Fondations dans l’Ordre

 

 

I - Tableau d'ensemble des fondations depuis la Seconde Guerre Mondiale

II - Les diverses étapes du Statut des Fondations

III - Approbation d’une fondation par le Chapitre Général

 

 

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I - Tableau d'ensemble des fondations depuis la Seconde Guerre Mondiale

 

          Un regard rapide sur la liste des monastères de l'Ordre, dans l'ordre de leur date de fondation, à la fin de l'Elenchus Monasterium, montre que les quelque soixante-cinq dernières années de l'Ordre ont été très fertiles en fondations.

 

          Parmi les monastères actuels de moines, 56 existaient déjà avant la 2ème Guerre mondiale, dont 15 ont été fondés après 1892. Des 26 monastères de moniales à la même date, 13 ont été fondés après 1892.  Depuis la guerre, 47 nouvelles communautés de moines et 46 nouvelles communautés de moniales. Parmi elles 5 communautés de moines et 8 de moniales sont des incorporations. Toutes les autres sont des fondations.

 

          Avant la guerre, seulement 12 monastères de moines se situaient hors d'Europe (8 en Amérique, 2 en Asie, 1 au Moyen-Orient et 1 en Afrique. À la même date 4 monastères de moniales seulement étaient situés hors d'Europe (2 au Japon et 2 au Canada).

 

          Parmi les fondations de moines faites depuis lors, 8 ont été faites en Europe de l’Ouest, 1 en Europe de l’Est, 10 en Amérique du Nord (9 aux USA et 1 au Canada, qui fut fermée par la suite); 7 en Amérique latine (5 en Amérique du Sud, 1 au Mexique, 1 dans les Caraïbes); 9 en Asie/Océanie; et 11 en Afrique/Madagascar. Parmi les fondations ou incorporations de monastères de moniales dans la même période, 17 (dont 8 incorporations) sont en Europe de l’Ouest; 1 en Europe de l’Est, 5 aux USA; 6 en Amérique latine (4 en Am. du Sud, 1 au Mexique et une en Amérique Centrale); 7 en Afrique et 5 en Asie/Océanie.

 

          Un des phénomènes intéressants est que cette augmentation continue du nombre des monastères est contemporaine avec une diminution continue du nombre de moines et de moniales. Un grand nombre de ces fondations ont été faites entre 1944 et 1960, quand les vocations étaient nombreuses et le nombre de moines et de moniales dans l'Ordre était en augmentation continue. Mais alors qu'il y a eu un changement radical dans le nombre des vocations à partir de 1960 pour les moines et quelques années plus tard pour les moniales, le mouvement des fondations ne s'est pas arrêté même s'il se ralentissait certainement un peu. La moyenne du nombre des moines par monastère en 1960 était de 55, maintenant elle est de 23. Pour les moniales, ces chiffres sont respectivement 46 et 25.

 

          La principale conséquence de ce phénomène a été qu'un certain nombre de maisons fondatrices ont fait l'expérience d'un manque important de vocations presque immédiatement après avoir fait des fondations, et pour cette raison n'étaient pas en mesure, en certains cas, de donner à ces fondations toute l'aide dont elles auraient eu besoin, spécialement dans le domaine de la formation.

 

 

1)    Selon les aires géographiques

 

a)    Europe

 

          Des 8 fondations de moines faites en Europe de l’Ouest durant cette période, 2 furent faites dans les années quarante, peu de temps après la seconde guerre mondiale: Nunraw par Roscrea en 1946 et Bethlehem par Mount Melleray en 1948. Ces deux fondations ont été faites dans des régions du Royaume Uni où la vie cistercienne n'était pas encore présente, Écosse et Irlande du nord. On ne peut pas dire la même chose pour Bolton fondé en 1965 dans la partie centrale de l'Irlande, pas très loin de Mount Melleray et de Roscrea, et de Sobrado fondé en 1966 sur la côte est de l'Espagne, pas très loin de Osera. Deux autres furent faites en Espagne par la suite et par la même communauté de La Oliva : Las Escalonias en 1994 et Zenarruza en 1996. Il faut y ajouter l’incorporation de Boschi en 1996 et celle de Myrendal en 2002, ainsi qu’une fondation récente en Europe de l’Est, celle de Novy Dvur 1999).

 

          Pendant la même période plusieurs monastères espagnols de moniales ont été incorporés à l'Ordre: Vico et Arevalo en 1951, Avila et Benaguacil en 1954, Carrizo en 1955 et Tulebras en 1957. Brialmont, en Belgique, a été incorporé en 1976 et Donnersberg, en Allemagne en 2002 et Géronde en Suisse en 2008.

 

          En dehors de ces incorporations, 9 fondations de moniales ont été faites en Europe de l’Ouest pendant cette période: Nazareth par Soleilmont (1950), Maria-Frieden par Berkel (1953), Valserena par Vitorchiano (1968), Paix-Dieu par les Gardes, Klaarland par Nazareth (1970), la Paz par Alloz (1976), et Armeintera encore par Alloz (1989) Tautra par Mississippi (1999) et Meymac par Laval (2007). Il faut y ajouter la fondation de Naši Pasi en Europe de l’Est par Vitorchiano (2007.

 

          Bien qu'on hésite à séparer en différentes catégories ces fondations européennes, on peut voir des différences évidentes entre celles qui furent faites peu après la 2ème guerre mondiale, avec les problèmes particuliers de cette époque, et celles faites dans les années soixante et soixante-dix. Maria-Frieden, fondé en Allemagne par des moniales hollandaises, seulement huit ans après la fin de la guerre est un bon exemple des difficultés rencontrées par le premier groupe. La Paix-Dieu et Klaarland fondés la même année (1970) sont les témoins des tentatives faites dans les années soixante-dix pour une nouvelle expression simplifiée du charisme cistercien.

          En ce qui concerne les incorporations de monastères de moniales pendant cette période, il pourrait être utile de réfléchir à la façon dont elles ont été réalisées et les difficultés qu'elles ont expérimentées, puisque nous pourrons avoir certains cas semblables dans le futur. Pendant les premiers siècles de l'Ordre, quand les incorporations de monastères étaient fréquentes, un groupe important de moines ou de moniales était souvent envoyé dans le monastère qui serait incorporé, afin d'aider la communauté à progresser dans l'esprit et le charisme cistercien. L'Ordre a-t-il eu un tel souci pastoral dans ces cas? Peut-être simplement cela n'a pas été jugé nécessaire.

 

 

b)    Amérique du Nord

 

          Avant la guerre, il y avait aux États-Unis d'Amérique 3 maisons de moines fondées au milieu du XIXème siècle, et elles avaient connu un développement lent jusqu'à la seconde guerre mondiale. Pendant et après cette guerre, il y a eu dans ces maisons, spécialement à Gethsemani et à Spencer, une augmentation étonnante du nombre des vocations. Plusieurs fondations ont été faites en quelques années, juste pour faire face à l'affluence des novices. Gethsemani a fait 5 fondations aux USA entre 1944 et 1955, et Spencer 3 entre 1948 et 1956. Au Canada il y avait 4 maisons. En 1977 une nouvelle fondation a été faite par Oka dans l'Ontario pour recevoir les vocations anglophones venant de l'Ouest et du centre du Canada ; elle a été fermée en 1998).

 

          La première fondation de moniales a été faite aux USA à Wrentham, en 1949 par Glencairn, et la seconde à Redwoods en 1962 par Nazareth. Dans les 30 années suivantes Wrentham fera 3 fondations aux USA: Mississippi (1964), Santa Rita (1972) et Crozet (1987). Les deux monastères de moniales au Canada n'ont pas fait de fondations. Mississipi fonda Tautra, en Norvège (1999).

 

          Ces fondations nord-américaines doivent une bonne part de leur vitalité au développement et au nouveau rôle de l'Église catholique américaine dans les décennies qui ont suivi la guerre. Elles ont apporté à l'Ordre, en particulier dans les années soixante-dix, un souffle de créativité qui a été généralement le bienvenu même s'il était parfois ressenti comme menaçant.

 

 

c)    Afrique

 

          En Algérie Atlas fut fondé par Aiguebelle en 1934. Ensuite en 1951, la fondation de Grandselve (maintenant Koutaba), également par Aiguebelle, a été le début d'une longue série de fondations faites en Afrique par plusieurs communautés de l'Ordre. Les monastères de moines sont: Mokoto, par Scourmont en 1954; Victoria, par Tilburg en 1956; Emmanuel, par Achel en 1958; Maromby, par Mont-des-Cats en 1958; Bela Vista, par San Isidro en 1958; Bamenda par Mount S. Bernard en 1963; Kokoubou par Bellefontaine  en 1972; Awhum adopté par Genesee en 1978. Nsugbe, au Nigeria par Bamenda en 2000 et Illah, également au Nigéria, incorporé en 2005 avec Genesee comme maison-mère.

 

          Les fondations de moniales en Afrique/Madagascar durant la même période ont été: La Clarté-Dieu par Igny (1955); Étoile Notre-Dame, par les Gardes (1960); Butende par Berkel (1964); Grandselve, par Laval (1968); Abakaliki, par Glencairn (1982); Huambo, par Valserena (1982); Kikwit, une fondation africaine par une autre fondation africaine, l'Étoile Notre-Dame (1991), et Ampibanjinana par Campénéac (1996). Kibungo, au Rwanda, a été fondé en 2002 par un groupe de soeurs ayant dû fuit Murhesa, au Congo, par suite de la guerre civile de 1996.

 

          Une des caractéristiques communes des fondations africaines est la difficulté de la situation économique qu'elles rencontrent actuellement. Elles sont presque toutes réduites à une économie de subsistance, produisant à peine assez pour se nourrir, alors que quelques-unes d'entre elles avaient, il y a quelques années, une économie florissante et étaient auto-suffisantes. Cette situation est due à celle de l'Afrique en général, qui dépend du système économique mondial et des situations locales au niveau social et politique. Quelques-unes, ont vécu (comme celles de l’Angola) ou vivent encore (comme celles de la Rép. Dém. du Congo) depuis des années dans une situation de guerre. La générosité avec laquelle elles sont fidèles à leur vie monastique dans ces conditions est admirable et, dans quelques cas, vraiment héroïque.

 

          Une autre caractéristique de beaucoup de ces maisons (pas de toutes cependant) est d'avoir un bon nombre de vocations, même si le discernement soit beaucoup plus difficile dans un contexte culturel où il n'y a pas une longue tradition monastique, et spécialement quand ce discernement doit encore être fait par des fondateurs d'une autre culture. En lien avec cela il y a, pour beaucoup de ces fondations, un grand besoin d'aide dans ce domaine, et l'impossibilité où elles se trouvent souvent d'obtenir cette aide, car la maison mère est elle-même terriblement à court de personnel. Un bon nombre de monastères auraient besoin d'au moins quelques personnes en plus pour être aidées au plan de la formation, ou simplement de moines ou de moniales mûrs et solides, pour donner seulement un témoignage de vie des valeurs monastiques aux jeunes en formation.

 

          Nos moines et nos moniales d'Afrique ont certainement une contribution spéciale à donner à l'Église locale dans le domaine de l'inculturation, comme le Pape Jean Paul II leur rappelait à Parakou il y a une quinzaine d’années, mais peut-être que le moyen le plus rapide pour cela est d'assurer une solide formation monastique de base à tous les jeunes africains qui viennent au monastère.

 

 

d)    Amérique Latine

 

          Presqu'immédiatement après avoir fait trois fondations aux USA Spencer en a fait deux en Amérique du Sud: Azul en 1958 et La Dehesa (plus tard appelé Miraflores) en 1960. (Miraflores est passé plus tard à Gethsemani). Ensuite, nous devrons attendre 20 ans avant que d'autres fondations soient faites en Amérique latine: Novo Mundo par Genesee en 1980 et Jacona par San Isidro en 1981. Quelques années plus tard: Los Andes par Holy Spirit en 1987 et Evangelio par Viaceli en 1989. Presque dix ans plus tard San Isidro fondra Paraíso.

 

          Quant aux moniales, Ubexy a fondé El Encuentro au Mexique en 1971. Puis il y aura trois fondations faites par Vitorchiano en Amérique du Sud: Hinojo (1973), Quilvo (1981), Humocaro (1985). Récemment Tulebras a fondé Esmeraldas en Équateur (1992). En 2001 Hinojo fonda Juigalpa en Amérique Centrale et Quilvo fonda Boa Vista au Brésil en 2009.

 

          Il y a maintenant en Amérique du Sud une présence monastique solide et bien établie. La Conférence régionale cistercienne (REMILA) ainsi que les différentes Conférences monastiques de Bénédictins et Cisterciens d'Amérique latine sont très actives pour veiller à la formation de leurs membres. Bien que les distances soient grandes entre les maisons, les moyens de transport sont certainement bien meilleurs qu'en Afrique. Le nombre des vocations a un peu diminué depuis une dizaine d’années, mais il y a déjà un solide noyau de moines et moniales sud américains dans chaque communauté.

 

          Une autre raison pour laquelle les fondations en Amérique du Sud ont rencontré beaucoup moins de difficultés que celles d'Afrique, est que cette Église a des racines qui remontent à plus de 500 ans, même si la vie monastique comme telle, n'a jamais été présente pendant la période de la colonisation, sauf au Brésil. Le très petit nombre de vocations venant de groupes ethniques sud-américains est une question qui peut mériter réflexion. Naturellement cela est lié avec l'histoire de la colonisation et de l'évangélisation du continent.

 

 

e)    Asie/Pacifique du sud

 

          Consolation en Chine, Phare au Japon, et Latroun en Israël, ont été fondés au siècle dernier. En 1953, trois ans avant de fonder Victoria en Afrique, Tilburg fondait Rawa Seneng en Indonésie. Puis, quelques années après avoir fondé Nunraw et Bethlehem, Mount Melleray fondait Kopua en 1954, et Roscrea fondait Tarrawarra la même année. Plusieurs années plus tard, en 1968, Sept-Fons fondait N.D. des Iles, faisant revivre une fondation faite en Nouvelle Calédonie un siècle plus tôt, et en 1972 la région américaine fondait N.D. des Philippines. En 1980 Phare fondait Oita dans la partie centrale du Japon, et en 1991 Vina fondait Shuili à Taiwan. On peut mentionner ici Saint-Sauveur, au Liban fondé en 1998 par Latroun et fermé en 2006.

 

          La série des fondations de moniales dans cette partie du monde durant cette période commença avec trois fondations japonaises faites par d'autres communautés japonaises: Imari, par Tenshien (1953), Nasu, par Nishinomiya (1954), et Miyakojima, également par Nishinomiya (1981). Il y eut ensuite une fondation en Corée, Sujong, par Tenshien (1987) et Gedono en Indonésie par Vitorchiano en 1987. Vinrent ensuite Rosary, fondation faite par Nishinomiya en 1993 et adoptée ensuite par Gedono ; Matútum par Vitorchiano (1993), et Ananda Matha, en Inde par Soleilmont (1995).

 

          Il est impossible de faire des remarques générales sur ce groupe de monastères, car ils représentent une très grande variété de cultures et de situations. Lantao et Shuili continuent courageusement, mais dans des situations vraiment difficiles, la tradition cistercienne établie par N.D. de Consolation, un des plus grands monastères de l'Ordre peu d'années après sa fondation. Les monastères japonais de moines et de moniales sont des témoins d'une solide implantation du charisme cistercien au Japon depuis presqu'un siècle. Kopua tient bon avec courage tandis que Tarrawarra et N.D. des Philippines ont été bénies par d'assez nombreuses vocations etc. Rawa Seneng et Gedono ont aussi une bonne proportion de leurs communautés en formation. N.-D. des Iles en Nouvelle Calédonie, fondée en 1968 a été fermée en 2001.

 

          Un trait commun à beaucoup de ces monastères est la très grande distance géographique qui les sépare de la maison mère. N.D. des Philippines est un cas intéressant, puisque c'est une fondation préparée et assumée par toute une région.

 

 

2)    Quelques réflexions complémentaires

 

 

a) Relation avec la maison fondatrice

 

          Selon la tradition cistercienne, une communauté est fondée par une autre communauté qui lui transmet sa propre expression de l'esprit cistercien. Pour qu'une fondation réussisse et se développe il est normalement nécessaire qu'elle ait été voulue et qu'elle soit soutenue chaleureusement par la maison mère. Quand une fondation est le projet personnel d'un abbé, ou d'un petit groupe de fondateurs, sans être assumée par toute la communauté (ou au moins par une grande partie), il y a peu de chance qu'elle se développe. Il y a des cas de fondations qui ont commencé comme une aventure personnelle et qui se sont bien développées, mais seulement parce que, à un certain moment, elles ont été assumées et adoptées par la communauté du fondateur.

 

          La relation entre la maison mère et la fondation, pendant les premières années de la fondation, c'est-à-dire jusqu'au moment de l'autonomie, est aussi essentielle pour le sain développement de la nouvelle maison. Une communauté ne devrait pas fonder une maison si elle ne prévoit pas la possibilité de continuer à soutenir la fondation pendant plusieurs années, financièrement ou, au moins, en personnel. Il faut une paternité responsable!

 

 

b) Responsabilité collective

 

          Malgré ce qui vient juste d'être dit, il reste que des communautés qui semblent être tout à fait en mesure de faire une fondation, font soudain l'expérience d'un manque de vocations et parfois d'une crise économique dans leur propre communauté, et ne peuvent plus aider leur fondation d'une manière adéquate. Selon nos Constitutions, quand le Chapitre Général approuve une fondation, toutes les maisons assument une responsabilité collective à son égard. Il faut dire qu'il y a une grande générosité dans l'Ordre, spécialement quand une fondation a besoin d'aide matérielle. Mais il y a actuellement un grand nombre de fondations (et aussi de communautés anciennes!) de l'Ordre qui ont un besoin extrême d'être aidées en personnel, en particulier de personnes capables d'aider pour la formation des jeunes moines ou moniales, et elles ne peuvent pas recevoir cette aide.

 

 

c) Nombre des fondateurs

 

          Dans l'Ordre le nombre traditionnel pour une fondation était de 12 moines ou moniales. Autrefois, souvent un plus grand nombre était envoyé. Dans notre récent Statut des fondations on ne demande plus que 6 personnes, et parfois une exception est même demandée sur ce point au moment de l'approbation. Y a-t-il un nombre idéal?... Quand un groupe important arrive dans une culture différente, spécialement dans les jeunes églises, le danger est de transposer dès le début d'importantes structures importées qui seront difficiles à adapter plus tard. On a adopté un nombre plus restreint plus tard, non seulement à cause du personnel disponible moins nombreux dans les maisons fondatrices, mais aussi parce qu'on sentait qu'il était plus facile pour un petit groupe de s'adapter à une culture différente. Mais l'expérience tend à montrer que si nous voulons établir quelque part notre genre de vie cistercienne commune, le groupe ne doit pas être trop petit. Non seulement six semble être un minimum, mais parmi ces six, en plus du supérieur, il doit y avoir un bon administrateur ou cellérier, un maître des novices, et une personne capable d'être second supérieur. Créer une situation ou le supérieur de la fondation doit assumer seul toutes ces tâches ne semble pas loyal ni pour le supérieur, ni pour la fondation.

 

d) Adaptation et inculturation

 

          L'inculturation est un thème qui ne peut pas être absent d'une réflexion sur les fondations de l'Ordre dans les jeunes Églises. Le 9 février 1992, pendant son voyage en Afrique, le Saint Père à mentionné son importance à nos moines et moniales de Parakou: "La vie monastique est une grande force spirituelle pour une Église particulière... Je connais la vitalité des communautés de ce diocèse, dont une a déjà fait une fondation en dehors du Bénin. J'invite les communautés monastiques à offrir leur contribution, spécialement dans le domaine de l'inculturation" (Osservatore Romano, édition hebdomadaire en français, 9 fév.1993).

 

          Très souvent, cependant, quand on parle d'"inculturation" on pense seulement à "adaptation". Il y a une différence importante entre les deux. L'adaptation est quelque chose de nécessaire, important même, mais qui reste superficiel. Quand on arrive en étranger dans une autre culture, il est normal de s'adapter aux coutumes de la population locale. Et nous pouvons dire que, dans l'ensemble, les fondateurs de nos fondations cisterciennes mentionnées ci-dessus ont été très courageux et généreux pour s'adapter aux situations locales, en ce qui concerne la nourriture, le vêtement, les bâtiments, etc. L'usage d'instruments de musique locaux dans la liturgie est de même nature et cela a été fait dans une bonne mesure. L'inculturation est quelque chose de beaucoup plus profond. C'est quelque chose qui se produit de soi-même quand les représentants d'une culture ont intégré l'expérience de foi et l'expérience monastique. Le point important est que ce qui est inculturé n'est pas une série de coutumes extérieures mais une expérience intérieure.

 

          Quand on visite des monastères de l'Ordre dans les jeunes églises, c'est un privilège de voir assez de moines et moniales "authentiques" parmi les vocations locales et permet d'affirmer qu'il y a un authentique processus d'inculturation bien en route.

 

 

II - Les diverses étapes du Statut des Fondations

 

          Les Constitutions de 1894 et de 1924 comportaient bien peu d’éléments concernant la manière de faire une fondation et le processus que celle-ci devait suivre pour arriver au stade de l’autonomie. Aussi, les Chapitre Généraux, surtout à partir de 1925 prirent un certain nombre de mesures en réponse à des situations particulières[1].

 

          C’est en 1953 que le Chapitre des moines, en réponse à la situation nouvelle créée par les fondations d’après-guerre en Amérique et la nouvelle vague de fondations qui commençaient en Afrique, rédigea un premier Statut des Fondations pour les communautés de moines (Actes, pp. 39-42).  Un Statut pour les fondations de moniales fut approuvé l’année suivante – toujours par le même Chapitre des moines ! (Actes, pp 24-26). (Il est curieux de constater que ces deux Statuts sont rédigés en latin, alors que le Chapitre de 1953 approuve d’autres documents semblables, y compris un Statut de la Commission de Liturgie, rédigés en français).

 

          La vague de fondations des années suivantes fit que les Chapitres Généraux durent apporter de nombreuses modifications à cette législation.  La situation particulière de plusieurs nouvelles fondations amena l’Ordre à rédiger un « Statut des fondations lointaines », approuvé ad experimentum en 1967 (Actes, pp. 170-171) et revu en 1969 (Actes, pp. 326-327). Il s’agissait surtout de répondre aux difficultés rencontrées par ces fondations dans l’accession au rang de maisons autonomes.  On parle aussi alors de « fondations simplifiées » (Voir Actes du CG de 1965, pp. 105-106 et de 1967, pp. 146-147), bien qu’on ne rédige pas de Statut particulier à leur sujet.  On en réserve cependant strictement l’approbation au Chapitre Général.

 

          On sentit bientôt le besoin d’étendre à toutes les fondations les normes spéciales prévues en 1967 pour les fondations « lointaines ». D’ailleurs la notion de « fondation lointaine » était en elle-même problématique.  Lointaine de quoi ?  Le Chapitre Général des Abbés de 1974 approuva  -- ad experimentum, évidemment ! – un nouveau Statut qui supprimait la distinction juridique entre fondations ordinaires et fondations dites lointaines, et concédait à toutes la possibilité de passer par le stade de « semi-autonomie », bien que cette notion fût elle aussi extrêmement problématique.

 

          Les Abbesses, à leur Chapitre de 1975, sur la base de ce Statut des moines, qu’elles modifièrent sur un certain nombre de points, votèrent leur propre Statut (Compte Rendu, pp. 25-28), ce qui amena les Abbés, en 1977 à approuver un nouveau Statut des Fondations (Compte Rendu, pp 42-44) plutôt que de confirmer celui qu’ils avaient approuvé ad experimentum en 1974.  Le point difficile était toujours celui de la notion de « semi-autonomie ».

 

          Un certain nombre de modifications effectuées dans la législation au moment de la rédaction des Constitutions fit qu’un nouveau Statut fut rédigé.  Il fut présenté et voté rapidement à la fin du Chapitre Général de 1987, sans que les Capitulants eussent le temps de le bien examiner (Compte Rendu, pp. 307-310). Il s’agissait désormais d’un Statut unique pour les moines et les moniales  Le texte en fut présenté en trois langues (anglais, français et espagnol) non sans de nombreuses différences – souvent de nuances, mais en certains cas plus que de nuances – entre les trois versions, et sans qu’aucune des trois versions n’aie été indiquée comme texte original.  C’est pourquoi le Conseil Permanent fut amené en 1996 à présenter à l’approbation des Chapitres Généraux une harmonisation de ces trois versions.

(Voir votes, dans le Compte Rendu, p. 43)

 

          Diverses modifications au Statut furent votées aux RGM de 2002 et 2005, Elles concernent surtout le moment où est requise l’approbation du Père Immédiat d’une fondation de moniales et le droit de vote pour les professions aussi longtemps qu’une maison n’est pas encore autonome.

 

          L’évolution de ce Statut au cours du dernier demi-siècle est un bel exemple de la façon dont l’évolution de la vie amène à un rajustement constant de la loi.

 

 

Le problème insoluble de la semi-autonomie

 

          Au début de l’Ordre, lorsqu’on faisait une fondation, l’abbé était choisi et béni avant de quitter la maison fondatrice.  Il partait alors avec ses douze compagnons (souvent plus) et la fondation était, dès le premier jour, une abbaye. Lorsque se multiplièrent, vers le milieu du 20ème siècle, les fondations dites « lointaines », c’est-à-dire dans un pays ou un continent loin de la maison fondatrice, et donc dans une culture différente, il devenait difficile d’envoyer un fort contingent de fondateurs.  On croyait d’ailleurs que cela pourrait rendre difficile l’intégration des vocations locales et le processus d’inculturation. Comme voie de conséquence l’accession à l’autonomie, qui nécessitait la présence de douze profès solennels pouvait être retardée de plusieurs années.

 

          Le Chapitre Général de 1967 inventa alors la notion, plutôt boiteuse du point de vue juridique, de « semi-autonomie ».  En réalité le prieuré semi-autonome était une maison sui iuris, ses membres y étant stabiliés, élisant son propre supérieur qui était supérieur majeur et membre de droit du Chapitre Général.  La maison-mère conservait cependant à l’égard de ce prieuré autonome des obligations semblables à celle qu’elle pouvait avoir à l’égard d’une fondation.  De plus, dans la version de 1967, corrigée cependant en 1969 sur ce point, l’abbé de la maison fondatrice était désigné comme « abbé fondateur » et non pas comme « père immédiat ». En même temps ces mêmes Chapitres Généraux de 1967 et 1969 donnaient aux fondations non encore autonomes des droits qui relevaient normalement de la maison fondatrice, surtout concernant les votes pour l’admission des novices à la profession.

 

          Le nouveau Statut des Fondations approuvé ad experimentum par le Chapitre des Abbés en 1974 consacrait la notion de semi-autonomie et limitait à six – et non plus à douze, le nombre de moines requis pour qu’une maison soit élevée à ce rang.  Dans le Statut qu’elles rédigèrent à leur Chapitre de 1975, les abbesses conservèrent l’essentiel des caractéristiques données à ce nouveau type de maison, mais lui refusèrent le titre de « semi-autonome », ce qui amena le Chapitre des abbés de 1977 à reconsidérer la question.

 

          Cette notion de « semi-autonomie » était une anomalie juridique.  Déjà la Commission de Droit de 1976 (voir rapport, p. 16) faisait remarquer qu’on concevait assez généralement dans l’Ordre qu’une telle maison n’était pas « totalement autonome », alors que, du point de vue canonique, elle l’était tout autant qu’un prieuré autonome ou une abbaye.  Dom Vincent Hermans prépara donc pour le Chapitre suivant des Abbés une nouvelle version du Statut qui abandonnait cette notion alambiquée de semi-autonomie.  Mais la majorité des Capitulants, peu sensibles aux finesses juridiques, et voulant assurer à ces jeunes communautés le droit de recevoir de l’aide de la maison fondatrice, firent en sorte que cette notion soit réintroduite dans le Statut.  Les Abbesses la ré-introduirent donc docilement dans leur Statut l’année suivante (1978).

 

          Dans les Constitutions votées par les moines à Holyoke en 1984 et dans celles votées par les moniales à El Escorial en 1985, l’expression « prieuré semi-autonome » a été remplacée par celle de « prieuré simple » (pour distinguer celui-ci d’un « prieuré majeur »). Mais la réalité juridique demeurait la même.  Lorsque le texte de nos Constitutions fut présenté au Saint-Siège, l’une des remarques faites par la Congrégations des Religieux était qu’il fallait supprimer cette distinction entre deux catégories de prieurés, puisqu’il s’agissait toujours d’une maison sui iuris et donc pleinement autonome.  Nous avons insisté pour maintenir cette distinction dans le Statut 5.A.c de nos Constitutions (approuvées en 1990) avec une note au bas de la page (la seule note de toutes nos Constitutions) disant que c’était « selon le droit propre de l’Ordre »... un droit remontant à 1967. Ce qui fait que, jusqu’à aujourd’hui, dans l’esprit de plusieurs membres de l’Ordre, y compris des Pères Immédiats, le « prieuré simple » n’est pas totalement autonome !...

 

          Dans la branche masculine de l’Ordre, lorsqu’une fondation acquiert son autonomie, elle devient maison fille de sa maison fondatrice. Un problème spécial est créé dans la branche féminine du fait que lorsqu’une fondation accède à l’autonomie, elle perd tout lien juridique avec sa maison fondatrice, mais celle-ci conserve des obligations spéciales à son égard jusqu’à l’accès au statut de prieuré majeur ou d’abbaye.  Cela a amené certaines régions et les Commissions Centrales de Cardeña (2007) à demander une étude sur la possibilité de maintenir dans ces cas une relation de caractère juridique.  Il est difficile de concevoir ce que pourrait être cette relation à moins que l’on accepte de s’orienter vers l’instauration d’un système de filiation dans la branche féminine parallèle à celui de la branche masculine.

 

          En même temps, les exigences pour l’approbation d’une fondation étant devenues moins grandes et interprétées parfois de façon plutôt large, certaines fondations restent dans ce statut durant de nombreuses années. Les vocations locales sont alors amenées à faire leur profession – y compris la profession solennelle -- pour la maison-mère, qui peut être sur un autre continent, et qu’ils n’ont jamais visitée.  Au cours des derniers Chapitres Généraux diverses solutions ont été cherchées, avec parfois des décisions non concordantes entre les deux Chapitres, concernant les votes canoniques pour l’acceptation à la profession.  La suggestion a été faite de ne pas admettre de candidats ou candidates à la profession solennelle tant qu’une communauté n’est pas sui iuris.  Certains répondent que ce serait injuste à l’égard des candidats ou candidates qui ont parfois neuf ans de voeux temporaires et qui voudraient s’engager pour la vie.  D’autres répondent qu’il n’est pas juste non plus de leur permettre de s’engager pour la vie alors que la maison où ils vivent n’a pas encore d’existence juridique ni d’avenir certain et qu’ils/elles n’ont aucunement l’intention d’aller vivre dans la maison fondatrice qui est d’une autre langue, d’une autre culture et sur un autre continent. 

 

          L’évolution du Statut des Fondations est l’exemple d’une législation qui a sans cesse évolué pour répondre aux exigences nouvelles de la vie.  Elle manifeste aussi les dangers de l’introduction de nouvelles catégories juridiques non suffisamment bien pensées qui crée par la suite des problèmes juridiques et humains insolubles.  L’Ordre devra sans doute dans les années à venir repenser cette question dans son ensemble, non seulement à la lumière de l’histoire des 50 dernières années, mais aussi de toute la Tradition de l’Ordre depuis le 12ème siècle jusqu’à aujourd’hui,

 

 

III - Approbation d’une fondation par le Chapitre Général

 

1)    L’importance et le sens de cette approbation

 

          Nos Constitutions, après une brève mais importante Première Partie, intitulée Le Patrimoine Cistercien, et une deuxième beaucoup plus longue, intitulée La Maison de Dieu ou le Monastère, en a une troisième qui décrit comment tous les monastères autonomes sont reliés en un seul Ordre.

          La première Constitution de cette troisième partie (C. 71) décrit comment les Supérieurs de l’Ordre exercent une responsabilité collégiale sur l’ensemble des monastères de l’Ordre, tout spécialement lorsqu’ils sont réunis en Chapitre Général.

          Selon la C. 79, intitulée La Compétence du Chapitre Général, la toute première responsabilité du Chapitre Général est « d’approuver les nouvelles fondations de monastères ».

          L’approbation d’une fondation par le Chapitre Général n’est donc pas une simple formalité à remplir à un moment quelconque du processus de fondation, mais une chose de très grande importance, puisque c’est la première responsabilité du Chapitre Général, avant même l’élection des Officiers de l’Ordre ou l’acceptation de leur démission ou l’approbation des changements dans les Constitutions, etc.

          Quel est donc le sens de cette approbation, qui fait qu’elle soit si importante.  La C. 69 le dit d’une façon très succincte : « Les abbés qui approuvent une fondation entourent la jeune plantation de leur soin fraternel ».  Le Statut des Fondations le dit d’une façon un peu plus élaborée :  « La fondation ne peut être reconnue comme telle qu’après l’approbation du Chapitre Général.  Par cela les abbés accueillent la nouvelle fondation dans la communion de charité unissant tous les monastères de l’Ordre et ils s’engagent à l’assister d’une façon fraternelle. »

 

2)    Le moment de cette approbation

          Puisque les Supérieurs de l’Ordre, en approuvant une nouvelle fondation, assument à son égard une responsabilité collégiale, il est essentiel qu’ils puissent le faire en connaissance de cause et puissent examiner si toutes les conditions énumérées dans le Statut des Fondations ont été respectées.  Ils doivent donc, en communion avec la Communauté fondatrice, porter un jugement collégial sur l’opportunité de faire la fondation à tel lieu, à tel moment.  Ils doivent surtout s’assurer collégialement que la Communauté fondatrice est en état de faire une fondation viable sans mettre son propre équilibre en danger.

          Pour toutes ces raisons, le vote d’approbation du Chapitre Général perd tout son sens et devient une simple formalité juridique si la demande d’approbation est faite au moment où la fondation est déjà réalisée d’une façon irréversible.

 

3)    La pré-fondation ou la cellule cistercienne ?

          Deux « projets » de fondations de moniales avaient vu le jour en 1978. Le premier était constitué par un groupe de jeunes angolaises qui se préparaient à Benaguacil, en Espagne. Le deuxième était celui de Mère Agnese de Vitorchiano au Venezuela.  Le Chapitre Général des Abbesses de 1981 demanda à l’Abbé Général et son Conseil « d’assumer temporairement la responsabilité de la « pré-fondation » en Angola », leur déléguant le pouvoir de l’approuver comme fondation lorsque la situation le permettrait. (votes 58 et 59). Était ainsi introduite la notion de pré-fondation.

          La fondation d’Humocaro constitua une situation plus difficile. Commencée comme « fondation diocésaine » , elle fut graduellement assumée par Vitorchiano. Le Chapitre Général des Abbesses de 1985, après de difficiles et douloureux échanges approuva les démarches faites par la Communauté de Vitorchiano en vue d’une fondation régulière et confièrent de même à l’Abbé Général et son Conseil le soin d’approuver la fondation lorsque toutes les conditions seraient réalisées. 

          Les réticences les plus fortes concernant cette dernière approbation (i.e. celle d’Humocaro) vinrent des Supérieurs et Supérieures de la Remila, qui ne voulaient pas entendre parler de « pré-fondation » considérant qu’une pré-fondation était une réalité extérieure à l’Ordre et n’avait donc pas besoin de l’approbation du Chapitre Général.  

          Ce sont ces douloureuses discussions qui conduisirent à l’introduction dans le Statut des Fondations à partir de 1987, d’une section intitulée « Cellule cistercienne (ou Pré-Fondation) ». Le but était de permettre à un petit groupe d’au moins deux personnes d’aller sur le lieu prévu pour la future fondation afin d’apprendre à connaître la culture locale et, au besoin, la langue, et de préparer (et non pas réaliser) la fondation. Un aspect non négligeable de cette formule, et en fait la première raison de son introduction, était de pouvoir considérer cette « cellule cistercienne » comme une « maison religieuse » selon les normes du droit si bien que des moniales pourraient aller préparer une fondation sur place sans avoir à demander un indult d’exclaustration (comme cela s’était fait auparavant).

          Or, ce qui s’est passé est que, depuis lors, on a constamment utilisé cette formule pour faire des fondations en bonne et due forme avant même de demander l’approbation du Chapitre Général.  Dans de très nombreux cas, lorsque l’approbation du Chapitre Général est demandée, le terrain a été acheté, le monastère a été construit (au moins en partie, sinon en totalité), la vie communautaire y a débuté, souvent avec une célébration imposante de l’Église locale.   Que peut faire alors le Chapitre Général sinon donner sa bénédiction au fait accompli, son rôle de discernement devenant tout à fait exclu ? Pas surprenant alors que la solidarité collégiale à l’égard de ces fondations, lorsqu’elles sont dans le besoin, joue de moins en moins.

 

4)    Les conditions requises pour faire une fondation

 

          Le Statut des Fondations énumère un certain nombre de choses sur lesquelles doit porter le discernement de la Communauté qui veut fonder, avant que celle-ci puisse entreprendre une fondation.  La première condition mentionnée est que la communauté ait ce qu’il faut en personnel qualifié et en ressources matérielles.  Ce serait évidemment aller contre l’esprit de l’Ordre et du Statut que d’entreprendre une fondation sans que ces conditions soient remplies, en comptant que les autres monastères de l’Ordre viendront bien à la rescousse.

          Pour répondre à des situations nouvelles, le Statut des Fondations (qui n’a cessé d’être modifié pratiquement à chaque Chapitre Général) prévoit, depuis 2002, la possibilité pour deux ou plusieurs maisons de l’Ordre de s’unir pour faire une fondation.  Quelques beaux exemples existent.  On peut penser, par exemple que deux communautés peuvent s’unir pour constituer un groupe fondateur de six personnes, en en fournissant chacune trois.  On peut aussi penser à une communauté qui a le personnel suffisant mais n’a pas les ressources financières et qui élabore un projet commun en partenariat avec une autre communauté qui n’a pas le personnel mais peut apporter l’argent nécessaire.

          Pour qu’un projet collégial de ce genre aie du sens, il faut que ce soit vraiment un « projet commun », et donc que toutes les communautés concernées soient également impliquées dans le processus de discernement dès de point de départ et à chacune des étapes.  Si une communauté allait de l’avant de façon tout à fait autonome dans un processus de fondation, en prenant toutes les décisions, laissant à une autre simplement le soin de pourvoir aux besoins financiers, on ne serait plus du tout dans une situation de solidarité ou de collégialité cistercienne.

 

5)    Aide financière provenant de la Caisse d’Aide de l’Ordre

          Depuis quelques années l’Ordre dispose d’une Caisse d’Entraide, où les monastères qui le désirent versent annuellement ce qu’ils peuvent, cette somme étant redistribuée aux monastères de l’Ordre dans le besoin qui en font la demande.

          Au début de l’an 2009, la Commission chargée de gérer cette Caisse d’Entraide s’est vue confrontée à un certain nombre de demandes pour financer la mise en marche ou le développement de fondations non encore approuvées par le Chapitre Général.  Après échange et consultation avec l’Abbé Général et son Conseil, la Commission a estimé que l’argent dont elle dispose ayant été donné pour les monastères de l’Ordre elle ne pouvait pas l’utiliser pour financer des fondations sur lesquelles le Chapitre Général n’a pas encore pu exercer son devoir de discernement en vue d’assurer une responsabilité collégiale. Tout ce qui précède explique les fondements d’une telle décision, que le prochain Chapitre Général pourra évidemment remettre en cause.

          À l’auteur de la présente note, il semble urgent que le Chapitre Général réaffirme d’une façon claire à quel moment du processus de fondation doit intervenir l’approbation du Chapitre Général et ce qu’il est licite et légitime -- ou non -- de faire avant cette approbation, dans la mesure où l’on veut qu’il s’agisse d’une fondation cistercienne.

 

Armand Veilleux

                                                                    

         

 

 

         

 

                                                                    

 

 

 

         



[1] Cette évolution a été étudiée par Colette FRIEDLANDER, dans son étude Décentralisation et identité cistercienne 1946-1985, Ed. du Cerf 1988, spécialement pages 146-159 et 456-468.