Questions cisterciennes



(Dernière mise à jour le 10 juillet 2008)

 

 

 
 

Présentation de mon document sur les laïcs cisterciens.

 

par : Armand Veilleux

 

Huerta 2008

 

 

Je ne vais évidemment pas lire tout ce document qui a d’ailleurs été élaboré comme un document écrit et non pas comme le texte d’une conférence.  Le lien Internet vous a été communiqué, et j’ai l’impression que plusieurs d’entre vous, sinon la majorité, l’ont déjà lu.  Je vais donc simplement m’attacher ce matin à en dégager les points principaux.

 

En rédigeant ce document, que j’ai écrit récemment, mais qui germait dans ma tête -- et mon coeur -- depuis longtemps, j’avais deux buts.  Le premier était de tracer à grands traits l’histoire du mouvement de ce que nous appelons les « laïcs cisterciens » depuis environ un quart de siècle.  L’autre était d’identifier les questions principales et les défis qui se posent actuellement à la famille cistercienne – moniales, moines et laïcs – en ce domaine, et d’indiquer quelles sont les divers choix possibles.  Certains choix doivent être faits par les laïcs et d’autres par les Chapitres Généraux concernés, avec, on l’espère, une réelle concertation.

 

Quant à la partie historique de mon document, il s’agissait pour moi, comme je viens de le dire, de tracer à grands traits l’évolution du dernier quart de siècle.  Il ne s’agit pas d’une « histoire » au sens strict.  Il serait d’ailleurs trop tôt pour l’écrire.  Je n’ai évidemment pas tout dit, et il y sans doute des expériences intéressantes et riches que je n’ai pas mentionnées et probablement certaines que j’ignore. Ce qui me semblait important était de saisir et de faire voir la dynamique de ce « mouvement » qui est, j’en suis sûr, un mouvement de l’Esprit Saint qui, après avoir donné au cours des siècles passés de nombreuses expressions au charisme cistercien, est en train de lui en donner une nouvelle.  Les Fondateurs de Cîteaux ayant appelé leur fondation Novum monasterium (monastère nouveau), on peut dire que la « nouveauté » fait partie du charisme propre de Cîteaux, à chaque époque.

 

On pourrait se demander : « Y a-t-il vraiment quelque chose de nouveau ? »  En effet, il y a toujours eu des laïcs, hommes et femmes, ayant établi des relations spirituelles étroites avec une communauté monastique cistercienne, soit d’hommes, soit de femmes.  Ils trouvaient au monastère un lieu de prière, parfois la direction ou l’accompagnement spirituel d’une moniale ou d’un moine, et dans leur relation fraternelle avec la communauté un encouragement et un appui pour leur vie de laïc dans le monde.  Cela a toujours existé. C’est une réalité  dont on peut se réjouir et rendre grâce à Dieu, mais il n’y a en cela rien de nouveau de nos jours.

 

Il y a toujours eu également des laïcs trouvant dans la culture et la littérature cistercienne et donc aussi dans la spiritualité véhiculée par cette tradition littéraire et spirituelle une inspiration pour leur propre vie spirituelle, qu’ils aient ou non une relation particulière avec une communauté monastique.

 

La nouveauté de ce qui se passe actuellement réside, je crois, dans deux éléments principaux :

 

a) Le premier élément est que des laïcs ayant trouvé dans leur relation avec une communauté monastique et sa spiritualité, une source d’inspiration et d’enrichissement pour leur propre vie, ont reconnu que d’autres laïcs autour d’eux vivaient la même chose et ont senti le besoin de communier avec eux – entre laïcs – dans cette même grâce.  Se sont donc formés, généralement autour d’une abbaye – mais pas toujours – des groupes de laïcs vivant cette même expérience.  Selon les sensibilités culturelles et spirituelles différentes, ces groupes se sont appelés tout simplement des « groupes », ou des « fraternités » ou des « communautés ».  Malgré les noms divers, et les formes d’expression très variées, il y a là un charisme qu’on retrouve assez identique dans chaque groupe, qui est le charisme de la communion, de la koinonia, et donc un charisme éminemment « ecclésial ».

 

b) Le deuxième élément  de la nouveauté de votre mouvement – je dis bien « votre » mouvement, car il est né des laïcs et non de l’Ordre – est l’incarnation du charisme cistercien dans la vie laïque.  Et cela comporte deux aspects.  Le premier aspect est que, un peu partout à travers le monde, des laïcs ont senti le besoin et l’appel, non seulement à établir une relation étroite avec une communauté monastique, mais aussi l’appel à vivre de sa spiritualité.  Le deuxième aspect, qui est la conséquence du premier, a été l’appel ressenti par beaucoup de laïcs, à incarner dans leur vie de laïcs (vie familiale, vie de travail, engagements sociaux ou politiques) les valeurs essentielles de la vie cistercienne – que les moniales et les moines s’efforcent de vivre à leur manière.

 

Pour mettre ce développement nouveau en perspective, quelques repères historiques peuvent être utiles.  Il y a eu, au douzième siècle, dans l’ensemble du peuple de Dieu, en dehors même des monastères un grand mouvement de renouveau spirituel, comportant un retour à la simplicité évangélique, à la prière simple et contemplative, à la pauvreté et à l’idéal de la communauté primitive de Jérusalem.  La fondation de Cîteaux est née comme un fruit de ce vaste mouvement de renouveau qui soufflait sur toute l’Église, et qui était essentiellement un mouvement laïc au coeur d’une Église qui était devenue extrêmement cléricale au cours des siècles précédents.

 

Cîteaux a donné une expression monastique à ce mouvement spirituel de renouveau et, à travers ses hauts et ses bas, à travers ses périodes de décadence, de réforme et de renouveau, l’a conservé vivant dans l’Église jusqu’à aujourd’hui.  Aujourd’hui l’Esprit Saint, qui ne manque pas d’humour, semble vouloir se servir de communautés monastiques, dont plusieurs sont devenues fragiles et humainement très faibles, pour faire revivre ce charisme de renouveau chez les laïcs, au coeur de l’ensemble du Peuple de Dieu, où il était né, et duquel les moines et les moniales l’avaient reçu.  Ainsi la boucle est refermée !

 

 

 

Questions et défis qui se posent aujourd’hui aux laïcs et à l’Ordre

 

 

A) Question d’une certaine reconnaissance des laïcs cisterciens

 

N’importe qui peut intégrer dans sa vie les valeurs chrétiennes qui sont au coeur de la vie cistercienne.  Et, évidemment, personne n’a besoin de permission pour le faire. Mais à partir du moment où une personne ou un groupe se donne un nom qui a déjà un sens bien précis dans la société et dans l’Église, une certaine forme de reconnaissance devient nécessaire, aussi bien pour les laïcs que pour les moines ou les moniales.  Le charisme « cistercien » n’appartient à aucun groupe ;  il appartient à l’Église, c’est-à-dire à l’ensemble du Peuple de Dieu.  Mais les Ordres Cisterciens et les Congrégations cisterciennes reconnues par l’autorité ecclésiastiques en sont les gardiens.  Si une personne ou un groupe n’ayant aucun lien avec aucune communauté monastique reconnue revêt l’habit cistercien et dit : nous sommes des « Cisterciens », l’autorité de l’Église devra dire, pour que le peuple de Dieu ne soit pas induit en erreur : « ce ne sont pas des Cisterciens », même si ce qu’ils vivent est peut-être très édifiant.  Ainsi en est-il des laïcs.  Des laïcs peuvent se dire « cisterciens » dans la mesure où ils ont reçu une forme ou l’autre de reconnaissance. 

 

Jusqu’ici, depuis près de 25 ans, l’Ordre cistercien de la Stricte Observance (qui n’est pas le seul mais le seul dont je puis parler en connaissance de cause ) a opté pour laisser le mouvement évoluer, en laissant à chaque communauté la responsabilité de faire son propre discernement en ce domaine.  Personnellement j’ai toujours cru que c’était jusqu’à maintenant la position la plus sage pastoralement, mais je fais aussi partie de ceux de plus en plus nombreux qui croient que le temps est venu d’une certaine reconnaissance plus officielle. Cette reconnaissance peut se faire à plusieurs niveaux.

 

a) Communauté locale.  Plusieurs groupes sont nés de l’initiative de quelques laïcs qui ont trouvé un accueil favorable auprès d’un membre de la communauté monastique.  Parfois l’abbé ou l’abbesse a tout simplement donné un accord tacite. En d’autre cas l’accord a été plus explicite et parfois c’est l’abbé lui-même qui accompagne le groupe.  Ceci peut fonctionner très bien mais reste fort précaire. En effet le moine qui accompagne le groupe peut mourir ou partir ailleurs et l’abbé peut dire qu’il n’a personne pour le remplacer.  De même un abbé peut être très favorable à la présence d’un groupe de laïcs rattachés à l’abbaye, mais son successeur peut ne pas vouloir en entendre parler.  C’est pourquoi certains pensent qu’il serait important qu’après un certain temps le chapitre conventuel de la communauté approuve par vote l’existence de ce groupe de laïcs cisterciens, de sorte que l’abbé suivant ne puisse pas le supprimer facilement.  Cependant un abbé peut toujours ne pas se sentir lié par ce vote si l’existence d’une telle communauté de laïcs, qui n’est pas prévue par nos Constitutions, n’est pas explicitement approuvée comme une possibilité par le Chapitre Général.

 

b) L’Ordre. Le Chapitre Général peut, comme il l’a fait, inviter des Laïcs cisterciens au Chapitre Général.  Il peut recevoir de Laïcs cisterciens réunis en Rencontre Internationale, une lettre et y répondre.  Tout cela constitue évidemment une reconnaissance implicite du mouvement ; mais cette reconnaissance implicite risque de ne pas avoir beaucoup de sens et même de devenir irresponsable, si le Chapitre ne précise pas ce qu’il reconnaît et à quelles conditions. 

 

Cette reconnaissance pourrait prendre plusieurs formes. On ne peut sans doute pas demander au Chapitre Général de reconnaître chacun des groupes de Laïcs cisterciens.   La reconnaissance dont je parle pourrait, par exemple consister simplement dans le fait que le Chapitre Général, dans un vote officiel, dise que chaque communauté est libre de s’associer un groupe de laïcs. Il pourrait alors déterminer certaines conditions. Par exemple il pourrait stipuler que, pour que des laïcs puissent se donner publiquement le nom de « cisterciens », ils devraient appartenir à une communauté ou une fraternité de laïcs approuvée par le chapitre conventuel de la communauté et peut-être stipuler que ni l’abbé seul ni la communauté ne pourronnt supprimer cette branche laïque de la communauté sans que ne soient remplies telles ou telles conditions. 

 

Théoriquement on pourrait penser à d’autres formes de reconnaissance officielle par l’Ordre, par exemple la Constitution d’une sorte de Tiers-Ordre, parallèle aux deux branches monastiques féminine et masculine.  Mais cette option me semble avoir bien peu d’amateurs.  Je ne m’y attarde donc pas.

 

De même je ne m’attarde pas non plus à l’option voulant que l’ensemble des communautés de laïcs cisterciens se fassent reconnaître par l’Église comme une Association Internationale de laïcs.  Bien peu, je crois, désirent aller dans ce sens.

 

 

Je vous invite donc à réfléchir, en groupes, sur les questions suivantes :

 

a) Désirons-nous une reconnaissance officielle de la part du chapitre conventuel de la communauté à laquelle nous sommes rattachés ?

 

b) Désirons-nous une certaine reconnaissance officielle du mouvement  des Laïcs cisterciens de la part de l’Ordre (ou de la Congrégation) monastique à laquelle nous sommes rattachés ?

 

c) Avons-nous une opinion concernant la forme que cette reconnaissance pourrait prendre ?

 

 

 

B) La gestion pratique d’un mouvement international

 

Les divers groupes de Laïcs cisterciens ont senti depuis longtemps le besoin de communier entre eux.  Cela a conduit à la tenue de trois Rencontres Internationales, sans compter la présente.  À chaque rencontre internationale les représentants des groupes présents ont demandé à quelques personnes de préparer la rencontre suivante et aussi d’assurer une certaine coordination des échanges entre les groupes entre les réunions.  Cependant la mission de ce groupe n’a jamais été définie clairement, en tout cas pas dans un texte voté par l’Assemblée. 

 

Une difficulté additionnelle est qu’une fois la Rencontre Internationale terminée le groupe de personne qui ont élu le Comité de direction (ou Steering Committee) en question, n’existe plus.  Il n’y a pas une personne morale (une organisation, une association, etc.) de qui le Comité de Direction reçoit son mandat et à laquelle elle devrai rendre compte de son mandat lors de la prochaine Rencontre.  N’y aurait-il pas lieu de vous constituer en une sorte d’Association libre de communautés de laïcs cisterciens, avec un nombre minimal de règles et de statuts, pour coordonner la communion et la communication entre les groupes et pour donner un mandat précis à un Comité de direction. (Mais il ne s’agit pas du tout ici d’une Association au sens canonique du terme).

 

Je vous invite donc à réfléchir, en groupes, sur les questions suivantes :

 

a) Désirons-nous une prochaine Rencontre Internationale ?

(Si la réponse est positive on pourra parler ensuite de la date et du lieu)

 

b) Désirons-nous établir comme la dernière fois un Comité de Direction ayant pour tâche à la fois de préparer cette Rencontre et de coordonner les communications entre les groupes d’une Rencontre à l’autre.

(Si la réponse est positive, il y aurait lieu de rédiger un mandat écrit à remettre à ce Comité ; et de pourvoir aux besoins économiques de son fonctionnement).

 

c) Désirons-nous établir une Association (avec peut-être un autre nom) de groupes (ou communautés) de Laïcs cisterciens qui confierait au Comité de Direction mentionné ci-dessus son mandat ?

 

 

Et ma suggestion serait que, sur chacun de ces points, vous preniez rapidement une position de principe avant d’entrer dans la discussion des détails.