Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

 

Vous avez dit démocratie ?

 

            On doit aux Athéniens du 5ème siècle A.C. l’idéal de démocratie, réalisé sous de nombreuses formes au cours des siècles.  Les modalités que nous connaissons en Occident sont des formes de démocratie indirecte.   

            Périodiquement, les citoyens se soumettent à un rituel appelé « élection ». En pratique, nos sociétés sont constituées de deux classes : celles des administrés et celle des administrateurs.  Ces derniers sont, d’une part,  les représentants de la haute finance et des multinationales et, d’autre part, les élus – ces deux groupes ne se laissant mutuellement qu’une marge limitée de manœuvre.  Malgré le grand nombre de pauvres que connaissent nos démocraties, ces derniers reçoivent suffisamment d’attention pour que leur situation soit tolérable.  Si bien qu’on est globalement satisfait du système, même si Platon ne s’y retrouverait guère. 

            Un problème se pose toutefois lorsque l’Occident décide d’imposer ce modèle aux peuples d’autres continents. On a ainsi voulu démocratiser certains pays par les armes.  La situation catastrophique actuelle de l’Iraq et de l’Afghanistan sont des démonstrations éloquentes de l’absurdité d’une telle approche. Mais il y a d’autres façons plus subtiles de « provoquer » l’accès d’un peuple à la démocratie. 

            Depuis une dizaine d’années plusieurs pays ont changé de gouvernement, à la suite de révolutions populaires dites « spontanées », mais qui suivent toutes le même modèle.  Ayant lieu généralement dans le contexte d’une élection,  le résultat de celle-ci est contesté avant d’être connu, et avant même toute vérification. Les jeunes sont mobilisés et leur mouvement reçoit le nom sympathique d’une fleur ou d’une couleur (rose, orange, verte, ou de velours, etc.), l’argent nécessaire est trouvé pour soutenir leur mobilisation jusqu’à ce que l’élu officiel cède et démissionne.         

            L’Occident a en général applaudi toutes ces révolutions, se laissant facilement émouvoir par leur fraîcheur juvénile, d’autant plus qu’elles déposaient parfois des personnages peu sympathiques.  La presse est moins mobilisée  par la suite pour faire connaître comment les personnages arrivés au pouvoir de cette façon n’ont guère démontré plus d’esprit démocratique que ceux qu’ils avaient déposés.  

            Un exemple récent, est celui de l’Iran.  Le président Mahmoud Ahmadinejad ne suscite évidemment aucune sympathie en Occident.  Dès qu’un des autres candidats à l’élection présidentielle, Mirhossein Mousavi, déclara que l’élection avait été truquée, l’Occident se mit massivement derrière lui avant même qu’on ait pu vérifier ce qu’il en était, même si ce candidat frustré appartenait aussi à la caste religieuse dominant le pays et que son accession au pouvoir n’aurait pas changé grand chose.  Des journalistes de grand renom ne nourrissant pourtant aucune sympathie pour Ahmadinejad, comme Robert Fisk,  croient que ce dernier a vraiment eu la majorité des voix à travers le pays même si pas le pourcentage qu’on lui a attribué. D’autres bons connaisseurs de l’Iran, comme Patrick Cockburn, avaient averti dès le début que cette « révolution populaire » ne réussirait pas et qu’elle serait écrasée dans la violence comme les Intifadas palestiniennes. L’Occident, en supportant aveuglement cette autre « révolution de couleur » s’est évidemment donné bonne conscience.  Mais qu’a-t-il apporté au peuple iranien sinon un peu plus de douleur et de misère ?    

            En 1951 les Occidentaux avaient organisé le renversement du seul régime démocratique et laïc qu’ait connu l’Iran, celui de Mossadegh. Quand apprendrons-nous de nos erreurs ? 

 

Armand Veilleux

 

 

 

dans L'Appel, octobre 2009, nº 320, p. 24.