Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

VÉRITÉ

 

Une décennie de violence en Algérie a fait plus de 200.000 victimes. Rechercher la vérité dans le cas de la mort des moines de Tibhirine est un exercice de solidarité avec les familles des victimes algériennes.

 

Lutte contre l’impunité

 

Dans une lettre écrite de sa prison Dietrich Bonhoeffer disait à un ami qu’on n’a pas le droit de chanter le chant grégorien si l’on n’a pas dénoncé les horreurs du nazisme. De nos jours, le tribunal international de La Haye planche depuis des années sur quelques cas bien choisis de crimes contre l’humanité. Au même moment les grandes puissances se permettent de commettre fréquemment de tels crimes dans les conflits en cours, avec ce qui semble une totale immunité. Les appels d’organismes comme Amnistie Internationale sont devenus une sorte de musique d’arrière-fond de moins en moins dérangeante. Est-il permis aux croyants, plus que du temps de Bonhoeffer, de louer Dieu sans lutter contre cette impunité ?

 

Le 30 mai 1996, lorsque je me suis rendu à la résidence de l’archevêque d’Alger, en compagnie de l’abbé général de l’ordre cistercien, après avoir appris à l’aéroport la découverte des « restes » des moines de Tibhirine, nous y avons trouvé quelques personnes venues offrir leur sympathie à l’archevêque. L’une des premières à venir avait été l’épouse du président Boudiaf assassiné quatre ans auparavant. Aucune lumière n’avait été faite sur l’identité des responsables de cet assassinat, alors même que le président avait été abattu d’une rafale de mitrailleuse dans le dos en plein public.

 

 

Une décennie noire

 

La décennie noire en Algérie, à partir de l’arrêt du processus électoral et de l’imposition par les généraux d’une dictature militaire au début des années ’90 a fait plus de 200.000, sans compter environ 7000 disparus arrêtés pour la plupart par les forces de l’ordre.

 

Lorsque j’ai déposé plainte contre X, en 2003 avec les membres de la famille d’un des moines de Tibhirine, afin d’obtenir la vérité sur les circonstances de l’enlèvement et de l’assassinat des moines, l’une des raisons était précisément de faire en sorte que ne s’impose pas la règle de l’impunité des puissants. C’était aussi une démonstration de solidarité toutes les familles de ces milliers de victimes qui n’ont pas la possibilité d’exiger que lumière soit faite.

 

En effet, une première amnistie fut donnée par décret présidentiel en Algérie en 1997, dont le but était, selon beaucoup d’analystes, de permettre aux membres de l’armée qui avaient infiltré les groupes islamistes de revenir à la vie civile.  En 2006 une loi dite « d’amnistie et de réconciliation » non seulement interdisait toute démarche en vue de faire la vérité sur ces disparitions mais criminalisait les familles des victimes faisant un crime passible de plusieurs années de prison le simple fait de demander la lumière sur le sort des disparus, considérant que cela porterait atteinte aux institutions de la République et nuirait à l’honorabilité de ses agents.

 

 

Solidarité dans la recherche de la vérité

 

La volonté déterminée du juge d’instruction français Marc Trévidic de rechercher la vérité concernant la mort des moines de Tibhirine semble avoir encouragé plusieurs familles algériennes à continuer de demander justice, malgré le danger d’amendes et de prison. Récemment le fils du président Boudiaf, dont la mère avait été parmi les premières personnes à exprimer sa sympathie lors décès des moines, a eu le courage de demander publiquement, à plusieurs reprises que lumière soit faite sur les circonstances de l’assassinat de son père.

 

Dans ce contexte, la volonté du juge Trévidic d’aller poursuivre en Algérie l’enquête qu’il a si bien menée jusqu’ici en France, malgré les difficultés qui lui sont constamment faites, s’inscrit dans cette recherche collective de vérité pour l’ensemble du peuple algérien.  C’est aussi une façon de redonner courage à tous les Algériens qui ont perdu des leurs dans cette guerre civile, sans qu’ils aient pu connaître les circonstances de leur mort.

 

 

Armand VEILLEUX

 

Publié dans L'Appel, nº 345, mars 2012