Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Un jardin de roses

 

          Flannery O’Connor tient une place importante dans la littérature américaine du 20ème siècle. Née en Géorgie, l’un des états américains où l’esclavage dura longtemps, elle fut contemporaine de Martin Luther King.  Bien qu’elle-même de couleur blanche, elle a chanté, dans de nombreux récits, la misère et la beauté des populations du Sud. 

 

Dans un de ses récits, elle raconte comment les femmes de son pays, victimes d’oppressions de toutes sortes, de la part de leurs maîtres et souvent de leur mari, et ployant sous le poids du travail et de la pauvreté, préservaient dans leur vie un espace de sérénité et de santé psychologique, en entretenant toujours avec beaucoup d’amour, dans un coin de leur propriété, un jardin de roses. 

 

Ces humbles et fortes femmes vivaient sans doute sans le savoir ce qu’un autre grand poète de l’époque, T.S. Eliot, avait chanté dans son Four Quartets : « le moment dans le jardin de roses », comme un moment d’éternité.

 

La beauté qui sauvera le monde

 

          Un siècle plus tôt, dans son roman L’Idiot, Dostoievsky avait fait proclamer par le prince Michtine que ce serait la « beauté qui sauverait le monde ».  Et l’un des plus grands évêques de notre époque, Carlo María Martini, alors qu’il était archevêque de Milan, prit cette phrase comme thème de l’une de ses plus belles lettres pastorales, en l’an 2000.

 

          L’humanité vit des moments difficiles. Alors qu’un développement extraordinaire de la technologie aurait dû apporter prospérité à tous les peuples de la planète, la majorité des humains vivent encore dans une pauvreté aussi grande que celle du Sud américain du temps de Flannery O’Connor. Les maladies endémiques ne sont pas mieux contrôlées qu’il y a un siècle. Les guerres multiplient sur tous les continents au même rythme où se raréfient les réserves de pétrole.  Tout cela engendre des misères inouïes.

 

          Les milliers de femmes violées dans les guerres de l’Est du Congo ont vraiment besoin d’un jardin de roses pour continuer à vivre, tout comme les victimes du sida partout en l’Afrique, souvent sans accès aux médicaments.  Dans les grandes démocraties d’Occident où les ouvriers sont soudainement mis au chômage par dizaines de milliers, beaucoup de familles ont grandement besoin de jardins de roses.

 

           Dans l’Église, où les turpitudes de certains de ses membres sont mises à la lumière du jour, les victimes ont besoin d’un jardin de roses.  De même que ceux qui, tout en ayant vécu une longue vie au service des pauvres et des petits dans l’intégrité la plus totale, se voient assimilés en bloc par certains medias aux misérables abuseurs.

 

Dans cette même Église, beaucoup se sont appliqués avec toute leur énergie à faire passer dans leur vie personnelle et dans celle de leurs communautés les intuitions et les orientations de Vatican II. Eux aussi ont souvent besoin de retourner à leur jardin de roses pour ne pas se laisser attrister par plus d’une décision venue d’en haut.

 

 

Une fleur au fusil

 

          Quels sont ces jardins de roses ? Il y a sans doute parmi nous ceux qui ont la chance d’avoir un véritable jardin, fait de vraie terre, où ils peuvent eux-mêmes planter, arroser et voir croître de vraies roses.  Mais il existe aussi des poètes, comme Colette Nys Mazure, qui offrent aux lecteurs des bouquets de poèmes, que nous pouvons planter dans un coin secret du cœur.  Il y a des artistes comme Barbara et Mannick que Gabriel Ringlet a aidés à (re)découvrir.  Leurs chansons sont autant d’autres jardins dans d’autres coins du cœur. 

 

Dans un monde où il y a tant de laideurs, il y a aussi une dose étonnante de beauté qui est offerte à travers bien des gestes de tendresse, de pardon, de bonté dont est capable ce même monde. Autant de roses.

 

          Nul ne peut vivre sans un jardin de roses. Puisse-t-il y en avoir assez pour en mettre une dans le canon de chaque fusil de chaque soldat de tout l’univers.

 

Armand VEILLEUX