Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Leçon de Goma

 

dans L'Appel, janvier 2009, nº 313, p. 20.

 

 

            Je voudrais rendre hommage à la population de Goma, d’où j’écris ces quelques lignes. Depuis plus de douze ans, j’ai appris à apprécier et à admirer cette population que je visite une ou deux fois par année. Il est difficile d’imaginer chez un peuple une plus grande capacité de vivre et même de fêter, malgré une misère inimaginable.

 

            En 2002, une grande partie de la ville de Goma fut recouverte par les laves du Volcan Nyragongo.  Dans l’avenue centrale de la ville la lave atteignait une épaisseur de plusieurs mètres.  Un mois plus tard j’ai vu les gens de Goma reconstruire leurs maisons sur la lave solidifiée mais encore fumante. Quel courage !  .

 

            En décembre 2007, j’ai présidé la profession monastique de trois moines au monastère trappiste de Keshero, dans la banlieue de Goma.  Après la célébration liturgique et le repas frugal, les familles des trois moines – de trois ethnies différentes – dansaient sur le gazon, au rythme des combats à l’arme lourde qui se déroulaient à environ 15 kilomètres.

 

            Ce courage et cette capacité de vivre et de survivre est un acte d’accusation contre les grandes puissances qui ont concouru à engendrer cette misère et contre la communauté internationale qui n’a pas su réagir.  En 1997 un ensemble de puissances étrangères au Congo ( « les nouveaux prédateurs » comme les a si bien appelés  Colette Braeckman), décidèrent que le temps était venu de renverser le président Mobutu, qu’elles avaient maintenu au pouvoir aussi longtemps qu’il leur avait été utile.  Une guerre de « libération » fut planifiée qui, satellites américains à l’appui pour guider les troupes, conduisit Laurent-Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa.  Mais Kabila n’étant pas suffisamment docile aux pouvoir qui l’avaient mis en place, il fut assassiné et divers groupes rebelles, servant des intérêts étrangers, déclenchèrent de nouvelles offensives au Kivu dans une guerre que les gens de Goma, qui ne manquent pas d’humour, appelèrent la guerre de « dé-libération ». 

 

            En douze ans la guerre du Congo a fait plus de cinq millions de victimes surtout dans le Kivu.  Cela en fait la guerre la plus meurtrière depuis le Seconde Guerre mondiale. Et pourtant les médias l’ont pratiquement ignorée si l’on excepte un intérêt soudain – qui s’est d’ailleurs vite éteint – ces derniers mois. Il a servi d’utile diversion à la situation difficile que la crise économique créait pour les politiciens occidentaux.

 

            Il y a pourtant un lien direct en cette crise économique et la guerre du Kivu.  Cette guerre n’est pas d’abord une guerre tribale, comme l’Occident tend à la présenter.  Elle est essentiellement une guerre économique que se livrent les pays voisins et, derrière eux, les grandes puissances prédatrices d’Europe et d’Amérique par ethnies africaines interposées.  Le malheur du Kivu est d’être trop riche en matières premières dont ont grandement besoin les pays dits développés.  Aussi longtemps qu’il y a encore de ces matières à exploiter, qui a intérêt à ce que la paix s’instaure ?

 

            Les populations du Kivu donnent une grande leçon à l’Occident : même au milieu de misères sans nom engendrées par une culture qui a soumis les valeurs humaines aux dictats de l’économie, l’humanité est la plus forte.

           

            Ne serait-ce pas parce que cette humanité a été assumée, à travers l’Incarnation, par Celui qui l’avait créée ?

 

 

Armand Veilleux

 

 

Armand VEILLEUX

Père abbé de l'abbaye de Scourmont

 

 

dans L'Appel, janvier 2009, nº 313, p. 20.