Démocratie en
danger
Un coup d’état comme
celui du Paraguay démontre un malaise de la démocratie. La réaction de la
diplomatie vaticane pose problème. N’y aurait-il pas là un problème théologique
concernant le Peuple de Dieu ?
Le 22 juin 2012, Fernando Lugo, président du Paraguay,
était renversé par un de ces coups d’état qualifiés de « démocratiques ». Il s’agit d’une procédure par laquelle une
poignée de parlementaires utilisent habilement une clause de la Constitution du
pays pour renverser un président élu par des millions de citoyens.
L’Amérique Latine a connu plusieurs coups militaires souvent
orchestrés par les puissances étrangères. Les révolutions dites « de
couleur », utilisées pour renverser des élus jugés indésirables, ont assez
bien fonctionné en Europe de l’Est, mais ont moins réussi en Amérique Latine ou
en Afrique. Les « coups démocratiques » sont une nouvelle approche.
Le Paraguay avait été dirigé pendant 61 ans par le parti
Colorado, y compris les 35 ans de la dictature d’Alfredo Stroessner,
représentant une oligarchie où 2% de la population possède 84% des terres
arables. En 2008 Fernando Lugo assembla une coalition de partis qui le firent
élire à la tête du pays avec un programme de juste répartition des terres. Depuis lors, la vieille garde a fait plus de
vingt tentatives de destitution avant celle qui a réussi. L’oligarchie a repris
possession du pays.
Cette parodie de la démocratie n’est malheureusement pas
un cas isolé. C’est ainsi que Manuel Zelaya avait été
renversé au Honduras en 2009. Un coup semblable contre Rafael Correa en Équateur en 2010 fut heureusement raté. Celui du
Paraguay comporte cependant des éléments inquiétants. Alors que la communauté
internationale, à commencer par les États latino-américains, rejetait en masse
la légitimité du nouveau gouvernement, le nonce apostolique au Paraguay, Eliseo Ariotti, s’empressait
d’aller le jour même offrir ses voeux au nouveau
président. Ce geste a laissé un goût amer dans la gorge de tous les défenseurs
des Droits de l’Homme au Paraguay et un peu partout en Amérique Latine. Il
rappelait la façon dont le Cardinal Andrés Rodriguez Madariaga avait appuyé, en 2010, le coup du
Honduras lui aussi condamné par la communauté internationale. Sans parler de la grande tristesse de las Madres de los Desaparecidos au Chili lorsqu’elles virent apparaître Jean-Paul II en 1987 au balcon du
palais présidentiel La Moneda, au côté du président Pinochet dont le
gouvernement militaire avait fait arrêter, torturer et tuer leurs fils.
Bien sûr, il ne faut pas oublier qu’avant d’être
président de son pays Fernando Lugo avait été évêque – l’évêque des pauvres, comme on l’appelait -- et qu’il avait demandé d’être relevé de ses
obligations sacerdotales pour servir son pays comme président. Cela peut
expliquer la rapidité de la réaction de la diplomatie vaticane, guère connue
d’habitude pour sa célérité. Des
religieux et religieuses du Paraguay ne tardèrent pas à déclarer que le nonce avait
ainsi rempli son rôle de représentant diplomatique de l’état du Vatican, et non
pas de leur Église.
Ce genre de situations montre que notre démocratie est
malade. L’Église ne pourrait-elle pas
contribuer à la guérir en l’assumant pleinement dans son propre mode de fonctionnement ? Elle a su, dans les siècles passés, assumer
et adapter la monarchie héritée de l’Empire romain. Pourquoi ne pourrait-elle
pas faire de même avec la démocratie ?
Mais voilà ! Pour qu’il y ait démocratie il doit y
avoir un peuple. À Vatican II des évêques visionnaires ont
travaillé ferme pour que la vision pyramidale de l’Église soit remplacée par celle
de Lumen Gentium,
qui place en tête le Peuple de Dieu. Malheureusement cette expression (qui aurait,
selon certains, des relents marxistes !) a pratiquement disparu des
documents pontificaux surtout depuis le Synode extraordinaire de 1985. La célébration du cinquantenaire de Vatican
II serait un moment idéal pour redécouvrir ce
« peuple » et sa mission.
Armand VEILLEUX
L’Appel, nº 349, Septembre 2012