Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

(S’)excommunier

 

            Dans la vie de saint Pachôme, un moine copte du 4ème siècle, on peut lire cette charmante histoire.  Un jour, deux moines ont un différend et en viennent aux coups.  On les amène tous les deux devant Pachôme, encore jeune supérieur plein de zèle. Il chasse le premier du monastère et excommunie le second. Alors un vieillard dit : « Si Pachôme chasse ce frère parce qu’il a péché, alors je dois partir également, car je suis pécheur moi aussi. Ceux qui ne sont pas pécheurs peuvent demeurer avec Pachôme. » Et tous les moines de partir. Pachôme court alors après eux et les ramène au monastère. Après un  moment de réconciliation dans l’oratoire, Pachôme reste en prière et, se rendant compte qu’il a manqué à la charité en étant trop sévère, il décide de s’excommunier lui-même.

 

            Il n’est peut-être pas inutile de relire ce récit à notre époque où l’on parle tellement d’excommunication et de levée d’excommunication.  Depuis longtemps nous concevons l’excommunication comme une punition qu’une autorité décide d’imposer, puis décide plus tard de retirer. Dans l’antiquité on considérait plutôt qu’on se séparait soi-même de la communauté ecclésiale (donc, on s’excommuniait) en manquant à la communion. D’autre part, l’excommunication disparaissait lorsque, par la conversion et la pénitence, on rentrait dans la communion de charité et de foi avec ses frères et ses soeurs. 

 

            L’histoire de saint Pachôme, rapportée plus haut, suppose une conscience ecclésiologique où la réalité centrale est celle de la communion.  L’Église est constituée par la communion de tous ceux qui ont mis leur foi dans Jésus de Nazareth. C’est la communion dans une même foi, mais aussi dans une même charité et une même espérance. C’est pourquoi, chaque fois que, par un acte ou une attitude, je brise cette communion ou la mets en danger, je m’excommunie moi-même. Et ce n’est qu’en changeant mon attitude ou manifestant mon regret pour  l’acte en question, que je rentre dans la pleine communion de la communauté ecclésiale.

 

            La communion dans la foi exige aussi une certaine communion dans la façon de dire notre foi, tout en respectant une grande diversité dans les langages utilisés pour la dire.  C’est pourquoi, périodiquement, tout au long de son histoire, l’Eglise a connu des Conciles œcuméniques, où l’ensemble des pasteurs évêques, -- en communion avec les fidèles de leurs Églises respectives, en communion aussi entre eux et avec le successeur de Pierre qui est l’un d’entre eux – déterminent une façon authentique de dire certains aspects fondamentaux de la foi.  Ils expriment aussi une vision commune de ce que Dieu attend de son Église en ce moment dans ses relations avec l’ensemble de l’humanité, avec la société civile et les autres traditions religieuses.

 

            Même lorsqu’il ne s’agit pas de définitions dogmatiques au sens strict, se séparer soit de l’enseignement d’un Concile, soit de la vision qu’il a de la mission de l’Église, soit tout simplement de la sensibilité spirituelle et ecclésiale de la très grande majorité du peuple de Dieu exprimée par ce Concile, c’est s’excommunier soi-même, que cette excommunication soit confirmée ou non par un décret.  Et, qu’intervienne ou non une nouvelle déclaration de l’autorité hiérarchique, la seule façon de lever vraiment cette excommunication est de rentrer dans la communion de l’Église en communiant vraiment avec ses soeurs et frères dans la foi, reconnaissant le souffle de l’Esprit dans la grand expression de foi, d’amour et d’espérance collective que fut le Concile.           

 

 

Armand VEILLEUX

 

 

dans L'Appel, mars 2009, nº 315, p. 20.