Questions monastiques en général
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Un demi-siècle de
fondations monastiques
Réflexions de Armand Veilleux, ocso
Les Cisterciens ont l’esprit
d’aventure. Cela est sans doute dû à
leurs origines, le départ de Molesme pour le désert de Cîteaux ayant été une
singulière aventure. Et cela semble vrai
en particulier pour la branche de l’Ordre dite de la Stricte Observance, dont
la plupart des monastères sont issus directement ou indirectement de l’Odyssée
de quelques moines partis de la Trappe au moment de la Révolution française et
revenus en France quelques générations plus tard après avoir semé des
fondations dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et en Amérique.
Il n’est donc pas surprenant que les
Cisterciens de la Stricte Observance, dits Trappistes, aient accueilli avec un
réel enthousiasme l’appel de Pie XII à porter la vie monastique contemplative
dans toutes les Jeunes Églises. D’autant
plus que, en cette période d’après-guerre, les
vocations étaient nombreuses. Les monastères européens fondèrent en général
dans ce qui était encore des colonies de leurs pays respectifs alors que les
Américains se tournèrent vers l’Amérique latine. Les Irlandais et les Hollandais fondèrent
dans les pays d’Asie-Pacifique et le monastère italien de Vitorchiano allait
essaimer dans toutes les directions.
La naissance de l’AIM coïncida avec
le début de ce mouvement de fondations, et les supérieur(e)s des maisons
fondatrices manifestèrent dès le début un grand intérêt pour cet organisme qui
allait se constituer comme un secrétariat de la Confédération bénédictine. Dans
cette première phase de son existence l’AIM était avant tout, en effet, un
organe où les supérieur(e)s de maisons ayant une ou des fondations dans ce
qu’on appelait alors le Tiers-Monde pouvaient échanger leurs expériences, leurs
difficultés et leurs solutions à ces difficultés. Cette entraide fraternelle était très précieuse pour
tous. Le sigle AIM signifiait alors Aide à l’Implantation Monastique. J’ai toujours aimé ce titre et j’en garde une
certaine nostalgie. Je ne comprends pas les objections qu’on y a faites plus
tard. Une fondation monastique est toujours la transmission de la vie
monastique à une autre. Le mot « implantation » signifie précisément
qu’il s’agit d’un organisme vivant, d’une plante ou d’une semence qui est déposée
dans une nouvelle terre, et qui y croîtra et deviendra rapidement une plante
autonome.
Toute la première vague de
fondations en Afrique, en Amérique Latine et en Asie eut lieu avant que le mot
« inculturation » ne fût inventé et n’apparût dans les documents de
l’Église dans les dernières années de la décennie ’60. On peut dire que la plupart des fondateurs et
fondatrices firent des efforts courageux et parfois héroïques pour s’adapter aux coutumes des pays où ils
arrivaient avec, évidemment, leur propre culture. Par la suite c’est souvent à
cette adaptation qu’on donna le nom d’inculturation, même si celle-ci est
quelque chose de tout autre qu’une simple adaptation. Il est intéressant de
constater que les fondations dites « autochtones », c’est-à-dire
faites en Afrique par des Africains ou en Amérique Latine par des
Latino-américains furent en général celles qui copièrent le plus servilement le
modèle européen. Cela se comprend, car c’était leur seul point de repère
« monastique » ; alors que des fondateurs ayant déjà vécu la vie
monastique depuis de nombreuses années avant de partir en fondation savaient
mieux faire la distinction entre ce qui était l’essence de la vie monastique et
ce qui était des formes extérieures qu’on pouvait laisser tomber ou adapter à
la situation locale.
Les efforts plus systématiques d’adaptation réalisés durant
les décennies ’70 et ’80 donnèrent souvent de beaux résultats, surtout au
niveau des célébrations liturgiques, mais on se rendit graduellement compte que
la véritable inculturation ne pouvait
pas se programmer. Elle ne pouvait que jaillir d’elle-même de l’expérience
vécue, après une ou deux générations de vocations monastiques locales. Après des efforts, parfois naïfs et souvent
faits surtout par les fondateurs plutôt que par les vocations locales pour former
un monachisme africain ou latino-américain ou asiatique, on se rendit
graduellement compte que l’inculturation consisterait plutôt à laisser naître
une façon monastique d’être Africain, Latino-américain ou Asiatique.
Dans la première période de son existence l’AIM organisa de
grands congrès sur divers continents, les plus fameux ayant été ceux d’Abidjan,
de Bangkok et de Bangalore. Il s’agissait alors de susciter un partage
d’expérience et aussi une réflexion commune sur le vécu des fondations
monastiques. Mais on constata rapidement que ce dont avaient le plus besoin les
fondations nouvelles étaient une aide dans le domaine de la formation. L’AIM y travailla et y travaille toujours à
travers de nombreuses initiatives : envoi de formateurs et de matériel de
formation ; organisation de sessions de formation en divers pays ;
aide financière à ceux et celles qui sont envoyés en Europe ou en Amérique pour
une formation plus approfondie en vue de retourner dans leur monastère pour y
travailler eux(elles)-mêmes à la formation.
C’est durant cette première phase de développement de l’AIM
qu’est né le Dialogue Interreligieux à la demande du Saint
Siège et qui fut un sous-secrétariat de l’AIM avant d’acquérir son existence
autonome. Il a rempli jusqu’à
aujourd’hui deux rôles. Il s’agissait
d’abord de permettre à un certain nombre de moines et de moniales de
s’impliquer activement et profondément dans ce dialogue au nom de leur
communauté et du monachisme chrétien. Un autre but, plus important mais parfois
oublié, était de sensibiliser l’ensemble des moines et des moniales de nos
communautés à l’importance de ce dialogue et de les ouvrir à la connaissance
des autres traditions religieuses, spécialement celles où des formes de vie
monastique s’étaient développées. Ce mouvement ne toucha pas très fortement la
plupart des fondations dans les Jeunes Églises. Cela se comprend du fait qu’il fallait d’abord assurer à ces jeunes
communautés une formation monastique chrétienne solide avant que ses membres
puissent s’ouvrir au dialogue avec d’autres traditions.
Au début des années ’90, au fur et à mesure que plusieurs des
fondations faites au cours des décennies antérieures étaient assez solidement
établies, avec pour la plupart des supérieur(e)s autochtones, l’AIM se rendit
compte que l’aide ne pouvait plus
être considérée seulement dans une direction. On remplaça donc l’appellation Aide à l’Implantation Monastique par Aide Inter-Monastères. Il s’agissait de susciter un mouvement
d’entraide dans lequel l’aide viendrait aussi bien des Jeunes Églises vers les
Vieilles Chrétienté que dans l’autre direction. Lors d’une réunion du Conseil de l’AIM le rêve fut même exprimé que
l’AIM devienne un forum où des représentants de toutes les grandes traditions
monastiques de l’Église d’Occident puissent réfléchir non seulement sur leurs
problèmes communs mais aussi sur les grandes questions qui se posent à l’Église
et à la Société de notre temps. Ce désir
est demeuré un rêve, mais un rêve qu’il convient de ne pas laisser mourir.
L’appellation plus récente « Alliance
Inter-Monastères » répond assez bien à cette préoccupation, même si elle
fut finalement adoptée pour éviter le problème des connotations diverses que le
mot « aide » peut avoir dans les langues modernes. Le mot
« Alliance » a d’ailleurs l’avantage d’avoir une très riche
connotation biblique.
Un certain nombre de fondations réalisées dans les années ’50
et ’60 ont déjà fait elles-mêmes des fondations dans leur pays ou leur
continent. Par ailleurs d’autres
n’arrivent pas à connaître un véritable développement après 30 ou 40 ans
d’existence. Tout en prenant en
considération les difficultés provenant des situations politiques et économique
locales qui sont parfois catastrophiques, on peut dire que le résultat d’une
fondation dépend en général de la solidité et de la cohésion du groupe
fondateur et donc de sa capacité de transmettre la vie. L’assistance que l’AIM
peut ou pourrait apporter aux maisons désireuses de faire une fondation est
probablement aussi important que celle apportée à la fondation elle-même.
Scourmont, juillet 2011
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