Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

 

La démocratie telle que vécue en Occident est loin de ce qu’était l’idéal de Platon. Les groupes de pression en son sein favorisent des intérêts privés plutôt que le bien commun. Qu’en est-il de groupes de pression au sein de l’Église ?

La démocratie à réinventer

 

            Les pays d’Occident sont fiers de leur démocratie et, dans leur générosité, ils veulent en faire partager le reste du monde.  L’Irak et l’Afghanistan ont payé un fort minerval pour l’apprendre.       

Platon, qui en a rêvé l’un des premiers, aurait certainement beaucoup de difficulté à reconnaître son rêve dans nos diverses formes actuelles de démocratie représentative.  À tous les quatre ou cinq ans le peuple se soumet à un rituel appelé élection. Les élus, lorsqu’ils réussissent à former un gouvernement, entreprennent de gérer le pays au nom de ceux qui les ont élus.  Mais leur marge de manœuvre est assez limitée. Elle est conditionnée avant tout par la situation économique du pays qui dépend largement de politiques économiques et financières élaborées par de grands groupes supranationaux.

 

Le pouvoir de la rue et ses limites

            Des peuples opprimés ont parfois des sursauts de dignité provoquant des mouvements de foules qui chassent des dictateurs. Cela est arrivé il n’y a pas longtemps en Tunisie et plus récemment en Égypte. Dans la plupart des cas leur révolution leur est subtilisée. La rue peut renverser un dictateur, et on s’en réjouit.  Elle ne gère pas un pays. Les Iraniens, faisant face, mains nues, aux chars d’assaut de l’armée ont renversé le Shah.  Ils ont hérité non pas de la démocratie, mais de Khomeiny. Les intérêts de l’Otan, de la France en particulier, en Tunisie sont trop grands pour qu’on permette l’instauration d’une démocratie tunisienne totalement autonome.  L’Égypte et son armée sont trop importantes dans l’échiquier du Moyen-Orient pour que les Américains n’entreprennent pas, dès le départ de Moubarak, de gérer le passage graduel du pays vers une démocratie telle qu’ils la conçoivent.

            Au niveau géopolitique la démocratie sert donc des intérêts supranationaux souvent étrangers aux citoyens ordinaires de chacune des nations concernées. Mais la démocratie, telle que vécue en Occident, souffre peut-être d’une maladie plus insidieuse.

 

Une inversion du politique

            Marcel Gauchet, dans son livre La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité (1998), explique qu’au cours des dernières décennies le politique comme promotion du collectif a fait place au politique comme accueil et promotion de l’individuel. Ainsi, le politique qui, durant la période de modernité instituait la primauté du commun sur le particulier, de l’universel sur la contingence et de la volonté de la majorité sur celle des minorités, s’est déplacé et tend désormais à se manifester de plus en plus comme une inversion de ces orientations normatives. Les lobbies et les groupes de pression ne recherchent pas le bien de l’ensemble mais le développement des avantages d’individus et de groupes particuliers.  Ainsi, les pourparlers en vue de former un gouvernement en Belgique sont dans une impasse devenue chronique parce que chaque groupe en présence cherche à défendre ses intérêts propres et non à bâtir un pays.

 

Et dans l’Église ?

            Qu’en est-il de l’Église.  On nous répète facilement qu’elle n’est pas une démocratie. Mais ne serait-elle pas infiltrée depuis quelques décennies par certains aspects de la démocratie postmoderne que nous venons de décrire ? L’influence grandissante dans et auprès des dicastères romains, et plus particulièrement auprès de la hiérarchie de certains pays, de « mouvements » supradiocésains et supranationaux ne joue-t-elle pas le même rôle que celui des lobbies auprès des institutions politiques ?   

            La démocratie est à réinventer. Et si elle l’était, elle pourrait être d’un grand secours à une nouvelle évangélisation qui soit le fait du peuple de Dieu et non de groupes de pression au sein de l’Église.

 

Armand VEILLEUX

 

L'Appel, mars 2011