Questions monastiques en général
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Collectanea Cisterciensia 70 (2008) 176-188 Armand VEILLEUX,
ocso En modelant nos vies sur RB 72
[1]
IDENTITÉ AVEC LE CHRIST
[2]
Le chapitre 72 de la Règle se termine sur cette
belle
phrase
:
«
Ils
ne
préféreront
absolument
rien
au
Christ;
et
qu'il
nous
amène
tous
ensemble
à
la
vie
éternelle.
»
Ce
sont
très
probablement
là
les
derniers
mots
de
la
Règle écrits par Benoît, puisque, comme
vous
le
savez,
le
chapitre
73,
qui
est
le
dernier
chapitre
de
la
Règle en
sa
forme
actuelle,
a
été
écrit
avant,
et
concluait
la
Règle, après le chapitre
66.
Par
la
suite,
Benoît
a
ajouté
les
chapitres
67
à
72
(Nous
reparlerons
de
ces
chapitres
dans
la
seconde
conférence). Je cite ce court verset de la Règle maintenant,
parce
qu'il
exprime
le
caractère
central
du
Christ
dans
la
vie
des
frères
ou
soeurs
bénédictins
et
qu'en
même
temps
il
insiste
sur
le
fait
que
ne
rien
préférer
au
Christ
signifie
le
suivre
sur
un
chemin
qui
nous
mènera
à
la
vie
éternelle
-
et
cela
tous
ensemble (ce qui semble être la meilleure
traduction
de pariter), puisque nous sommes cénobites. Ainsi, lorsque nous parlons de notre « identité
avec
le
Christ
»,
celle-ci
ne
doit
pas
être
comprise
d'une
manière
statique,
simplement
dans
le
sens
de
devenir
de
plus
en
plus
«
ressemblant
au
Christ
»
en
l'imitant
dans
tout
ce
que
nous
faisons.
Cela
ne
doit
pas
non
plus
être
compris
simplement
du
fait
qu'il
est
le
Premier-Né,
et
que
nous
sommes
tous
appelés
à
prendre
part
à
sa
nature
divine
-
ce
qui,
bien
sûr,
est
vrai
et
important.
Cela
doit
être
compris
d'abord
sur
un
mode
dynamique:
il
s'agit
de
le
suivre
sur
son
propre
chemin
qui
nous
conduit
vers
le
but
où
il
va
lui-même. Le Christ n'est pas lui-même notre but. Il est
le
Chemin,
Il
est
notre
guide
sur
notre
chemin
vers
la
vie
éternelle,
c'est-à-dire
vers
le
Père.
Sans
vouloir
être
provocant,
j'oserai
dire
que
quelquefois
le
Christ
a
pris
une
trop
grande
place
dans
notre
christologie.
Dans
l'Évangile,
il
n'est
pas
lui-même
le
coeur
de
son
enseignement.
C'est
le
Père
qui
l'est
!
Surtout
dans
l'Évangile
de
Marc,
Jésus
n'enseigne
pas
sur
lui-même,
Il
ne
se
proclame
pas
lui-même.
Il
proclame
le
Règne
de
Dieu
et
il
parle
de
Dieu.
Il
parle
de
son
Père. Le cœur de l'enseignement de Jésus est à rechercher
dans
les
paraboles,
et
la
plupart
des
paraboles
parlent
du
Père.
Jésus
veut
nous
enseigner
quel
genre
de
Père
est
Dieu.
Bien
sûr,
le
grand
paradoxe
-
ou
plutôt
la
grande
ironie
-
est
que
nous
lisons
en
général
les
paraboles
comme
si
elles
parlaient
de
nous
(ce
qui
est
une
manifestation
de
la
manière
dont
nous
pouvons
être
égocentrés).
Nous
lisons
les
paraboles
pour
trouver
en
elles
un
enseignement
moral,
nous
apprenant
comment
nous
devons
agir.
Dans
la
parabole
de
l'enfant
prodigue,
par
exemple,
il
n'en
va
pas
en
premier
lieu
du
fait
de
retourner
vers
Dieu
après
avoir
péché
--
bien
que
ce
message
soit
implicite,
comme
une
conséquence;
la
parabole
nous
parle
de
l'amour
de
Dieu
et
de
sa
miséricorde
envers
nous.
Nous
devrions
dire
la
même
chose
de
la
plupart
des
autres
paraboles. Dans le Nouveau Testament, Jésus est toujours
en
chemin.
L'aspect
premier
et
le
plus
fondamental
de
ce
chemin
est
le
fait
qu'il
est
venu
du
Père
et
qu'il
est
retourné
au
Père.
Ce
Chemin
paradigmatique
est
décrit
de
façon
très
majestueuse
dans
l'hymne
christologique
de
Philippiens
(chap.
2)
:
«
Lui
qui
était
de
condition
divine
n'a
pas
considéré
comme
une
proie
à
saisir
d'être
l'égal
de
Dieu.
Mais
il
s'est
dépouillé,
prenant
la
condition
de
serviteur,
devenant
semblable
aux
hommes
(...)
il
s'est
abaissé,
devenant
obéissant
jusqu’a
la
mort,
à
la
mort
sur
une
croix.
»
C'était
le
mouvement
descendant...
Vient
ensuite
le
mouvement
ascendant:
«
C'est
pourquoi
»
(et
ces
mots
sont
très
importants),
«
Dieu
l'a
souverainement
élevé
et
lui
a
conféré
le
Nom
qui
est
au-dessus
de
tout
nom
»
(il
s'agit
du
nom
par
excellence,
le
nom
de
Seigneur
ou
Yahvé)
«
afin
que
toute
langue
confesse
que
le
Seigneur,
c'est
Jésus
Christ...
» L'identité du Christ est inséparable de sa mission.
En
lui
l'identité
et
la
mission
sont
une
seule
et
même
chose.
Cette
hymne
christologique
de
Philippiens
2,
comme
aussi
Éphésiens
1-2,
nous
donne
une
vue
théologique
-grandiose
de
ce
Mystère.
Quoi
qu'il
en
soit,
Jésus,
dans
son
psychisme
humain,
n'a
découvert
que
graduellement
son
identité,
et
il
a
affronté
de
grandes
tentations
à
chaque
étape
de
cette
découverte. Déjà à l'âge de 12 ans, il s'est « enfui >»
loin
de
sa
mère
et
de
son
père
pour
être
aux
affaires
de
son
Père
;
mais
son
Heure
n'était
pas
encore
venue.
II
est
retourné
à
Nazareth
et
il
leur
est
resté
obéissant,
pendant
qu'il
grandissait
en
âge
et
en
sagesse
devant
Dieu
et
devant
les
hommes.
Puis
il
y
eut
le
grand
tournant
de
sa
vie,
lorsqu'il
quitta
sa
Galilée
d'origine
pour
venir
en
Judée
et
très
probablement
se
faire
disciple
de
Jean-Baptiste
(ce
qui
semble
être
le
sens
des
mots
de
Jean
:
«
Après
moi
vient
un
homme
»
--
c'est-à-dire,
quelqu'un
qui
me
suit,
autrement
dit
un
de
mes
disciples
-
«
qui
m'a
devancé
»
[Jn
1,
15]).
Et
au
moment
où
il
est
baptisé,
il
entend
la
voix
du
Père :
«
Tu
es
mon
Fils
bien-aimé.
»
Il
doit
intégrer
cette
révélation
dans
son
esprit
humain
et
pour
cela
il
s'en
va
au
désert
où
il
va
affronter
la
tentation
à
laquelle
chaque
être
humain
fait
face
lorsqu'il
est
confronté
à
un
moment
important
de
croissance.
Les
tentations
qu'il
a
alors
affrontées
sont
des
invitations
à
céder
à
diverses
identifications
ou
fausses
identités
plutôt
que
d'accepter
sa
réelle
identité
de
Fils
de
Dieu.
Il
a
eu,
comme
n'importe
lequel
d'entre
nous,
à
renoncer
au
plaisir,
au
pouvoir,
à
la
célébrité.
Il
peut
alors
retourner
en
Galilée
et
être
totalement
identifié
à
sa
mission.
Il
y
aura
d'autres
tournants
et
ainsi
d'autres
moments
de
tentation,
comme
par
exemple
lorsque
les
foules
voudront
le
faire
roi,
c'est-à-dire
un
Messie
conforme
à
leurs
attentes.
Une
nouvelle
fois,
il
s'enfuit
dans
la
solitude
de
la
montagne
pour
prier.
Et
quand
il
est
évident
qu'il
va
bientôt
mourir,
il
va
à
nouveau
dans
la
montagne
-
la
montagne
de
la
transfiguration
-
où
il
parle
de
sa
mort
avec
Moïse
et
Élie
(Lé
9,
3031),
et
où
sa
filiation
divine
est
réaffirmée
par
le
Père. La question de son identité était aussi importante
pour
le
Christ
que
pour
n'importe
quel
autre
être
humain.
Lorsqu'il
demande
à
ses
disciples
:
«
Qui
suis-je,
au
dire
des
hommes
?
»,
et
ensuite,
«
Et
vous,
qui
dites-vous
que
je
suis
»
(Mc
8,
27.29)
----
ce
n'était
pas
une
question
rhétorique
utilisée
à
des
fins
pédagogiques.
C'était
une
question
importante
pour
lui,
une
question
vitale.
A
ce
moment,
il
savait
déjà
qu'il
allait
mourir
bientôt.
Dans
une
perspective
humaine,
sa
mission
pouvait
être
regardée
comme
un
échec.
Il
voulait
-
et
il
avait
besoin
de
-
savoir
s'il
allait
rester
vivant
dans
la
mémoire
de
ses
disciples
et
s'ils
seraient
capables
de
continuer
sa
mission
(
=
son
identité). Par l'Incarnation, Dieu n'est pas simplement devenu
un
homme
en
Jésus.
Il
est
devenu
humain,
il
a
assumé
notre
humanité.
En
lui,
c'est
toute
l'humanité
qui
retourne
au
Père.
Tant
et
si
bien
qu'il
est
notre
propre
identité
la
plus
profonde.
Il
est
la
plénitude
du
«
moi
»
(self).
Nous
devenons
nous-mêmes
dans
la
mesure
où
nous
assumons
notre
identité
christique
-
c'est-à-dire
dans
la
mesure
où
nous
dépassons nos fausses identités ou
nos
identifications
superficielles
pour
atteindre
le
niveau
le
plus
profond
de
notre
être,
là
où
notre
être
propre
jaillit
de
l'Être. J'ai remarqué, en commençant, que le Christ ne s'était pas proclamé
lui-même
;
il
a
proclamé
le
Père.
À
certains
moments
cependant,
il
a
révélé
certains
aspects
de
sa
propre
identité,
par
exemple
quand
il
a
dit
:
«
Je
suis
le
chemin
et
la
vérité
et
la
vie
>»
(Jn
14,
6)
ou
encore
quand
il
a
dit
à
Marthe
:
«
Je
suis
la
résurrection
et
la
vie
»
(Jn
11,
25).
Mais
c'est
seulement
tout
à
la
fin
de
sa
vie
qu'il
a
dit
une
ou
deux
fois
:
«
Je
suis
»
(sans
aucune
qualification)
-
par
exemple
quand
il
a
dit
:
«
Avant
qu'Abraham
existât,
je
suis
»
(In
8,
58)
ou,
de
manière
plus
significative,
quand,
interrogé
très
explicitement
par
le
Grand
Prêtre,
au
moment
de
sa
Passion
:
«
Es-tu
le
Messie,
le
Fils
du
Dieu
béni
?
»,
il
a
répondu
:
«
Je
(le)
suis
(ego eimi)
»
(Mc
14,
61-62).
11
était
à
ce
moment-là
abandonné
de
tous
et
il
allait
mourir.
Tout
ce
qui
n'était
pas
son
identité
la
plus
profonde
de
Fils
de
Dieu
avait
été
retiré
de
lui. Tel a été son chemin. Et chaque fois que dans l'Évangile, il dit à
quelqu'un
:
«
Viens
et
suis-moi
»,
il
l'appelle
à
le
suivre
sur
ce
chemin.
C'est
très
clair,
en
particulier
dans
l'appel
au
jeune
homme
riche.
Â
ce
moment
Jésus
marche
vers
Jérusalem,
et
il
a
déjà
annoncé
qu'il
va
être
mis
à
mort.
Ceci
doit
être
pris
en
compte
si
l'on
veut
comprendre
le
sens
plénier
de
son
appel
:
«
Va,
ce
que
tu
as,
vends-le
[...]
puis
viens,
suis-moi
»
(Me
10,
21). Quand nous suivons quelqu'un, nous ne voyons pas son visage. Nous
le
voyons
de
dos.
Comme
Moïse
qui
ne
pouvait
pas
voir
la
Gloire
de
Dieu,
sinon
de
dos
(cf.
Ex
33,
23).
Ceux
qui
sont
appelés
à
suivre
le
Christ
ne
sont
pas
simplement
appelés
à
s'asseoir
en
face
de
lui,
à
admirer
son
visage
et
à
boire
ses
paroles,
Lorsque
nous
suivons
le
Christ,
nous
voyons
ses
épaules,
et
non
pas
sa
face
(nous
ne
le
voyons
pas
encore
face
à
face).
Les
épaules
que
nous
voyons
sont
les
épaules
qui
ont
porté
la
brebis
perdue,
et
aussi
les
épaules
qui
ont
porté
la
Croix. C'est aussi le sens de notre chemin monastique, et en particulier
de
notre
conversion
monastique.
Tout
d'abord,
la
conversion
signifie
découvrir
notre
véritable
identité.
En
ce
sens,
le
chemin
de
Jésus
peut
être
considéré
comme
le
paradigme
de
la
vraie
conversion
(qui
n'est
pas
en
premier
lieu
le
passage
du
péché
à
la
vertu
mais
un
passage
à
travers
différentes
phases
de
croissance), La conversion que Jésus demande à ses disciples n'est pas seulement
une
modification
superficielle
du
comportement
moral.
Cela
implique
bien
plus
que
de
remplacer
notre
«
ego
»
par
un
autre,
plus
respectable
ou
plus
conforme
aux
exigences
ou
aux
attentes
de
la
société.
Cela
exige
une
transformation
générale
et
radicale,
touchant
toutes
les
dimensions
de
l'existence
humaine,
«
esprit,
âme,
et
corps
»,
pour
utiliser
les
catégories
de
l'anthropologie
de
saint
Paul
[3]
(cf.
1
Th
5,
23). Une telle conversion doit, bien sûr, être en premier lieu une conversion
du
coeur,
source
de
tout
ce
qui
est
bon
ou
mauvais
dans
l'existence
humaine.
Ézéchiel
a
décrit
en
termes
poétiques
et
beaux
la
conversion
qui
serait
caractéristique
du
nouveau
Royaume
:
«
Je
leur
donnerai
un
cœur
loyal
;
je
mettrai
en
vous
un
esprit
neuf
;
je
leur
enlèverai
du
corps
leur
cœur
de
pierre
et
je
leur
donnerai
un
cœur
de
chair
»
(Ez
11,
19).
Le
chemin
de
conversion
est
tout
d'abord
un
cheminement
intérieur
dans
les
replis
du
coeur,
vers
la
découverte
du
vrai
«
moi
»,
c'est-à-dire
de
la personne que Dieu nous
appelle
à
être,
image
unique
du
verbe
de
Dieu
que
nous
sommes,
le
nom
qu'il
nous
a
donné. Dans cette partie intime de nous-mêmes, il se peut que nous soyons
amenés
à
atteindre
des
zones
inconnues
de
nous-mêmes,
contrées
obsédantes,
non
familières,
où
nous
sommes
des
étrangers.
Il
se
peut
que
nous
ayons
à
devenir
des
nomades
à
l'intérieur
de
notre
propre
monde.
La
première
réalité
que
nous
allons
rencontrer
là
sera
notre
ego
avec
toutes
ses
limites.
Quand
nous
nous
aventurons
à
cheminer
vers
notre
monde
intérieur,
nous
devons
être
prêts
à
être
confrontés
à
la
peur
et
la
confusion,
à
la
tentation. Ce genre d'expérience du désert se retrouve au début de tout grand
cheminement
spirituel.
Après
son
baptême,
Jésus
a
commencé
une
nouvelle
période
de
sa
vie
par
un
chemin
de
solitude.
Ce
fut
l'expérience
du
prophète
Élie,
passant
par
la
conscience
de
sa
propre
pauvreté,
de
ses
peurs
et
de
sa
faiblesse,
au
désert,
avant
sa
rencontre
avec
la
gloire
de
Dieu
sur
le
Mont
Horeb. Ce
fut
aussi
l'expérience
de
Paul
qui
a
passé
quelques
mystérieuses
années
dans
le
désert
d'Arabie
après
sa
rencontre
avec
le
Christ
sur
la
route
de
Damas.
Et
des
milliers
de
femmes
et
d'hommes,
depuis
les
premiers
jours
de
la
vie
monastique
en
Syrie
et
en
Égypte
jusqu'à
nos
jours,
sont
allés
au
désert
précisément
pour
vivre
cette
expérience. Ce chemin transformant peut
commencer
par
une
expérience
très
profonde
voire
même
bouleversante,
comme
celle
de
Jésus
au
moment
de
son
baptême,
ou
celle
de
Paul
sur
la
route
de
Damas,
ou
celle
d'Élie
sur
le
chemin
du
Mont
Horeb.
La
plupart
d'entre
nous
cependant
s'embarqueront
presque
insensiblement
pour
ce
voyage,
non
pas
après
une
expérience
mystique
radicale,
mais
simplement,
progressivement,
en
avançant
dans
la
vie:
passant
de
succès
en
défaite,
faisant
l'expérience
d'un
échec
dans
notre
carrière
universitaire,
dans
nos
amitiés,
notre
vie
morale,
et
goûtant
la
frustration
grandissante
de
rêves
inassouvis
alors
que
nous
commençons
à
compter
le
nombre
des
années
aux
marques
qu'elles
laissent
sur
notre
corps.
Toutes
ces
choses
peuvent
au
début
paraître
superficielles,
mais
elles
nous
touchent
en
profondeur,
et
si
nous
les
acceptons
honnêtement,
elles
nous
mettent
au
contact
de
nos
limites
profondes,
avec
notre
être
marqué
par
le
péché
(sinfulness), et avec toutes les idoles que nous avons secrètement vénérées.
Et
c'est
là
le
premier
pas
sur
le
seuil
de
notre
conversion
du
cœur. Lorsque les Pères du Désert
décrivaient
leurs
luttes
avec
des
bêtes
hurlantes,
des
serpents
visqueux
ou
des
démons
grimaçants
(ou
avec
des
femmes
séductrices),
ils
ne
faisaient
simplement
que
décrire
les
différents
aspects
de
leur
propre
cœur
que
l'expérience
du
désert
leur
avait
fait
découvrir.
Es
sont
ce
que
Jung
appelle
notre
«
moi-ombre
»,
la
part
inacceptable
de
notre
personnalité
avec
laquelle
nous
nous
trouvons
maintenant
face
à
face. Une telle expérience de notre
être
pécheur
(sinfulness)
n'est
pas
une
découverte
réservée
aux
débuts
du
noviciat
!
Ce
peut
être
une
découverte
soudaine
ou
lancinante,
après
de
nombreuses
années
de
prière
et
de
fidélité
au
service
de
Dieu,
alors
que
des
doutes
puissants
et
persistants
apparaissent
dans
notre
cœur
sur
Dieu
et
sur
notre
vocation,
que
des
passions
brûlantes
nous
enflamment,
que
le
sens
et
les
vérités
s'étiolent,
que
des
questions
abondent
sans
qu'aucune
réponse
n'apparaisse.
De
nouveaux
genres
d'obscurité
et
de
stérilité
peuvent
alors
nous
éprouver
profondément.
Ce
ne
sont
pas
là
les
charmantes
petites
obscurités
et
aridités
des
premières
années,
qui
nous
rassuraient
parce
qu'elles
nous
convainquaient
plus
ou
moins
que
nous
progressions
vers
les
stades
plus
élevés
de
vie
spirituelle
que
décrit
Jean
de
la
Croix.
Nous
étions
un
peu
fiers
de
cette
obscurité
et
de
cette
aridité.
Les
nouvelles
formes
sont
terribles.
L'amour
de
Dieu
qui
autrefois
nous
soutenait
et
nous
motivait
semble
à
présent
insaisissable
et
illusoire. Lorsque Jésus a essayé de
décrire
la
réalité
de
la
conversion,
il
a
utilisé
des
images
qui
n'étaient
pas
des
images
de
transformation
douce et progressive, mais des images qui reflétaient
les
deux
évènements
les
plus
traumatisants
de
la
vie
humaine
:
la
naissance
et
la
mort.
Il
savait,
plus
que
tout
autre,
que
la
totalité
de
notre
vie
ne
peut
pas
être
atteinte
sans
franchir
la
rivière
de
la
mort. À Nicodème (Jn 3, 5-6) il disait : « En vérité,
en
vérité,
je
te
le
dis
:
nul,
s'il
ne
nain
d'eau
et
d'Esprit,
ne
peut
entrer
dans
le
Royaume
de
Dieu.
Ce
qui
est
né
de
la
chair
est
chair,
et
ce
qui
est
né
de
l'Esprit
est
esprit.
»
Mais
il
a
plus
tard
décrit
la
condition
pour
une
telle
vie
:
«
En
vérité,
en
vérité,
je
vous
le
dis,
si
le
grain
de
blé
qui
tombe
en
terre
ne
meurt
pas,
il
reste
seul
;
si
au
contraire
il
meurt,
il
porte
du
fruit
en
abondance
»
(Jn
12,
24). Dans l'obscurité de notre nuit, désirant comprendre
ce
qui
se
passe,
nous
allons
vers
le
Mitre
pour
un
conseil
ou
une
parole
de
réconfort,
et
sa
réponse
nous
semblera
probablement
aussi
énigmatique
que
pour
le
pauvre
Nicodème. Très souvent l'entrée dans la vie monastique est
considérée
comme
«
la
conversion
»
(ou
«
la
seconde
conversion
»
qui
suit
celle
du
baptême).
Le
reste
de
notre
vie
est
supposé
ne
devoir
être
que
douce
croissance,
même
si
elle
ne
sera
pas
toujours
facile,
développement
et
fidèle
persévérance.
Notre
voeu
de
conversatio morum est alors compris comme
l'engagement
à
ne
pas
nous
arrêter
dans
notre
chemin,
droit
et
paisible,
vers
la
perfection.
De
la
même
façon,
nous
avons
de
nos
jours
tendance
à
privilégier
des
«
conversions
instantanées
»,
des
expériences
mystiques
transformantes
et
soudaines.
Le
danger
est
que
de
telles
conversions
peuvent
n'être
que
de
simples
changements
de
comportement,
l'échange
d'un
«
ego
»
pour
un
autre
«
ego
». Dans tous les cas, même l'expérience de Dieu la plus extraordinaire
est
en
général
seulement
le
premier
pas
sur
une
longue
route
vers
la
conversion,
et
elle
n'exempte
pas
la
personne
d'entrer
dans
le
désert
de
son
propre
cœur
et
de
le
parcourir,
souvent
durant
des
années,
comme
le
peuple
d'Israël
dans
le
désert.
C'est
dans
un
tel
esprit
que
les
premiers
moines
sont
allés
au
désert,
dans
le
but
d'entrer
en
contact
avec
leur
propre
cœur,
de
rencontrer
sur
ce
champ
de
bataille
les
forces
du
mal
et
de
les
vaincre
à
l'exemple
du
Christ
et
avec
sa
grâce,
et
ainsi
de
hâter
la
venue
de
la
fin
des
temps. Toutes les richesses, les douloureuses richesses de telles expériences
humaines
de
conversion
peuvent
être
perdues
lorsque
l'accent
est
mis
indûment
sur
des
expériences
mystiques
extraordinaires,
sur
un
enthousiasme
charismatique
irréaliste,
ou
quand
les
pratiques
ascétiques
se
substituent
à
la
plénitude
de
vie
à
laquelle
nous
sommes
appelés.
L'ascèse
est
nécessaire
et
indispensable,
mais
elle
peut
aussi
être
une
excuse
commode
pour
échapper
au
processus
de
croissance
douloureux.
Elle
peut
être
un
moyen
commode
de
nous
exempter
du
douloureux
processus
d'apprendre
à
prêter
attention,
à
écouter,
à
vivre,
à
aimer
-
en
d'autres
termes,
de
parvenir
«
peu
à
peu
»
à
la
plénitude
de
la
perfection. Paradoxalement, essayer de
regarder
hors
de
nous-mêmes
et
tenter
de
vivre
en
fonction
d'idéaux
extérieurs
et
d'attentes,
peut
entraver
l'authentique
conversion
dont
nous
parlons.
Et
j'ai
peur
que
très
souvent,
notre
formation
monastique
ne
fasse
que
cela.
Au
lieu
de
conduire
les
gens
à
une
conversion
difficile,
nous
les
invitons
à
enfiler
un
nouvel
ego
tout
neuf
par-dessus
l'ancien.
Lorsque
des
personnes
tentent
de
trouver
le
fondement
de
leur
identité
simplement
en
faisant
des
choses
et
en
vivant
en
fonction
de
rôles
dans
la
société
ou
d'attentes
communautaires,
elles
produisent
involontairement
un
faux
moi.
Les
idéaux
qui
en
soi
sont
très
bons
comme
être
un
bon
novice,
un
bon
abbé,
une
bonne
prieure,
un
bon
enseignant,
un
bon
pasteur,
peuvent
devenir
des
obstacles
à
une
conversion
plus
profonde.
Nous
sommes
souvent
trop
craintifs
pour
abandonner
nos
propres
créations
et
pour
laisser
Dieu
nous
toucher
et
donner
naissance
à
notre
moi
véritable. Si nous poursuivons courageusement
notre
chemin
à
travers
le
désert
de
notre
cœur,
nous
finirons
par
atteindre
de
quelque
manière
le
sol
de
notre
être,
là
où
il
jaillit
de
l'Être,
où
notre
propre
moi
est
un
avec
l'Unique
qui
est
la
plénitude
du
moi,
si
bien
que
nous
pouvons
dire
avec
Paul
:
<«
Je
ne
vis
pas;
Lui
vit
en
moi
».
La
conversion
nous
conduit
à
une
image
renouvelée
de
nous-mêmes,
de
Dieu
et
de
notre
entourage.
Ou
plutôt,
elle
nous
permet
d'aller
au-delà
des
images
et
de
transcender
par
cette
simplicité
bénie,
qui
est
la
fin
ultime
de
la
vie
monastique,
tout
ce
qui
nous
retient
loin
de
nous-mêmes,
de
Dieu
et
de
nos
frères. La conversion monastique
implique
ainsi
de
renoncer
peu
à
peu
à
toutes
nos
fausses
identités
ou
identifications
en
grandissant
en
dehors
d'elles.
L'identification est le processus qui vise à s'identifier à quelque chose
ou
à
quelqu'un
en-dehors de nous-mêmes.
L'identité est l'essence de qui nous sommes. Une forme d' «« imitation
du
Christ
», seulement en essayant de
faire
ce
que
nous
croyons
qu'il
ferait
dans
notre
situation,
en
reste
au
stade
de
l'identification. Nous savons comment un enfant
s'identifie
normalement
à
son
père
ou
sa
mère,
comment
un
adolescent
s'identifie
à
une
star
du
sport
ou
du
cinéma,
ou
simplement
à
un
adulte
qu'il
admire
–
qui
peut être un professeur. Plus tard le jeune homme s'identifiera à
ce
qu'il
fait
et
accomplit
ou
à
ce
qu'il
acquiert
et
possède,
pour
la
jeune
femme
ce
sera
de
même
ou
elle
s'identifiera
plutôt
à
ses
conquêtes
sentimentales.
Mais
lorsque
quelqu'un
devient
réellement
adulte
-
ce
qui
n'est
pas
seulement
une
question
d'années
-
cette
personne
va
découvrir
et
réaliser
son
identité
;
qui
elle
est
-
ou
qui
il
est
-
indépendamment
de
tous
les
egos
superficiels,
de
toutes
les
images
qu'elle
a,
ou
que
les
autres
ont
d'elle.
Elle
est
la
personne
qui
possède
certains
talents
et
n'en
possède
pas
d'autres,
qui
a
des
choses
et
peut
les
perdre,
qui
connaît
des
succès
et
des
échecs,
et
qui
demeure
la
même
personne
à
travers
toutes
les
crises
de
la
vie,
tout
en
devenant
de
plus
en
plus
elle-même. Ce processus pour devenir un adulte et une personne
autonome,
tant
au
plan
humain
que
spirituel,
est
très
bien
exprimé
par
nombre
de
paraboles
de
l'Ancien
aussi
bien
que
du
Nouveau
Testament. Dans l'Ancien Testament, nous avons l'histoire
de
Job.
Job
a
tout
ce
par
quoi
les
gens
trouvent
normalement
leur
identité
psychologique,
sociale
et
spirituelle.
C'est
un
homme
bon,
il
a
une
bonne
réputation
au
sein
du
peuple
de
Dieu,
il
a
une
femme
et
de
nombreux
enfants
(sept
fils
et
trois
filles),
de
nombreux
biens
-
champs,
troupeaux,
moutons,
bœufs,
et
aussi
des
serviteurs
hommes
et
femmes
pour
prendre
soin
de
ces
biens.
Il
jouit
d'une
bonne
santé
et
a
de
bons
amis. Il perd tout cela, y compris l'entente avec sa
femme
et
ses
amis,
ainsi
que
sa
santé.
Puis
il
fait
cette
découverte
merveilleuse
que,
même
après
avoir
tout
perdu,
il
est.
Il
existe.
Il
est
le
même
Job
qui
avait
toutes
ces
choses
et
les
a
perdues.
Le
Job
qui
à
présent
n'a
rien
est
la
même
personne
que
l'homme
riche,
puissant
et
influent
qu'il
était. N'ayant plus rien à perdre désormais, il est libre.
Pour
cette
raison
il
peut
se
tenir
debout
devant
Dieu
et
parler
à
Dieu
avec
beaucoup
de
force.
Personne
dans
la
Bible
ne
parle
ainsi
à
Dieu.
Ce
n'est
pas
de
l'arrogance,
c'est
de
la
parrhesia - confiance et liberté - la liberté
de
ceux
qui
n'ont
rien
à
perdre.
À
la
fin
il
sera
en
mesure
non
de
recouvrer
ce
qu'il
a
perdu
(ce
qui
est
perdu
est
perdu),
mais
d'acquérir
à
nouveau
des
richesses
similaires.
Cela
ne
changera
pas
qui
il
est.
Il
est
libre. Dans le Nouveau Testament, le même processus de
croissance
est
décrit
dans
une
des
paraboles
de
Jésus
:
celle
de
l'enfant
prodigue
(mieux
appelée
la
parabole
du
Père
prodigue).
Nous
avons
là
une
famille
dont
la
vie
semble
être
heureuse
et
sans
histoire.
C'est
une
famille aisée, puisqu'il y a une fortune à diviser
entre
les
enfants
:
il
s'agit
de
champs,
de
troupeaux,
et
de
serviteurs.
Il
y
a
bien
sûr
une
mère,
et
probablement
des
sœurs
(bien
qu'elles
ne
soient
pas
mentionnées),
et
au
moins
un
frère.
Ce
que
veut
montrer
la
parabole,
ce
sont
les
différentes
attitudes
de
trois
des
personnages. L'un des fils en a assez de
cette
vie
de
famille
tranquille,
même
si
elle
semble
avoir
été
harmonieuse,
aisée
et
plaisante.
Il
veut
vivre
sa
propre
vie.
Cette
vie
qu'il
partage
avec
son
père,
son
frère,
et
le
reste
de
la
famille
ne
le
satisfait
plus.
Il
a
besoin
de
s'accomplir
personnellement.
Il
veut
être
quelqu'un
et
profiter
de
la
vie.
Il
veut
exister
comme
individu
indépendant
et
isolé,
et
non
comme
membre
d'un
tout
(quelque
chose
que
nous
entendons
dans
nos
communautés,
quelquefois). Que fait le père ? il n'exprime aucune objection. Il a sans doute fait ses propres
erreurs
dans
sa
jeunesse,
et
il
reconnaît
le
droit
de
son
fils
à
faire
les
siennes
propres.
Ce
qui
lui
importe
est
que
son
fils
ait
la
vie.
Les
conditions
dans
lesquelles
il
va
réaliser
sa
vie
sont
importantes
mais
secondaires.
Le
fils
prodigue
goûte
alors
à
tous
les
plaisirs
de
la
vie.
Ils
sont
de
réels
plaisirs,
mais
au
niveau
superficiel
de
l'existence.
Peu
à
peu,
il
dilapide
tout
ce
qu'il
a
et,
finalement,
il
fait
la
même
expérience
de
tout
perdre
que
Job
avait
faite.
La
seule
différence
est
qu'il
se
l'inflige
à
lui-même
alors
qu'elle
était
imposée
à
Job
par
le
Tentateur.
Puis
il
poursuit
son
propre
chemin.
Il
y
avait
dans
le
passé
quelqu'un
qui
vivait
avec
son
père,
et
qui
a
quitté
son
père,
qui
avait
une
fortune
qu'il
a
dilapidée,
qui
a
joui
des
plaisirs
de
l'existence
qu'il
ne
peut
plus
se
permettre.
Cette
personne
est
capable
de
conversion
et
de
revenir
vers
son
Père.
Il
est
assez
libre
pour
retourner.
Il
ne
craint
pas
d'être
déshérité,
puisqu'il
a
déjà
eu
son
héritage
et
qu'il
l'a
dilapidé.
Il
ne
craint
pas
d'être
rejeté
comme
fils,
puisqu'il
ne
revendique
pas
le
droit
d'être
considéré
comme
fils.
Il
veut
simplement
être
un
serviteur
(ce
mot
est
peut-être
le
plus
important
de
la
parabole).
Et
quand
le
Père
le
voit
arriver,
il
court
vers
lui
et
l'embrasse,
parce
que
son
fils
est
en
vie.
Le
père
ne
voit
pas
le
fils
ingrat,
il
ne
voit
pas
le
fuyard,
il
ne
voit
pas
la
personne
débauchée.
Il
voit
son
fils
qui
est
vivant
et
il
veut
célébrer
la
vie
avec
sa
famille
et
ses
serviteurs. Ce n'est pas tout le monde qui peut célébrer la
vie,
en
particulier
la
vie
dans
les
autres.
Le
second
fils
est
la
figure
la
plus
pathétique
de
la
parabole.
Il
est
comme
le
bon
chrétien,
ou
le
bon
religieux,
toujours
fidèle
à
toutes
ses
obligations,
mais
qui
n'a
pas
compris
le
sens
de
la
vie,
et
par-dessus
tout
n'a
pas
compris
le
sens
de
l'amour
et
de
la
miséricorde.
Il
est
incapable
de
célébrer.
En
fait,
il
n'a
rien
à célébrer.
Quand
il
rentre
des
champs
et
qu'il
entend
la
musique
et
la
danse,
il
demande
quel
est
le
sens
de
cette
musique
et
de
ces
danses.
Ce
pauvre
homme,
avec
toute
sa
vertu
et
sa
fidèle
observance,
n'a
pas
parcouru
le
chemin
vers
la
maturité
et
la
vie
adulte
que
son
frère
a
parcouru. Retournons maintenant à l'histoire du jeune homme
riche.
Il
demande
à
Jésus
ce
qu'il
doit
faire
pour
obtenir
la
vie
éternelle.
Son
but
est
sans
aucun
doute
bon
-
la
vie
éternelle.
Il
est
très
préoccupé
par
le
«
faire
».
Il
demande
ce
qu'il
doit
faire;
et
lorsque
Jésus
lui
cite
certains
commandements
du
Décalogue,
il
dit
qu'il
a
fait
tout
cela
depuis
sa
jeunesse.
Puis
Jésus
l'invite
à
se
débarrasser
de
tout,
à
venir
et
à
le
suivre.
En
réalité,
Jésus
l'invite
à
réaliser
volontairement
et
librement
l'abandon
de
toutes
choses
qui
a
été
imposé
à
Job
par
les
circonstances
et
que
le
fils
prodigue
s'est
lui-même
imposé.
Il
est
incapable
de
le
faire.
Il
n'est
pas
libre.
Il
n'est
pas
encore
devenu
adulte. Tel est le processus qui est décrit à travers
toute
la
Règle
de
Benoît
et
qui
trouve
son
achèvement,
quand
il
est
vécu
dans
une
communauté
cénobitique,
dans
ce
que
Benoît
décrit
dans
son
chapitre
72,
que
nous
étudierons
plus
en
détail
dans
la
seconde
conférence. Nous trouvons aussi là un enseignement important
concernant
la
maternité
ou
la
paternité
spirituelle
et
la
formation.
La
formation
consiste
à
aider
quelqu'un
à
acquérir
très
tôt
dans
sa
vie
monastique
une
identité
personnelle
claire,
qui
sera
ensuite
progressivement
transformée
ou
convertie
pendant
le
reste
de
sa
vie.
Lorsque
quelqu’un
a
acquis
cette
identité,
il
sait
qui
il
est
devant
Dieu,
et
ne
dépend
pas
de
l'estime
des
gens,
de
l'image
que
les
autres
ont
de
lui,
de
l'appréciation
de
ses
supérieurs
ou
des
autres
membres
de
la
communauté. Afin de bien comprendre ce chapitre 72, à la lumière
de
notre
identité
avec
le
Christ,
nous
devons
considérer
un
autre
aspect
de
l'identité
du
Christ. Nous voulons nous identifier au Christ. Cela est
certes
un
noble
désir
!
Mais
peut-être
serait-il
plus
important
de
nous
demander,
«
avec
qui
le
Christ
veut-il
s'identifier
».
La
réponse
est
bien
évidente
en
Matthieu
25.
Le
Christ
s'identifie
aux
plus
petits,
les
nécessiteux,
les
opprimés.
«
J'étais
malade,
j'étais
affamé,
j'étais
en
prison,
j'étais
persécuté...
Ce
que
vous
avez
fait
aux
plus
petits,
c'est
à
moi
que
vous
l'avez
fait
»
(cf.
Mt
25,
35-36).
C'est
lorsque
nous
appartenons
d'une
façon
ou
d'une
autre
à
l'une
de
ces
catégories
que
nous
pouvons
être
sûrs
que
le
Christ
s'identifie
à
nous. Éphésiens 1-2 doit aussi être lu dans ce contexte. L'identité au Christ
n'est
pas
simplement
quelque
chose
de
statique
qu'il
faudrait
admirer
ou
pour
lequel
il
faudrait
être
reconnaissant.
C'est
quelque
chose
à
accomplir
en
suivant
le
Christ
dans
son
Mystère
Pascal.
Paul,
qui
écrivait
cela
aux
Éphésiens,
savait
très
bien
de
quoi
il
parlait,
puisque
cette
identité
du
Christ
avec
les
petits
lui
a
été
révélée
sur
la
route
de
Damas.
«
Seigneur,
qui
es-tu
?
»
Et
la
réponse
fut:
«
Je
suis
celui
que
tu
persécutes.
»
Cette
révélation
que
le
Christ
s'identifiait
avec
les
persécutés
changea
la
vie
de
Paul
--
et
de
manière
radicale.
Jusqu'à
cette
époque,
Paul
était
une
personne
privilégiée.
Il
avait
étudié
avec
les
meilleurs
maîtres,
avait
une
bonne
position
au
sein
du
peuple
Juif.
Il
avait
ce.qui
semblait
une
claire
identité.
Après
sa
rencontre
avec
Jésus
sur
la
route
de
Damas,
il
sera
un
Juif
errant,
rejeté
par
presque
tous.
Il
n'appartiendra
jamais
à
une
communauté
locale,
bien
qu'il
en
ait
fondé
de
nombreuses
et
soutenu
de
plus
nombreuses
encore
par
son
enseignement.
La
seule
chose
importante
était
alors
son
identité
au
Christ. J'aimerais réfléchir encore sur un autre aspect du chemin de Jésus
-
de
son
Père
vers
son
Père.
C'est
son
passage
à
travers
les
enfers
[4]
. Dans
un
des
Symboles
de
foi
les
plus
primitifs,
il
est
dit
que
le
Christ,
après
sa
mort,
et
avant
sa
résurrection,
est
descendu
dans
l'abîme
des
enfers.
La
compréhension
la
plus
courante,
dans
la
tradition
latine,
est
qu'il
est
venu
visiter
tous
les
justes
qui
étaient
dans
le
sein
d'Abraham,
et
qui
attendaient
la
venue
de
Jésus
pour
qu'il
les
prenne
avec
lui
au
Ciel.
Beaucoup
parmi
les
premiers
Pères
grecs
avaient
une
interprétation
sensiblement
différente.
Pour
eux,
cette
descente
aux
enfers
était
pour
Jésus
une
partie
de
son
anéantissement
et
du
fait
d'assumer
tous
les
aspects
de
notre
humanité.
C'était
la
kénose
la
plus
radicale. Dans la compréhension populaire, nous pouvons imaginer que le Christ
avait
trois
jours
à
remplir
ou
occuper
après
sa
mort
et
avant
sa
résurrection.
Ainsi,
il
est
descendu
pour
visiter
et
consoler
ceux
qui
avaient
attendu
un
long
temps
avant
d'être
introduits
au
Ciel.
Puis
il
s'est
relevé
d'entre
les
morts
-
la
résurrection
étant
comprise
comme
un
retour
à
la
vie
d'ici-bas
sur
la
terre.
Il
a
passé
ici
encore
quarante
jours
pour
former
ses
disciples,
avant
de
retourner
au
Ciel
définitivement.
Ceci
naturellement
est
une
caricature,
mais
n'est
pas
trop
éloigné
de
la
compréhension
populaire.
Cette
représentation
prend
la
terre
pour
point
de
référence.
Après
avoir
vécu
quelques
33
ans
sur
terre,
le
Christ,
après
sa
mort,
est
descendu
aux
enfers,
puis
est
revenu
sur
terre
sous
une
forme
différente,
et
puis
a
quitté
la
terre
pour
le
Ciel.
Pour
les
Pères
grecs,
le
Christ,
par
son
obéissance
jusqu'à
la
mort,
a
atteint
les
profondeurs
du
mal
-
de
ce
qu'est
le
mal
-
comme
une
victime
de
ce
mal,
et
de
là
a
été
élevé
par
le
Père
dans
les
hauteurs
du
Ciel.
La
résurrection
n'est
pas
un
retour
sur
terre
mais
un
accès
direct
au
Père
depuis
les
profondeurs
de
la
souffrance
et
de
l'humiliation
(cf.
Philippiens
2).
Les
apparitions
après
la
résurrection
sont
alors
quelque
chose
de
périphérique
qui
se
passe
en
réalité
dans
les
disciples
plus
que
dans
le
Christ,
qui
est
avec
le
Père. La raison de mentionner cela est que cela pourra être de quelque secours
pour
comprendre
ce
que
signifie
Benoît
quand
il
parle,
au
début
de
RB 72 des deux formes de zèle, l'un qui
mène
à
l'enfer
et
l'autre
qui
mène
à
la
vie
éternelle. Ce sera notre prochaine conférence. Abbaye N.D. de
Scourmont
Armand VEILLEUX, ocso B - 6464 FORGES
abbé
[1]
Ceci est la première
de
deux
conférences
données
à
la
Conférence
bénédictine
des
Abbés
et
Prieures
au
Mercy
Center
à
Burlingame,
Californie,
du
2
au
6
février
2007.
Elle
a
été
traduite
par
Godefroid
de
Saint-Albin
(Aiguebelle).
Nous
publierons
la
seconde
dans
une
prochaine
livraison
(NdIR).
[2]
Nous traduisons
identity
par
«
identité
»,
ce
qui
rend
l'expression
du
titre
étrange
en
français
;
«
identification
»
ou
«
imitation
»
nous
sont
plus
familiers,
mais
le
propos
de
l'auteur
s'attache
précisément
à
expliciter
cette
«
identité
»
et
sa
dynamique
interne
(NdT).
[3]
Dans les quelques
paragraphes
qui
suivent
je
répète
ce
que
j'ai
dit
dans
une
conférence
à
l'American
Benedictine
Academy
en
1984
et
publié
dans
l'American
Benedictine Review (37 :1, mars 1986, 34-35). On peut
trouver
le
texte
complet
de
cette
conférence
sur
internet
à
l'adresse
suivante
http://users.skynet.be/bs775533/Armand/wri/conversion.himl.
[4]
Nous traduisons
hell
par
«
les
enfers
»,
le
pluriel
semblant
le
plus
adéquat
au
plan
théologique
pour
désigner
ce
qui
correspond
au
shéol
(hébreu),
ou
à
l'hadès
(Septante),
c'est-à-dire
le
séjour
des
morts
de
la
tradition
biblique
(NdT). |
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