Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Quand la religion perd la foi

 

Foi et religion

 

Dès que l’être humain fut à même de réfléchir, il s’efforça de trouver un sens à sa vie et à sa relation avec le cosmos.  Il exprima ensuite cette vision et la transmit à ses descendants dans une série de récits, de traditions, de rites et de codes moraux. La première opération était de l’ordre de la foi, la seconde de l’ordre de la culture. 

Depuis les premiers temps de l’humanité, l’être humain s’est compris dans une relation avec une réalité transcendante. Ce qui fait qu’à travers tous les âges, jusqu’à l’apparition de l’athéisme théorique à notre époque, la foi en l’homme a toujours impliqué une foi en Dieu.  Si bien que toutes les expressions culturelles dans lesquelles s’est exprimée la perception que l’être humain avait de son existences ont eu une dimension religieuse. 

Cela est, paradoxalement, tout aussi vrai de la laïcité contemporaine que des diverses formes historiques de foi en l’homme et en Dieu.  Dans ses expressions positives, la laïcité implique une compréhension du sens de la vie humaine et donc une foi en l’homme.  Cette compréhension s’exprime dans un ensemble de convictions et de comportements qui ont, au moins sociologiquement, toutes les caractéristiques d’une religion. Ainsi, la « laïcité organisée » telle qu’on la connaît en Belgique, peut, en toute rigueur de termes, être considérée comme une religion laïque.

 

L’humain étant de sa nature un être social, aucune « foi » -- que ce soit la foi en l’homme ou la foi en Dieu – ne peut exister sans une certaine expression culturelle et religieuse. Malheureusement l’inverse est possible. Une religion peut se vider du contenu de foi qui lui a donné naissance.  Elle peut graduellement « perdre sa foi ». Elle se referme alors sur elle-même, devient défensive, puis agressive.  C’est ainsi que naissent tous les fondamentalismes.  Plus la coupure d’avec la foi est complète plus le fondamentalisme devient radical. 

 

Diverses formes de fondamentalisme 

On stigmatise particulièrement de nos jours le fondamentalisme islamique, qui, la plupart du temps, n’a plus rien de commun avec la foi musulmane. Malgré son langage religieux, la nébuleuse Al Quaida – ou l’épouvantail de fabrication occidentale auquel on a donné le même nom – est une expression religieuse qui a perdu la foi. Lorsqu’un islamiste se fait exploser en criant Allah Akbar, ce cri n’est pas un acte de foi, mais simplement un réflexe identitaire, tout comme le God bless America par lequel un président américain termine son discours annonçant l’entrée en guerre contre les islamistes. 

Il y a donc aussi diverses formes de fondamentalisme chrétien.  Plus une pratique religieuse chrétienne est coupée de la foi, plus elle se cantonne dans la peur et le repli identitaire ; que ce soit le fondamentalisme radical qui a poussé l’Amérique dans une guerre sainte contre l’Islam, ou celui des objecteurs de conscience aux ouvertures de Vatican II

La troisième expression de la nébuleuse fondamentaliste moderne est le fondamentalisme laïque.  C’est l’attitude de ceux qui, n’étant plus animés par une authentique foi en l’homme, se cantonnent dans une opposition radicale à tout ce qui est perçu comme « religieux », oubliant que leur comportement a, sociologiquement, toutes les dimensions d’une religion. 

Ces trois formes de fondamentalisme – chrétien, islamique et laïque – qui sont trois expressions d’une religion ayant perdu la foi, constituent l’un des grands dangers contemporains de l’humanité.

 

Le besoin est grand d’un nouveau Souffle.

 

Armand VEILLEUX

dans L'Appel, juin 2010, nº 328, p. 24.