Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Cet homme était Dieu

 

            « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ».  Cette parole mise par les Évangélistes sur les lèvres du centurion romain au moment de la mort de Jésus, est une belle expression de la démarche de foi des premiers Chrétiens. Cet homme avec qui certains d’entre eux avaient grandi en Galilée, qui avait été crucifié et qu’ils percevaient toujours vivant au milieu d’eux, ils le reconnaissaient Fils de Dieu.  

C’était l’aboutissement d’un long cheminement de l’humanité. Selon le livre de la Genèse, l’être humain avait été créé à l’image de Dieu. Durant des siècles, cet être humain avait eu une intuition de l’existence de Dieu.  Chaque fois qu’il avait pénétré suffisamment en lui-même, il avait perçu que quelque chose en lui le reliait à une réalité plus grande que lui. Il avait nommé cette réalité Dieu. Il s’en était créé des images. Il s’en était même formé une idée. Mais Dieu était autre que tout ce que l’homme pouvait imaginer ou penser.  

            Par l’incarnation, Dieu s’était enfin révélé, non pas dans toute sa divinité mais dans toute son humanité. En assumant notre humanité, Dieu nous révélait d’abord ce qu’est notre humanité, quelle est sa dignité, ce à quoi elle est destinée. Désormais ce n’est qu’à partir de l’homme Jésus que l’on peut arriver à la connaissance du Dieu Jésus et de Dieu tout court.  Les grands mystiques ne s’y sont pas trompés, eux pour qui la connaissance de soi-même, puis de son prochain, est la voie nécessaire pour arriver à la connaissance de Dieu.   

            Dans la recherche théologique contemporaine deux approches de la christologie se sont dessinées : l’une qui part de Dieu et l’autre qui part de l’homme.  L’une qui part de tout ce que les définitions dogmatiques nous enseignent sur Dieu et qui affirme que tout cela se trouve en Jésus sous une forme humaine, et l’autre qui part de l’homme Jésus et qui se laisse conduire par ses paroles et ses actes à une connaissance graduelle de son Dieu, de son Père, avec qui il ne forme qu’Un dans l’unité de l’Esprit.  

            Il y a peut-être eu des siècles où le danger pour les Chrétiens était de perdre leur foi en la divinité du Christ. De grands Conciles œcuméniques ont donc rappelé avec force cette divinité. De nos jours le danger pour les Chrétiens est plutôt de perdre la foi en l’humanité du Christ.   

Cette perte de la foi en l’humanité de Dieu en Jésus de Nazareth a eu des conséquences catastrophiques.  La principale conséquence a été la perte de la foi en l’humanité tout court, en la dignité de l’être humain créé par Dieu à sa propre image.  L’oppression de l’homme par l’homme à travers les guerres, la torture et toutes les formes de non-respect des droits humains fondamentaux est l’une des conséquences de cette perte de foi en l’homme, en l’humanité de Dieu révélée en Jésus de Nazareth. Qu’il suffise de mentionner à titre d’exemples les hécatombes en Afghanistan – après l’Irak -- et les atrocités au Kivu et, récemment, au Nigéria. 

            De nos jours, l’humain est non seulement en péril mais aussi confronté à de nouveaux défis offerts par les développements de la science, en particulier de la génétique et de la nanotechnologie. Dans ce monde imperméable aux certitudes mais ouvert à tous les questionnements, notre Église n’a pas beaucoup d’avenir si elle se présente comme marchande de certitudes enveloppées dans une rationalité – que celle-ci soit aristotélicienne, cartésienne, kantienne ou hégélienne. Sa mission est plutôt, plus que jamais, de redonner à l’humanité sa foi en l’homme, sans laquelle la foi au Dieu révélé en Jésus de Nazareth n’a pas de sens.

 

Armand VEILLEUX

dans L'Appel, avril 2010, nº 326, p. 24.