Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Haïti

 

Puni par Dieu ou par les hommes ?

 

À peine quelques jours après le tremblement de terre à Haïti, le télé-évangéliste Pat Robertson présentait cette tragédie comme une punition de Dieu.  Sans aller jusque là, plusieurs analystes se sont empressés de démontrer que les dommages matériels et surtout les pertes humaines auraient été beaucoup moindres si le pays n’avait pas été dans un tel état de pauvreté et de dysfonctionnement. Il est facile d’élaborer sur l’incompétence et la corruption des gouvernements successifs. Mais a-t-on jamais permis à ce peuple de prendre son sort entre ses mains ? 

L’histoire du peuple haïtien montre plutôt qu’il a été de façon répétée puni non par Dieu, mais par les hommes. Colonie espagnole depuis1492 puis occupé par la France en 1625, le pays fut transformé en immense plantation où, à la veille de la Révolution Française, 50.000 colons vivaient du travail de 700.000 esclaves.  

L’instabilité des pouvoirs politiques successifs fut due en très grande partie à l’impossibilité dans laquelle le pays fut mis d’atteindre une autonomie économique. Dès 1825, sous la menace d’un embargo, le pays dut accepter de verser 150 millions de francs-or à titre de réparation aux propriétaires français d’esclaves. Pour payer cette dette le pays dut emprunter auprès des banques françaises, américaines et allemandes. En 1900, Haïti consacrait 80% de son budget au remboursement de cette dette.            

Une occupation militaire américaine (1915-1934) rendue nécessaire pour protéger les intérêts des banques et compagnies américaines installées dans l’île fut suivie de la longue dictature des Duvalier, père et fils.  Cette dictature ne fut jamais inquiétée par l’Amérique ou l’Europe auxquels elle rendait des services.  Depuis lors, tous les efforts haïtiens pour se doter d’une démocratie ont été contrecarrés par des forces extérieures. 

Après le renversement de Duvalier, Jean-Bertrand Aristide, le prêtre des bidonvilles et la voix des sans-voix, remporta des élections démocratiques.  Considéré de gauche, il fut renversé l’année suivante par un coup d’État mené par des militaires soutenus par la bourgeoisie d’affaire et les États-Unis. Durant son exil aux États Unis, le pays fut « nettoyé » des leaders syndicaux et des responsables locaux qui lui étaient favorables.  Il fut ramené au pouvoir pour une brève période symbolique à la fin de son mandat non renouvelable. Elu de nouveau à la présidence, quatre ans plus tard, il fut déchu du pouvoir par les mêmes forces extérieures que la première fois, après une campagne de diabolisation.  

Depuis lors le pays croule sous une nouvelle oppression économique celle du FMI. On sait comment les politiques du FMI, assortissant toujours ses prêts de conditions telles que l’augmentation des prix de l’électricité et de la nourriture, le refus des augmentations salariales, la coupure des services sociaux, etc. ont déstabilisé un grand nombre de pays du Tiers Monde.  Il est probable que peu en ont souffert autant qu’Haïti. Par exemple, en 2003, selon un rapport du Center for International Policy, Haïti a consacré 57,4 millions de dollars pour le service de sa dette, alors que toute l’aide étrangère pour l’éducation, les soins de santé et autres services s’élevait à 39,2 millions.

 

Les projets actuels -- en apparence généreux -- de pays étrangers pour prendre en main la reconstruction de Haïti ressemblent à du cynisme plus qu’à de la philanthropie et encore moins à de la charité.  

Des centaines de milliers d’Haïtiens, intelligents et bien formés, vivent à l’étranger. Pourquoi ne pas leur donner la chance de reconstruire eux-mêmes leur pays ?

 

Armand VEILLEUX

dans L'Appel, mars 2010, nº 325, p. 24.