avoir purgé l'entièreté de leur peine.   Comme il y a un manque criant de telles institutions, on fait en général appel à un groupe ayant démontré une certaine stabilité et ayant une structure qui semble permettre l'hébergement et le suivi de la personne libérée.  Encore une fois, c'est la responsabilité de la Justice de juger si le groupe en question peut remplir ce rôle, et le Tribunal déterminera ou approuvera les conditions précises dans lesquelles se fera cet accueil.

 

          Il n'est pas rare que l'on demande à une communauté religieuse d'accueillir une personne pour qu'elle puisse y terminer sa peine dans une situation de « libération conditionnelle ». La plupart du temps la communauté jugera que, pour de nombreuses raisons, cela n'est pas possible ou pas opportun.  Si la communauté accepte, elle accepte de rendre un service aussi bien à la société qu'à la personne concernée, avec qui elle n'a probablement jamais eu aucune relation.  Il serait vraiment injuste d'accuser cette communauté, qui prend un certain risque afin de rendre service, de vouloir protéger un criminel !

 

          Mettons-nous maintenant du côté de la communauté concernée.  Normalement la demande sera faite au supérieur ou à la supérieure de la communauté par une travailleuse sociale de la prison, ou par un conseiller de la personne incarcérée.  Dans la plupart des cas le supérieur ou la supérieure, connaissant sa communauté, jugera que ce n'est pas possible sans mettre la communauté en danger (ne fût-ce que comme objet d'un acharnement des médias), et la réponse sera négative.  Si le supérieur pense que sa communauté pourrait rendre ce service il prendra évidemment conseil de ses collaborateurs les plus immédiats et, s'il est prudent, consultera aussi des personnes extérieures.  Enfin, si cette première consultation oriente vers une réponse positive, il en parlera à toute la communauté qui dialoguera sur les modalités dans lesquelles cet accueil pourra être fait.  Autre chose est de donner l'accueil pour quelques jours à l'hôtellerie à une personne en difficulté (ce qui a toujours été une tradition d'hospitalité dans la tradition monastique) ; autre chose est d'accepter une personne comme hôte pour une période qui durera vraisemblablement un certain nombre d'années.  Une telle décision ne pourrait se prendre prudemment sans que toute la communauté soit impliquée.

 

          Dans ce discernement, la communauté doit prendre en considération d'abord sa capacité d'aider la personne concernée à se reconstituer humainement et spirituellement, l'accompagnant dans son cheminement.  Elle doit évidemment aussi prendre en considération l'impact que cet accueil pourra avoir sur les communautés environnantes et sur l'Église ; sans toutefois se laisser paralyser par les réactions négatives prévisibles des médias ou de l'opinion publique en général. 

 

          Il convient aussi d'insister sur le fait que ce discernement de la communauté part du postulat que la Justice, c'est-à-dire le Tribunal d'application des peines a jugé que la personne pouvait être libérée si on trouvait un endroit adéquat où elle pourrait purger le reste de sa peine dans une situation de « libération conditionnelle ».  La Commission porte seule la responsabilité de ce jugement, et non pas la communauté à qui on demande de rendre ce service et qui éventuellement accepte.

 

*     *     *

 

          Évidemment toutes les réflexions qui précèdent ont été suscitées par la possibilité que Michelle Martin obtienne prochainement sa libération anticipée et qu'elle soit accueillie dans une communauté religieuse française.

 

          Je connais évidemment, comme tout le monde, la gravité des faits pour lesquels Michelle Martin a été condamnée à trente ans de prison. Quelle a été son évolution personnelle au cours des années qu'elle a déjà purgées en prison, je n'en sais rien.  Je suppose que le Tribunal d'application des peines, qui a déjà refusé à diverses reprises dans le passé sa demande de libération anticipée et qui vient de la lui accorder a analysé en détail son comportement et son attitude actuelle.  Je ne suis pas à même de porter un jugement sur cette décision. J'ignore aussi, comme tout le monde, si le Parquet utilisera son droit de faire appel

 

          Étant donné la gravité des crimes commis par Michelle Martin, et la façon dont toute la société belge a été traumatisée par cette affreuse « affaire Dutroux », je comprends qu'il serait difficile à une communauté religieuse belge ou à toute autre institution belge de lui donner accueil.  Je comprends donc qu'on ait pensé à une institution française.

 

          J'ignore totalement quelle est cette communauté ; mais je suppose qu'elle a fait un sérieux discernement avant d'accepter.  Je prends aussi pour acquis que le Tribunal d'application des peines a rencontré les responsables de la communauté disposée à lui donner accueil et est arrivé à la conclusion que cette communauté offrait les conditions voulues à la fois pour préserver la population des dangers que pourrait encore représenter Michelle Martin et pour permettre à cette dernière de continuer son travail de reconstruction humaine et spirituelle.  Le Tribunal a certainement établi les conditions dans lesquelles se fera cet hébergement, et les modalités selon lesquelles il pourra lui-même suivre la situation.

 

          Il n'est pas du tout certain que cette libération anticipée ait lieu et que le gouvernement français accepte de recevoir Michelle Martin sur son territoire. Il est quand même important de bien répartir les responsabilités.

 

A) La pleine responsabilité de la décision de libération anticipée repose sur la justice belge, à savoir sur le Tribunal d'application des peines et sur le Parquet qui devra décider dans les prochaines heures de faire ou non appel de cette libération.

 

B) La seule responsabilité de la communauté accueillante est celle d'avoir accepté de rendre à Michelle Martin et aux autorités pénitentiaires belges un service en acceptant de donner hospitalité à la cette personne pour un certain nombre d'années.

 

C) Si le Tribunal d'application des peines a accepté de libérer Michelle Martin dans les circonstances mentionnées, c'est qu'il a jugé que la communauté religieuse en question offrait les garanties suffisantes et manifestait la capacité d'accompagner l'ex-détenue dans son vécu quotidien.  Il porte aussi la responsabilité de cette appréciation, tout comme il portera la responsabilité de suivre, de loin, l'évolution de la situation.

 

D) Il reste à la justice française le soin d'accepter ou de refuser, compte tenu des ententes européennes cette venue de Michelle Martin sur son territoire.

 

          Tout amalgame voulant assimiler l'accueil éventuel de Michelle Martin dans une communauté religieuse, dans les circonstances ci-dessus mentionnées,  à la volonté de vouloir protéger un pédophile relève de l'affabulation.

 

           

Armand VEILLEUX

 

Scourmont, le 13 mai 2011