Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

AMÉRIQUE LATINE

 

L’espérance menacée 

 

Un coup d’État militaire 

En novembre 2005 le peuple du Honduras élisait comme président Manuel Zelaya.  Bien qu’ issu lui-même d’une famille de riches propriétaires terriens, il travailla avec succès durant les premières années de son bref mandat à réduire la pauvreté. Il se rapprocha aussi des autres chefs d’État d’AL s’efforçant de libérer leur continent du joug des multinationales.  C’en était trop. Une opposition constituée de la bourgeoisie, des militaires et de Chrétiens d’extrême droite le renversa.  La communauté internationale refusa unanimement de reconnaître la légitimité de ce coup, qui fut dénoncé par les Jésuites, les Franciscains et les Dominicains du Honduras, ainsi que par les prêtres de plusieurs diocèses, celui de Trujillo en particulier,  et par quelques évêques des régions pauvres du pays, tels que Luis Santos Villeda de Santa Rosa de Copan.  Même les États-Unis, qui ne furent certainement pas étrangers au coup, n’allèrent pas jusqu’à en reconnaître la légitimité.  Ce que fit cependant, de façon incompréhensible, au nom des évêques du pays le  Cardinal Oscar Andrés Rodriguez Maradiaga. 

 

Une indépendance toujours remise en question 

Les pays d’AL, après avoir été colonisés par les Espagnols et les Portugais, qui exterminèrent une grande partie des peuples indigènes, connurent, après leur indépendance, une nouvelle colonisation de caractère économique et furent pour la plupart longtemps soumis à des régimes militaires au service de cette seconde colonisation. Puis vint une vague de chefs d’État néolibéraux au service de la ploutocratie dont ils provenaient : Collor au Brésil, Menem en Argentine, Fujimori au Pérou, Andrés Pérez au Venezuela et Sanchez de Losada en Bolivie.  Plus récemment, de façon presque inattendue, plusieurs pays se sont élu des politiciens venus du peuple et soucieux de redonner  leurs droits aux classes pauvres et de libérer leurs pays de l’emprise des multinationales : Evo Morales en Bolivie, Lula au Brésil, Fernando Lugo au Paraguay, Chavez au Venezuela. 

 

Une Église qui ne parle pas d’une seule voix 

Le rôle de l’Église au cours de cette longue évolution fut toujours ambigu. Si l’Église officielle fut au côté des pouvoirs espagnols et portugais à l’ère de la colonisation, de nombreux missionnaires se firent les défenseurs des peuples indigènes.  À l’époque des dictatures militaires, certains Nonces Apostoliques furent très proches des pouvoirs en place (Angelo Sodano au Chili et Pio Laghi en Argentine). Mais ce fut aussi l’époque du grand développement des communautés de base et celle de théologiens enracinés dans l’expérience concrète de leur peuple, qui travaillèrent à la libération non seulement de leur peuple mais aussi de la théologie elle-même.  Ce fut aussi l’époque glorieuse des évêques charismatiques comme Elder Camara, Arnulfo Oscar Romero, et Pedro Casadalíga. La libération politique actuelle de ces peuples vaut beaucoup à cette semence d’Évangile. 

Depuis lors une distance plus grande s’est créée entre le peuple et un épiscopat graduellement reconfiguré dans la ligne d’un mouvement ayant ses racines dans l’Espagne franquiste. Le Cardinal Cipriani de Lima approuva jusqu’au bout les méthodes de Fujimori, et l’archevêque Julio Terrazas de Santa Cruz de la Sierra en Bolivie appuya l’an dernier la volonté sécessionniste des riches propriétaires du département de Santa Cruz après l’élection de l’indigène Evo Morales à la présidence.  Cependant le sang versé par de nombreux fidèles et pasteurs continue de donner son fruit. 

L’espérance qui anime les peuples de l’AL est toujours bien vivante même si elle demeure toujours menacée. 

 

Armand Veilleux

dans L'Appel, janvier 2010, nº 323, p. 24.