Vie religieuse en général
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De l’impasse aux chemins de libération
[1]
C’est
en
1997,
un
peu
après
le
Synode
de
l’Église
universelle
sur
la
vie
consacrée
et
l’exhortation
post-synodale
Vita
consacrata, que Jean-Paul II instituait le 2 février,
fête
de
la
Présentation
de
Jésus
au
Temple,
comme
Journée de la vie consacrée. Il
donnait
à
cette
célébration
trois
motifs Le premier était de remercier Dieu pour le don
de
la
vie
consacrée,
qui
est
un
charisme
appartenant
non
pas
aux
religieux
et
religieuses
--
soit
individuellement,
soit
collectivement
en
tant
que
communautés
--
mais
à
l’Église,
c’est-à-dire
au
Peuple
de
Dieu. Le deuxième était de faire mieux connaître ce
charisme
à
l’ensemble
du
Peuple
de
Dieu,
y
compris
les
laïcs,
les
prêtres
et
les
évêques,
Enfin
le
troisième
était
de
donner
aux
personnes
consacrées
elles-mêmes
une
occasion
de
remercier
Dieu
de
leur
vocation
et
de
réfléchir
sur
ses
exigences
afin
de
découvrir
comment
mieux
l’incarner
dans
l’Église
et
la
Société
d’aujourd’hui. Se libérer de la peur de la mort Le
fait
que
cette
célébration
soit
fixée
au
jour
de
la
fête
de
la
Présentation
nous
invite
à
prendre
les
textes
liturgiques
de
la
messe
d’aujourd’hui
comme
point
de
départ
de
notre
réflexion.
J’aimerais
donc
m’arrêter
tout
d’abord
à
une
phrase
du
chapitre
2
de
la
Lettre
aux
Hébreux
(qui
est
l’un
des
deux
textes
proposés
par
le
lectionnaire
comme
première
lecture).
L’auteur
dit
que
Jésus,
ayant
partagé
notre
condition
humaine,
a
pu
« par
sa
mort
réduire
à
l’impuissance
celui
qui
possédait
le
pouvoir
de
la
mort »
et
qu’il
a
donc
« rendu
libres
ceux
qui,
par
crainte
de
la
mort,
passaient
toute
leur
vie
dans
une
situation
d’esclaves ». Cette
dernière
phrase
me
paraît
très
importante,
parce
qu’elle
peut
nous
aider
à
comprendre
le
sens
de
notre
vie
consacrée.
Il y a en
l’être
humain
une
peur
instinctive
de
la
mort
et
du
néant. Il y a donc aussi en tout être humain un désir
inné
d’échapper
à
la
mort
en
se
perpétuant. On peut se perpétuer au moins de trois façons :
1)
dans
des
fils
et
des
filles,
2)
dans
des
possessions
matérielles
ou
dans
des
empires
ou
encore
3)
dans
l’exercice
du
pouvoir. Lorsque l’être humain se laisse dominer par
cette
peur
et
par
ces
désirs,
il
perd
sa
liberté,
il
passe toute sa vie dans l’esclavage, comme dit l’auteur de cette Lettre
aux
Hébreux.
C’est
de
cet
esclavage
que
doivent
nous
préserver
–
ou
nous
libérer -- les
trois
engagements
fondamentaux
de
la
vie
consacrée.
Par
le
vœu
de
célibat,
nous
renonçons
à
nous
perpétuer
dans
des
enfants,
dans
une
descendance. Par le voeu de pauvreté nous renonçons à nous
perpétuer
dans
des
richesses
ou
des
empires
matériels.
Enfin, par le voeu d’obéissance nous renonçons
à
nous
laisser
dominer
par
notre
volonté
propre
et
à
créer
des
empires
politiques.
Cette
libération
de
l’esclavage
engendré
par
la
crainte
de
la
mort
et
du
néant
est
une
chose
à
laquelle
est
appelé
tout
Chrétien
et
même
tout
être
humain. Ce n’est pas l’exclusivité de ceux qu’on appelle
les
« Consacrés ».
Mais
ces
derniers,
en
s’engageant
par
les
voeux
que
je
viens
de
mentionner
(et
éventuellement
par
d’autres)
adoptent
un
mode
particulier
de
vie
afin
d’arriver
à
ce
but
ultime,
qui
est
celui
de
tous :
la
pleine
libération
de
tous
les
esclavages.
Cette
libération
n’est
cependant
pas
atteinte
simplement
du
fait
que
nous
nous
sommes
engagés
dans
cette
voix.
Elle
est
toujours
à
faire,
ou
plutôt
à
atteindre.
Nous
sommes
toujours
en
route
vers
elle.
Nos
voeux
et
les
autres
éléments
essentiels
de
notre
consécration
sont
simplement
autant
de
chemins
de
libération. Au delà de nos impasses
Vous avez probablement
été
un
peu
intrigués
par
le
titre
de
cette
conférence,
d’autant
plus
qu’au
premier
abord
il
ne
semble
avoir
rien
à
voir
avec
la
vie
consacrée.
Aussi il sera sans doute utile d’expliquer un
peu
le
sens
de
chaque
mot
de
ce
titre
avant
d’aller
plus
loin.. Le
plus
important
de
ces
mots
est
le
dernier :
« libération ».
Je
viens
d’expliquer
comment
il
nous
est
suggéré
par
la
lecture
de
la
Lettre
aux
Hébreux.
Mais
nous
le
retrouvons
aussi
dans
l’Évangile
d’aujourd’hui.
Lorsque
Jésus
est
présenté
au
Temple
par
ses
parents,
la
prophétesse
Anne
proclame
les
louanges
de
Dieu
et
parle
de
l’enfant
« à
tous
ceux
qui
attendaient
la
libération
de
Jérusalem ».
Cet
enfant
est
venu
dans
un
but
de
libération.
Une
vie
à
sa
suite
sera
donc
nécessairement
orientée
vers
la
libération.
Le
second
mot
important
du
titre
est
« chemins ». Je viens d’utiliser (dans la phrase précédente)
l’expression
« vie
à
la
suite »
du
Christ
ce
qui
est
une
expression
qui
revient
souvent
dans
l’Instruction
Perfectae caritatis de Vatican II sur la
vie
consacrée.
Celle-ci
y
est
en
effet
présentée
comme
un
sequela
Christi.
Et
puis
il
y
a
le
mot
« impasse ».
C’est
sans
doute
celui
qui
demande
le
plus
d’explication. Une impasse est une situation qui semble sans
issue.
C’est
un
problème
qu’on
ne
peut
contourner,
mais
qu’on
ne
peut
ignorer.
Un
problème
auquel
il
n’y
a
aucune
solution
rationnelle
suffisante. Une caractéristique d’une telle situation est
que
plus
on
y
applique
des
solutions
qui
nous
semblent
« rationnelles »,
plus
la
situation
d’aggrave. Dans la vie spirituelle c’est la situation que
le
grand
mystique
Jean
de
la
Croix
appelle
la
« Nuit
Obscure ».
Dans
la
Nuit
Obscure,
ce
n’est
qu’après
l’acceptation
totale
et
humble
de
notre
impuissance
que
nous
découvrons
une
lumière
cachée
qui
nous
permet
de
voir
clair
à
la
fois
en
notre
propre
coeur
et
dans
le
coeur
de
Dieu. C’est dans cette vision de foi qu’une révélation
peut
nous
être
donnée
sur
chacune
des
situations
que
nous
vivons.
À
travers
chacune
de
ces
situations,
Dieu
a
un
message
à
nous
transmettre. Il est alors plus urgent de nous efforcer de
percevoir
ce
message
que
de
nous
agiter
à
trouver
des
réponses
humaines
logiques
à
des
situations
qui
sont
elles-mêmes
des
messages
de
Dieu. Hier,
dans
le
cadre
de
la
Fête
de
l’Université,
à
Louvain-la-Neuve,
l’un
des
docteurs
honoris
causa
du
jour,
Bertrand
Picard
–
qui
a
réalisé
le
premier
tour
du
monde
en
ballon,
sans
escale
–
expliquait
comment
lorsqu’on
se
trouve
dans
une
situation
sur
laquelle
on
n’a
aucun
contrôle
–
comme
par
exemple
le
manque
total
de
vent
ou
un
vent
d’une
extrême
violence
--
la
décision
la
plus
sage
est
souvent
celle
de
décider
consciemment
et
lucidement
de
ne
rien
faire
et
d’obéir
aux
circonstances
qui
nous
sont
imposées,
y
coopérant
activement
quand
c’est
possible. Il en est souvent de même dans la vie spirituelle.
L’une
des
formes
les
plus
difficiles
et
les
plus
fructueuses
de
l’obéissance
est
ce
qu’on
pourrait
appeler
l’obéissance
à
la
réalité. Nous nous trouvons souvent dans des situations
que
nous
ne
pouvons
pas
changer.
Il
faut
alors
nous
laisser
changer
par
la
situation. Pour
expliquer
ce
que
je
considère
comme
des
situations
d’impasse,
le
mieux
serait
peut-être
de
prendre
quelques
exemples
bibliques,
qui
peuvent
être
considérés
comme
des
paradigmes
de
vie
humaine
et
de
vie
chrétienne.
Impasse
de
Moîse Commençons
par
Moïse.
Sauvé
des
eaux
par
la
fille
du
Pharaon
il
a
été
élevé
à
la
cour
égyptienne
et
était
probablement
destiné
à
de
hautes
fonctions
dans
l’administration
du
pays. Mais voici qu’un jour il fait un geste qui ne
devait
pas
avoir
de
grandes
conséquences
mais
qui
changea
le
cours
de
sa
vie.
(Si
nous
considérons
nos
propres
vies,
nous
verrons
qu’il
y
a
assez
souvent
de
ces
gestes
qui
semblent
sans
conséquence,
et
que
nous
posons
par
simple
fidélité
soit
à
notre
conscience
soit
à
nos
engagements
et
qui
engagent
donc
tout
notre
être,
et
qui
finalement
changent
profondément
le
cours
de
notre
vie).
Moïse retourne vers les siens et voyant l’un
d’entre
eux
victime
de
l’oppression,
il
prend
sa
défense
et
tue
son
agresseur.
La
chose
est
connue
et
il
doit
fuir.
À
environ
quarante
ans,
il
doit
repartir
à
zéro.
Il
est
dans
une
impasse.
Il
est
donc
mûr
pour
entendre
une
parole
de
libération.
Un
jour
il
s’enfonce
plus
loin
dans
la
solitude
–
la
solitude
du
désert
mais
aussi
celle
de
son
impasse.
Alors
un
buisson
comme
tous
les
autres
devient
un
buisson
ardent
et
il
reçoit
le
message
que
Dieu
veut
l’utiliser
pour
libérer
son
peuple.
(Noter
déjà
le
lien
entre
impasse
et
libération).
Il
pourra
travailler
à
la
libération
des
autres
parce
qu’il
est
lui-même
libre,
ayant
tout
perdu
et
n’ayant
rien
à
défendre. Il pose alors à Dieu deux questions importantes
et
complémentaires :
« Qui
es-tu ? »
et
« Qui
suis-je ».
À la question « Qui es-tu ? »
Dieu
répond
de
façon
fort
mystérieuse :
« Je
suis
celui
qui
suis »
et
à
la
question :
« Qui
suis-je
pour
accomplir
une
telle
tâche ? »
il
ne
reçoit
pas
de
réponse,
mais
tout
simplement
la
promesse :
« Je
serai
avec
toi ». C’est tout ce qui compte. On pourrait aussi traduire (au présent) « Je
suis
avec
toi »
et
comprendre
cette
affirmation
comme
une
véritable
réponse
à
la
question
« Qui
suis-je »,
impliquant
une
participation
à
la
vie
divine.
Fort
de
cette
parole,
Moïse
conduira
son
peuple
à
travers
la
longue
impasse
du
désert,
vers
la
terre
promise
dans
laquelle
lui-même
ne
pénètrera
pas. Impasse
d’Élie Élie est un ardent prophète de Yahvé.
Fort
de
la
parole
divine,
il
s’adresse
sans
peur
et
même
avec
violence
au
peuple
et
aux
rois. Un jour, après avoir mis au défi les prêtres
de
Baal,
et
après
avoir
par
son
intercession
fait
descendre
le
feu
du
ciel
sur
l’autel
du
sacrifice,
il
conduit
ces
prêtres
près
du
torrent
et
les
égorges
tous
–
un
total
de
450 !
–
de
sa
propre
main. Mais alors il apprend que la reine Jézabel veut
le
faire
mourir.
Il
n’a
plus
de
parole
divine
dans
sa
bouche.
Il
a
peur. C’est le grand tournant de sa vie. Il se rend compte que, sans la parole de Dieu,
il
est
un
peureux
comme
tous
les
autres
hommes.
C’est
son
impasse. Après plusieurs jours de marche dans le désert,
il
est
découragé.
Il
se
jette
par
terre
et
dit
à
Dieu.
« C’est
assez,
je
n’en
puis
plus. Je ne suis pas meilleurs que mes pères. Prends ma vie ». Dieu ne prend pas sa vie mais lui envoie son
messager
qui
lui
donne
tout
juste
la
nourriture
et
le
breuvage
dont
il
a
besoin
pour
continuer
son
pèlerinage
vers
la
montagne
de
Dieu,
l’Horeb
(refaisant
à
rebours
le
parcours
de
l’Exode).
Et
là
dans
le
creux
de
la
grotte
–
matrice
où
il
sera
de
nouveau
engendré
–
il
fait
une
expérience
de
Dieu
qui
le
transforme
profondément. Dieu se manifeste non pas dans tous les éléments
qui
représentent
ce
qu’Élie
était
auparavant
–
le
vent
violent,
la
foudre,
les
tremblements
de
terre
–
mais
dans
une
brise
légère. Élie ne sera plus le même après cette expérience
profonde
de
Dieu
au-delà
de
son
impasse.
Impasse
de
Job Job est une personne privilégiée par
Dieu
et
par
la
vie.
Il
possède
tout
ce
en
quoi
un
homme
trouve
d’ordinaire
son
identité
et
sa
sécurité.
Il
a
un
statut
social
enviable
et
un
rôle
reconnu
au
sein
du
peuple
de
Dieu.
Il
a
une
épouse
et
de
nombreux
enfants.
Il
possède
aussi
une
fortune
matérielle
considérable,
avec
esclaves
et
serviteurs,
aussi
bien
qu’une
bonne
santé
et
des
amis.
Un
jour
vient
où
il
perd
tout
cela,
y
compris
la
compréhension
de
son
épouse
et
de
ses
amis.
C’est
l’impasse
totale. Mais alors Job fait cette expérience extraordinaire
que
sans
rien
de
ce
qui
faisait
auparavant
toute
sa
vie,
il
existe
toujours.
Il
vit.
N’ayant plus rien à perdre (une situation extraordinaire
dans
la
vie !)
il
est
libre. Il peut alors se tenir debout et parler très
fort
à
Dieu.
Au-delà
de
l’impasse,
il
a
connu
la
libération,
et
une
fois
libéré
il
peut
retrouver
sans
perdre
sa
liberté
tout
ce
qu’il
a
perdu.
Il
est
tout
simplement
Job,
toujours
la
même
personne,
qui
avait
beaucoup
de
choses,
qui
les
a
toutes
perdues
puis
les
a
retrouvées ;
et
qui
est
demeuré
à
travers
tout
cela
la
même
personne. Impasse de l’enfant prodigue Un autre
exemple
de
réaction
devant
l’impasse
qui
conduit
à
la
vie,
c’est
celui
de
l’enfant
prodigue.
Il
était
fils
d’un
père
aimant.
Il
avait
connu
une
existence
agréable
au
sein
d’une
famille
aisée,
au
milieu
de
grandes
possessions
et
de
nombreux
serviteurs.
Mais
il
a
voulu
« faire
sa
vie »,
avoir
une
existence
autonome,
loin
de
cet
environnement
protégé,
et
son
père
accepta
de
lui
laisser
avoir
dès
son
vivant
sa
part
d’héritage.
Ayant
tout
dépensé
il
se
retrouve
sans
ressources
et
sans
amis,
dans
la
misère
et
la
faim. Dans ce moment d’impasse il est finalement ramené
à
lui-même ;
à
son
véritable
moi,
au-delà
de
tous
les
ego. Il se dit : « Je me lèverai et j’irai
vers
mon
père ».
Même
s’il
ne
désire
qu’être
serviteur
et
avoir
de
quoi
manger,
il
est
rétabli
par
le
père
dans
sa
qualité
de
fils.
Impasse du Jeune Homme riche
Dans
la
parabole
du
jeune
homme
riche,
l’histoire
se
termine
différemment.
Cet homme est une excellente personne. Un vrai bon religieux ! Il désire sincèrement
la
vie
éternelle.
Jésus
le
regarde
et
l’aime.
Puis
il
l’appelle
à
une
nouvelle
étape
de
croissance,
qui
implique
un
détachement
radical
de
tout
ce
qui
a
fait
sa
richesse
jusque
là.
Il
rencontre
ce
genre
d’impasse
que
nous
rencontrons
chaque
fois
que
nous
sommes
confrontés
à
la
possibilité
d’accéder
à
un
nouveau
degré
de
croissance
humaine
et
spirituelle.
Malgré
toute
sa
qualité
humaine
et
spirituelle,
il
n’a
pas
le
courage
de
faire
ce
détachement. Et il repart tout triste, de cette tristesse
qui
résulte
toujours
du
refus
de
passer
à
une
nouvelle
vie,
du
refus
de
la
croissance. La conversion Dans chacun
de
ces
exemples,
qui
pourraient
évidemment
faire
l’objet
d’une
plus
longue
méditation,
il
s’agit
de
ce
qu’on
nomme
en
langage
chrétien
la
conversion.
Celle-ci,
comme
on
le
sait,
est
à
la
base
du
message
chrétien.
Dans
l’Évangile,
lorsque
Jean-Baptiste
commence
son
ministère
sur
les
bords
du
Jourdain,
son
premier
message
est :
« Convertissez-vous ! » ;
et
lorsque
Jésus,
après
avoir
été
baptisé
par
Jean,
commence
son
propre
ministère,
ses
premiers
mots
sont
aussi :
« Convertissez-vous ! ».
La
conversion
à
laquelle
nous
appelle
l’Évangile
et
à
laquelle
nous
confronte
chacune
des
impasses
que
nous
rencontrons
au
long
de
notre
vie,
n’est
pas
un
simple
changement
de
comportement
ou
d’attitude. Elle est une mort à soi-même et une résurrection
à
un
moi
un
peu
plus
conforme
à
l’image
du
Christ.
Pour
cela
il
faut
sans
cesse
nous
laisser
transpercer
par
le
glaive
de
la
Parole
de
Dieu
qui
opère
en
nous
une
ouverture
à
l’action
de
l’Esprit
Saint,
comme
le
vieillard
Siméon
l’avait
prédit
à
Marie.
Et
cela
nous
ramène
au
thème
de
la
fête
d’aujourd’hui. Récit de la Présentation Toutes les
réflexions
qui
précèdent
m’ont
été
inspirées
par
le
texte
de
la
Lettre
aux
Hébreux.
Je
vous
invite
maintenant
à
considérer
un
peu
le
texte
de
l’Évangile
qui
est
celui
de
Luc.
Nous
pourrions
nous
arrêter
simplement
au
geste
de
la
présentation
de
Jésus
par
sa
mère
et
y
voir
un
beau
symbole
de
notre
propre
consécration
à
Dieu. Mais faire ainsi serait passer
à
côté
de
toute
la
richesse
de
ce
texte
de
Luc. Luc est un excellent écrivain ;
et
les
deux
premiers
chapitres
de
son
Évangile,
qui
ne
sont
qu’en
apparence
des
récits
de
l’Enfance
de
Jésus,
nous
présentent
en
réalité,
d’une
façon
symbolique,
tous
les
grands
thèmes
de
son
Évangile. Dans le premier chapitre, il met en présence
la
nouvelle
et
l’ancienne
Alliance,
représentées
par
Jean-Baptiste
et
Jésus,
qui
se
rencontrent
déjà
alors
qu’ils
sont
encore
dans
le
sein
de
leurs
mères
respectives.
Puis
le
deuxième
chapitre
nous
offre
le
récit
de
trois
présentations de Jésus. C’est d’abord Marie qui ayant donné
naissance
au
Premier
Né
nous
l’offre
déjà
comme
nourriture
dans
une
mangeoire.
C’est
le
Premier
Né
par
excellence,
le
Premier
Né
du
Père
Éternel,
le
Premier
Né
d’une
multitude
de
frères,
qui
sera
aussi
le
Premier
Né
d’entre
les
morts.
C’est
dans
cette
mangeoire
qu’elle
le
présentera
aux
Bergers
des
montagnes
environnantes.
En
effet
Luc
ne
mentionne
pas
la
visite
des
Mages
avec
leurs
somptueux
présents,
mais
bien
celle
d’humbles
bergers
représentant
tous
les
petits
de
ce
monde.
Puis
il
y
aura
dans
ce
même
chapitre
deux
de
Luc
une
troisième
présentation :
celle
que
Jésus
fera
de
lui-même
au
Temple,
lorsqu’il
aura
douze
ans. Dans la
présentation
d’aujourd’hui
il
y
a
deux
couples
de
personnes
en
présence,
avec
Jésus
au
centre :
D’une
part
le
jeune
couple
constitué
par
Marie
et
Joseph
et,
d’autre
part
les
deux
vieillards,
Siméon
et
Anne. Ces deux
derniers
expriment
bien
la
situation
d’impasse
dans
laquelle
se
trouvait
le
Peuple
d’Israël.
Depuis
longtemps
il
n’y
avait
plus
de
véritable
prophète.
Israël
était
occupé
par
les
Romains. Il y avait bien eu la révolte de Judas Macchabée ;
mais
ses
descendants
s’étaient
inféodés
au
pouvoir
étranger.
Beaucoup
parmi
les
plus
profondément
religieux
des
Juifs,
en
particulier
les
anawim,
les
« pauvres
de
Yahvé »,
s’étaient
alors
retirés
au
désert.
Ils
ne
reconnaissaient
plus
la
légitimité
du
culte
du
Temple
et
attendaient
la
venue
du
Messie.
C’est
dans
leurs
milieux
qu’étaient
nées
la
secte
des
Pharisiens
et
celle
des
Esséniens. Que faire
dans
une
telle
situation,
sinon
attendre
dans
la
fidélité
et
l’espérance :
Siméon
était
un
juste
et
attendait
la
Consolation
d’Israël.
Anne,
de
même,
servait
Dieu
dans
le
jeûne
et
la
prière.
Tous
deux
ne
pouvaient
rien
faire :
Ils
vivaient
dans
l’attente
qui
est
espérance.
L’esprit
Saint
était
sur
eux.
Ils
purent
donc
reconnaître
le
Messie. Mais cela
créa
une
situation
d’impasse
pour
Marie
et
Joseph. Ils s’étonnaient de tout ce qu’on disait de
l’enfant
–
Il
n’y
avait
rien
qu’ils
puissent
faire,
sinon
conserver
tous
ces
événements
dans
leur
cœur
et
les
méditer.
Ce
sera
la
même
chose
le
jour
de
la
« fugue »
de
Jésus
à
l’âge
de
12
ans.
Marie ne comprit pas, mais elle garda tout dans
son
coeur. Impasse de la société L’attitude
de
Siméon
et
Anne
impliquait
un
changement
de
société.
Ils
attendaient
la
libération
de
Jérusalem
et
d’Israël,
dans
tous
les
sens
du
mot. C’est la même attente qu’on retrouve exprimée
avec
force
–
et
même
avec
une
sainte
violence
–
dans
le
Cantique
de
Marie :
« Il
renverse
les
puissants
de
leurs
trônes,
Il
élève
les
humbles ;
il
comble
de
bien
les
affamés,
renvoie
les
riches
les
mains
vides... » Nous vivons
aussi
de
nos
jours
dans
un
monde
rempli
de
violence,
de
haine
et
d’oppression
–
aussi
bien
l’oppression
des
guerres
que
celle,
structurelle,
des
disparités
économiques
et
sociales.
L’humanité
tout
entière
se
trouve
confrontée
à
une
impasse
d’une
gravité
insoupçonnée.
Une
certaine
forme
de
mondialisation
économique
impose
un
système
néolibéral,
profondément
injuste
et
inique
à
tous
les
pays
de
la
planète.
Ce
système
se
caractérise
par
le
fait
que
toutes
les
valeurs
humaines
de
quelque
ordre
que
ce
soit
sont
conditionnées
par
les
lois
de
l’économie
et
du
marché.
Partout
où
elle
s’installe
cette
économie
crée
des
disparités
énormes
entre
les
riches
et
les
pauvres,
rendant
les
uns
et
les
autres
prisonniers,
les
uns
de
leur
pauvreté,
les
autres
de
leur
richesse.
Si
le
religieux
(ou
la
religieuse)
a
été
libéré(e)
par
Dieu
–
ou
en
tout
cas
est
sur
une
voie
de
libération,
c’est
pour
qu’il/elle
travaille
à
la
libération
des
autres. Il/elle est appelé(e) à travailler à la libération
tout
d’abord
spirituelle
de
ses
frères
et
sœurs,
mais
aussi
à
leur
libération
économique
et
politique.
La
conversion
personnelle,
si
elle
est
vraie,
doit
conduire
à
une
conversion
des
structures
injustes
de
la
société
Ceux
qui
ont
choisi
de
vivre
une
vie
dite
« consacrée »
doivent
travailler
de
toutes
leurs
forces
non
seulement
à
leur
propre
libération,
mais
aussi
à
celle
des
riches
(esclaves
de
la
peur
de
la
mort)
aussi
bien
que
des
pauvres. Les impasses de l’Église Oui, l’Église
elle-même
se
trouve,
de
nos
jours,
surtout
dans
nos
pays
de
vieilles
chrétientés
d’Europe
occidentale,
dans
une
situation
d’impasse. Il serait facile de réciter une longue litanie
de
choses
qui
ne
vont
plus,
à
tous
les
niveaux.
Mais
au
lieu
de
voir
tout
cela
de
façon
négative
et
défaitiste,
ne
peut-on
pas
y
voir
une
situation
de
« Nuit
Obscure »
devant
faire
déboucher
notre
Église
sur
une
nouvelle
phase
de
croissance
et
de
maturité ?
Toute
situation
d’impasse
étant
un
appel
à
la
conversion,
la
perte
de
visibilité
et
de
puissance
que
connaît
l’Église,
à
travers
la
diminution
du
nombre
de
ses
ministres
et
la
baisse
de
la
pratique
religieuse,
ne
pourrait-elle
pas
être
vue
comme
un
appel
du
Seigneur
à
un
style
de
vie
ecclésiale
plus
humble,
pauvre
et
sans
pouvoir ?
Durant
plusieurs
siècles
l’Église
a
exercé
sur
la
société
une
profonde
influence
dans
tous
les
domaines.
Cette
période
de
« Chrétienté »
n’a
pas
été
sans
grandeur
et
sans
effets
bénéfiques
pour
l’Évangélisation.
Elle
a
aussi
connu
ses
limites
et,
de
toute
façon,
elle
est
terminée. La grâce de l’impasse actuelle est peut-être
de
ramener
l’Église
à
ce
qu’elle
fut
dans
ses
débuts :
un
petit
troupeau,
un
levain
vigoureux
dans
la
pâte
de
l’humanité.
Car
l’Église
n’existe
pas
pour
elle-même.
Elle
existe
pour
le
monde.
Dieu
a
tant
aimé
le
monde
qu’il
lui
a
envoyé
son
Fils
Unique. À ce monde qu’il a tant aimé, même si celui-ci
ne
l’a
pas
reçu,
le
Christ
a
envoyé
tous
ses
fidèles. L’Église n’est pas la communauté d’une petite
partie
de
l’humanité
ayant
le
privilège
d’être
sauvée,
ou
en
tout
cas
appelée
au
salut.
Elle
est
la
communauté
de
ceux
qui
ont
reçu
la
mission
de
témoigner
dans
leur
vie
du
salut
auquel
tous,
sans
exception,
sont
conviés.
L’Église
est
nécessairement
visible,
mais
elle
n’a
pas
à
se
préoccuper
de
« sa »
visibilité ;
elle
doit
se
préoccuper
de
la
visibilité
du
salut.
Qu’est-ce que le salut ? C’est la participation
à
la
vie
divine.
Or
la
vie
divine
est
essentiellement
une
vie
de
communion
:
communion
entre
le
Père
et
le
Fils
dans
un
même
Amour,
au
sein
de
la
Trinité.
Cette
communion
a
été
communiquée
à
l’humanité
à
travers
Jésus
de
Nazareth,
pleinement
divin
et
pleinement
humain.
Elle
nous
est
offerte
à
tous
comme
un
don
et
une
mission.
C’est
la
mission
fondamentale
de
tous
ceux
qui
croient
au
Christ
non
seulement
de
vivre
cette
communion
mais
de
la
rendre
visible
en
la vivant. L’espoir fondamental des consacrés
–
et
aussi
de
tous
les
Chrétiens
--
à
l’égard
du
monde
c’est,
me
semble-t-il,
de
lui
donner
et
de
lui
redonner
l’espérance,
surtout
à
notre
époque
où
tant
d’espoirs
ont
été
trahis.
Dans un monde comme celui où nous vivons, où
il
y
a
tant
de
guerres
et
de
violence
;
dans
un
monde
où
de
prétendus
philosophes
prônent
la
lutte
entre
les
cultures
et
les
civilisations,
dans
un
monde
où
l’on
écrase
des
peuples
pour
leur
infuser
de
force
ce
qu’on
prétend
être
la
démocratie,
dans
un
monde
où
les
mêmes
pouvoirs
qui
ont
mis
sur
pied
des
machines
de
mort
se
votent
ou
se
font
voter
par
des
référendums
téléguidés
des
autoamnisties,
les
Chrétiens
doivent
s’efforcer
de
nourrir
l’espérance
en
semant
des
espoirs
de
communion,
en
vivant
eux-mêmes
cette
communion
à
tous
les
niveaux
–
Communion
avec
Dieu,
communion
entre
les
humains,
entre
les
peuples,
les
cultures
et
les
religions,
communion
aussi
avec
le
cosmos. L’impasse dans nos communautés religieuses De même
que
pour
l’Église
en
général,
il
serait
facile
d’énumérer
sur
un
ton
défaitiste
et
triste
tout
ce
qui
ne
va
pas
dans
nos
communautés
religieuses. Mais n’est-il pas plus évangélique d’y voir
une
« Nuit
Obscure »
devant
déboucher
sur
une
lumière
nouvelle
si
nous
acceptons
de
passer
par
la
voie
de
conversion
et
donc
de
libération
dans
laquelle
elle
nous
a
fait
entrer
collectivement. Nous vivons
une
crise
d’identité.
Ce
disant,
j’emploie
le
mot
« crise »
dans
son
sens
original
et
profond,
désignant
une
situation
où
un
discernement,
une
décision
éclairée
s’impose.
Cette
crise
d’identité
s’exprime
de
bien
des
façons.
Une de nos
pauvretés,
de
nos
jours,
est
précisément
que
nous
n’avons
même
pas
un
nom
qui
décrive
adéquatement
notre
charisme.
Avant
Vatican
II
on
parlait
couramment
de
« vie
religieuse » ;
mais
plusieurs
remirent
en
question
cette
appellation,
puisque
toute
personne
est
appelée
à
pratiquer
la
vertu
de
religion
et
donc
à
vivre
une
vie
« religieuse ».
Même
si
les
textes
du
Concile
utilisent
encore
cette
expression,
ils
commencent
aussi
à
utiliser
celle
de
« vie
selon
les
Conseil
évangéliques »,
ou
encore
de
« sequela
Christi »
ou
« vie
à
la
suite
du
Christ ».
Mais la vie de tout disciple du Christ est une
vie
à
sa
suite.
Et
le
Concile
a
aussi
rappelé
que
tout
Chrétien
est
appelé
à
vivre,
chacun
à
sa
façon,
ce
qu’on
appelle
les
« conseils
évangéliques ».
Depuis
le
dernier
synode
sur
la
vie
religieuse,
on
parle
de
préférence
de
« vie
consacrée ».
Même
si
nous
savons
ce
qu’on
veut
dire
par
cette
expression
nous
ne
pouvons
pas
ignorer
ou
oublier
que
tout
chrétien
est
« consacré »
à
Dieu
par
son
baptême
et
sa
confirmation.
On
a
parlé
aussi
d’état
de
perfection,
mais
Vatican
II
s’est
souvenu
que
Dieu
avait
appelé
tous
ses
disciples
(et
non
seulement
quelques
privilégiés)
à
être
parfaits
comme
leur
Père
céleste
est
parfait.
C’est
plutôt
avec
humour
que
je
rapporte
ces
difficultés
linguistiques,
même
si
de
savants
livres
et
articles
ont
été
écrits
sur
ces
questions. Je crois que par toute cette évolution du langage,
Dieu
qui
–
heureusement
pour
nous
–
a
un
merveilleux
sens
d’humour
veut
nous
rappeler
que
ce
qui
est
le
plus
essentiel
dans
notre
vie
de
consacrés
est
ce
que
nous
avons
en
commun
avec
l’ensemble
des
Chrétiens ;
et
que
ce
qui
nous
distingue
d’eux
reste
secondaire,
tout
en
étant
d’une
très
grande
importance,
puisque
c’est
notre
charisme
propre.
Mais,
justement,
au
moment
où
nous
pensions
pouvoir
nous
rassurer
en
nous
rappelant
que
nous
avons
un
charisme
propre,
une
spiritualité
propre,
voici
que,
tout
à
coup,
de
nos
jours,
dans
presque
tous
les
Instituts
de
vie
consacrée
des
laïcs
veulent
participer
non
seulement
aux
activités
de
la
communauté,
mais
à
sa
spiritualité
et
à
son
charisme.
Là
aussi
il
y
a
un
appel
à
la
libération.
Être
assez
libres
pour
laisser
à
l’Esprit
la
liberté
(!)
de
susciter
à
notre
propre
charisme
des
formes
d’expression
auxquelles
nous
n’aurions
jamais
pensé.
« Si
quelqu’un
veut
venir
à
ma
suite,
qu’il
se
renonce
à
lui-même...
et
prenne
sa
croix
et
qu’il
me
suive... ».
C’était
déjà
en
quelque
sorte
le
message
de
Siméon
à
Marie
(un
glaive
transpercera
ton
cœur).
C’est
le
message
que
Dieu
nous
donne
à
nous
tous
à
travers
ce
que
nous
vivons
collectivement
de
nos
jours.
Et
la
Croix
du
Christ
débouchant
nécessairement
sur
la
Résurrection,
c’est,
en
définitive,
un
appel
à
la
Vie. Bruxelles, 2 février 2008 Armand VEILLEUX
[1]
Conférence
prononcée
à
l’église
du
Collège
Saint-Michel
de
Bruxelles,
le
2
février
2008,
dans
le
cadre
de
la
Journée
de
la
Vie
consacrée,
organisée
par
le
Vicariat
pour
la
Vie
consacrée
du
diocèse
de
Malines-Bruxelles. |
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