Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Les faits vrais et la vérité des faits.

                Dans un judicieux commentaire sur le rapport du Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU sur les massacres commis au Congo de 1993 à 2003, Colette Braeckman invite à ne pas confondre les faits vrais avec la vérité des faits, soulignant que « aligner des faits vrais ne suffit pas à cerner la vérité ».  On peut recueillir de nombreux témoignages prouvant que les soldats rwandais ou congolais ont exterminé des groupes de réfugiés dans les forêts du Congo ; cela ne servira guère la vérité aussi longtemps qu’on n’aura pas fait toute la lumière sur le rôle des puissances étrangères qui apportaient leur support logistique aux groupes en présence.

                Ce principe de sagesse rappelé par Colette Braeckman pourrait avantageusement être appliqué à de nombreuses autres situations qui ont fait la une des journaux.

 Ainsi, lors de son premier essai à l’exercice d’une juridiction universelle, en alignant une liste de faits vrais la justice belge a fait condamner comme complices du génocide deux jeunes moniales rwandaises, dans un même procès avec deux génocidaires notoires. Dans un contexte normal où la Belgique n’aurait pas eu à se refaire une virginité suite au gâchis de son intervention au Rwanda, il serait apparu évident que ces deux jeunes soeurs n’avaient tout simplement pas su comment réagir à des événements démentiels dans un contexte où personne -- depuis les plus hautes autorités de l’ONU jusqu’au dernier fonctionnaire local -- n’a su réagir de façon décente.

                Dans un domaine tout autre, un nombre impressionnant, de personnes au sein de toutes les institutions de la société, y compris malheureusement l’institution ecclésiale, ont été victimes d’abus sexuels durant leur enfance.  Elles disent actuellement leur douleur – vingt, trente ou soixante ans après les faits – en partie parce que l’institution ecclésiale a pris l’initiative de créer une commission leur permettant de le faire.  Leur souffrance doit être accueillie avec le plus grand respect. Ce respect n’existe plus lorsque leur souffrance est mise sur la place publique et utilisée pour des campagnes où ils n’ont rien à gagner.

Cette libération de la parole, pour nécessaire qu’elle soit, n’est que la première étape vers la recherche de la vérité.  Celle-ci exigerait une analyse du disfonctionnement de l’ensemble des institutions de notre société, qui a conduit à de telles situations et a maintenu durant trop longtemps l’omerta sur des situations dont personne ne voulait parler. Et est-il encore permis d’oser rappeler sans être accusé de vouloir défendre l’indéfendable, la différence entre une mise en accusation, si accablants que soient les faits, et une condamnation qui doit venir à l’issu d’un procès cherchant à faire la vérité en confrontant tous les faits et en les éclairants les uns par les autres ?

 Les médias ont un rôle important dans la publication des faits. Passe encore qu’ils se transforment en accusateurs. Lorsqu’ils se muent en juges, ils rendent eux-mêmes difficile sinon impossible d’arriver à la vérité des faits.

 

Armand VEILLEUX