Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Excommunier ou guérir ?

 

            Il y a une trentaine d’année, dans un village africain, une jeune religieuse qui était devenue enceinte après avoir eu une aventure avec un prêtre fut prise de panique et se fit avorter.  La supérieure de cette jeune soeur décida de la chasser de son institut et exigea que les deux coupables soient traduits devant le conseil des anciens du clan pour qu’ils soient punis de façon exemplaire selon les coutumes traditionnelles.  Après délibération, le chef de la tribu, un bon « païen », déclara : « Ce sont deux personnes de Dieu.  C’est avec Lui qu’elles doivent régler leur problème ; ce n’est pas à nous de les juger ».

 

            Cette histoire m’est revenue à la mémoire ces jours-ci lorsque j’ai appris que l’excommunication qui avait pesé sur quatre évêques schismatiques européens et qui venait d’être levée s’était envolée en direction du Brésil et s’était écrasée sur la maman d’une petite fille de neuf ans et une équipe médicale.  J’ai regretté que l’archevêque de Recife, Mgr José Cardoso Sobrinho ne semble pas avoir entendu la Bonne Nouvelle que ce païen avait perçue au fond de son coeur.

 

            Le Fils de l’homme est venu pour que nous ayons la Vie, et que nous l’ayons en plénitude.  Le mot « péché » est le nom de tout ce qui étouffe ou tue la vie en nous-mêmes et chez ceux qui nous entourent. Jésus n’a jamais pactisé avec le mal mais a toujours montré de l’amour miséricordieux envers les pécheurs.  Ce n’est qu’avec les « hypocrites » (et c’est ainsi qu’il appelle les Pharisiens) qu’il s’est montré implacable.

 

            Il est très préoccupant de voir comment certains groupes, et mêmes certains épiscopats, y compris dans des pays caractérisés par de nombreuses formes structurales de violence se sont braqués sur une seule forme d’interruption de la vie -- au point de favoriser ou de diaboliser les candidats politiques en fonction de leur attitude à l’égard de cette seule question.  Ne devrait-on pas respecter la position de ceux qui croient que ce n’est pas en criminalisant les personnes qu’on limite le nombre de ces tragédies humaines mais en s’attaquant aux causes qui y conduisent ?

 

            Il y a plusieurs façons d’interrompre la vie ou son développement.  Il y a la vie interrompue des jeunes soldats qu’on envoie se faire tuer à l’autre bout du monde pour défendre des intérêts économiques, établir des empires ou essayer de réaliser des projets fantaisistes de nouvel ordre mondial.  Il y a la croissance interrompue de tous ces enfants nés dans la pauvreté et qui n’auront jamais la chance de développer leurs talents et d’acquérir les connaissances nécessaires à une vie épanouie.  Il y a le meurtre de tous ces jeunes encore vulnérables et influençables que des adultes détruisent en leur vendant de la drogue.  Il y a aussi, évidemment, l’interruption de la vie dans le sein maternel, et tous les crimes contre la vie, comme l’exploitation et le viol par exemple, qui ont pu conduire à une telle décision. 

 

            Criminaliser une forme d’interruption de la vie tout en fermant les yeux sur toutes les autres ne sert pas à grand chose sinon à donner bonne conscience à ceux qui se jugent dans la catégorie des « bons ». Quiconque a interrompu en lui-même ou chez les autres la croissance de la vie s’est séparé de la communion avec Celui qui est venu pour que nous ayons la vie en plénitude.  L’excommunication prononcée par les hommes n’ajoute rien et ne guérit rien. Ce dont ces personnes – c’est-à-dire nous tous d’une façon ou d’une autre, un jour ou l’autre – ont besoin c’est de suffisamment d’amour pour croire de nouveau à la vie et s’y ouvrir sans peur et sans réticence.       

 

Armand Veilleux

 

dans L'Appel, avril 2009, nº 316, p. 20.