Questions cisterciennes
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LES MONIALES CISTERCIENNES A LA CROISÉE
DES CHEMINS L'Ordre des Cisterciens de la Stricte
observance comprend des monastères de moines et des monastères
de moniales. Bien qu'elles ne possèdent pas l'exemption canonique
et dépendent donc dans une certaine mesure de l'évêque local,
les moniales cisterciennes appartiennent à l'Ordre tout autant
que les moines, et sont soumises à l'autorité du Chapitre Général.
Elles n'ont cependant aucune participation au gouvernement de
l'Ordre, le Chapitre Général étant composé exclusivement de supérieurs
masculins. Cette situation, qui est certes une anomalie, est ressentie
de plus en plus explicitement comme telle depuis une quinzaine
d'années, et les moniales expriment leur désir d'une plus grande
intégration dans le gouvernement de l'Ordre. Dans cet article je voudrais montrer
comment cette prise de conscience s'est réalisée graduellement
au cours des dernières années, et comment est né ce désir des
moniales. Auparavant, je dirai en quelques mots comment on en
est arrivé historiquement à la situation que nous connaissons
présentement. Enfin je ferai remarquer qu'en plus de la participation
des moniales au gouvernement de l'Ordre, une autre solution est
possible, et qu'il serait sage de la bien considérer avant de
la rejeter. L'incorporation des moniales à l'Ordre Durant les premiers siècles du monachisme,
il arrivait assez souvent que des moniales s'installent à proximité
d'un monastère de moines, adoptant leur genre de vie, et faisant
appel à eux pour leurs besoins spirituels et liturgiques. C'est
ainsi que Marie, la soeur de saint Pachôme, fonda un monastère
de vierges près de celui des moines à Tabennèse[1]. Pachôme leur désigna un
senior dont le rôle était de « les entretenir fréquemment des
Écritures » et de leur célébrer l'Eucharistie. Il leur transmit
aussi les « règles » des frères, mais on ne voit pas qu'il ait
exercé sur elles une autorité semblable à celle qu'il exerçait
sur ses monastères d'hommes. Les moniales avaient adopté le même
genre de vie que les moines, mais le menaient librement, sous
la direction de leur « mère ». Ce cas est assez typique de ce
qui se passa un peu partout dans le monachisme ancien. A partir du Xe et du XI' siècle, il
n'était plus guère possible à des vierges de vivre leur célibat
dans l'Église sans se clôturer dans un monastère, et Rome les
obligeait à s'affilier à l'un ou l'autre des Ordres masculins
officiellement reconnus. Au XIIe siècle, à commencer par la fondation
de Tart, vers 1120, de très nombreux monastères féminins, anciens
ou nouvellement fondés, s'affilièrent à l'Ordre de Cîteaux. Selon
une excellente étude de Soeur Michael Connor[2], cette popularité de Cîteaux
auprès des moniales était due en grande partie au fait que la
législation cistercienne, ne leur imposant pas l'institution du
u prieur local », leur laissait plus d'autonomie et une plus grande
indépendance. Ces monastères suivaient d'une façon plus ou moins
rigoureuse les observances de Cîteaux. Leurs liens avec l'Ordre
pouvaient être très divers selon les cas. Aux origines, les moniales
demeuraient sous la juridiction de l'évêque local mais elles étaient
sous le pouvoir dominatif d'un abbé de l'Ordre, sans que l'Ordre
comme tel les prenne à sa charge. Ce n'est que peu à peu qu'elles
furent pleinement incorporées à l'Ordre. Cette incorporation était
complètement réalisée -- au moins pour un certain nombre de monastères
-au début du XIIIe siècle. L'expression elle-même d'incorporation
n'apparaît pour la première fois dans un texte officiel qu'en
1213, et encore est-ce pour tenter de freiner ce mouvement. Pendant longtemps, ces communautés
de moniales cisterciennes eurent une assez grande autonomie au
sein de l'Ordre. Deux grands groupes de monastères eurent leurs
Chapitres Généraux d'abbesses : la filiation de Las Huelgas et
celle de Tart, et les abbesses de ces deux abbayes faisaient la
visite régulière dans les maisons de leur filiation. Cependant,
à mesure que les moniales furent plus pleinement incorporées
à l'Ordre, et que les Chapitres Généraux de Cîteaux commencèrent
à s'occuper plus explicitement des affaires des moniales, les
Chapitres d'abbesses perdirent leur raison d'être ; ils furent
délaissées, puis disparurent. Les Chapitres de la filiation de
Tart se tinrent cependant jusqu'au début du XIVe siècle. Ainsi, les moniales, qui étaient venues
nombreuses dans l'Ordre de Cîteaux, parce qu'elles y trouvaient
une meilleure sauvegarde de leur autonomie et de leur indépendance,
finirent par perdre cette autonomie et cette indépendance, à mesure
qu'elles étaient plus incorporées à l'Ordre, sans par ailleurs
n obtenir jamais aucune participation au gouvernement de l'Ordre
comme tel. D'où l'on voit que la pleine incorporation des moniales
à l'Ordre et leur participation au gouvernement de l'Ordre sont
deux choses tout-à-fait distinctes. De soi, de nos jours, la pleine
incorporation signifierait simplement que les moniales seraient
à nouveau soustraites à la juridiction de l'évêque local, pour
être soumises à la juridiction de l'Ordre. Mais leur participation
au gouvernement de l'Ordre est une tout autre question, et cette
question est de beaucoup la plus importante. Participation des moniales au gouvernement de l'Ordre La participation des moniales au gouvernement
de l'Ordre est contemporaine des efforts modernes d'adaptation
et de rénovation. On peur dire que le premier effort sérieux d'adaptation
au sein de notre Ordre, à l'époque moderne, fut réalisé par le
Chapitre Général de 1955. C'est précisément à la suite de ce Chapitre
que les moniales sentirent le besoin d'étudier elles-mêmes, dans
des réunions d'abbesses, leurs propres observances. Cette idée
d'une réunion de toutes les abbesses de l'Ordre à Cîteaux ----
réunion qu'il fallait bien se garder d'appeler un u Chapitre
» ---- fut approuvée au Chapitre Général de 1957. Cette approbation
fut donnée, non sans une certaine timidité, car il était bien
entendu que ce serait une réunion exceptionnelle,
qui n'aurait qu'une valeur consultative, le droit de décision continuant
à être réservé au Chapitre Général[3]. De plus, c'est l'Abbé Général qui devait y présider, assisté
du Procureur Général et d'un Secrétaire. De fait, Dom Gabriel
Sortais dirigea la réunion de main de maître, et le Chapitre Général
de 1959 en constata les résultats heureux dans les termes suivants
: u Les RRdes Mères ont pris
conscience de faire partie d'un Ordre (après sept siècles, il
n'était pas trop tôt), elles ont mis en commun leurs expériences
et leurs désirs, des liens de charité mutuelle se sont créés »[4]. Mais le rapport s'empresse d'ajouter
: « Sans doute n'ont-elles pas eu de décisions à prendre, mais
elles comptent sur la courtoisie des PP. Abbés pour examiner leurs
propositions avec la plus grande bienveillance »[5]. Les Pères Abbés furent
effectivement courtois et ils examinèrent avec soin les propositions
des Mères Abbesses. C'est ainsi que les moniales furent autorisées
à aller prier à l'église pendant les intervalles et les temps
de lectio divina ou y faire une lecture méditée d'Écriture Sainte
ou de spiritualité[6]. Elles eurent même la permission de
prendre en main un missel pendant la Grand’messe en dehors des
moments où elles chantent[7]. La vénérable assemblée
daigna même se pencher sur des questions d'ordre vestimentaire[8]. En relisant ces décisions après quelques
années, on ne voit vraiment pas trop bien pourquoi les abbesses
n'auraient pas pu avoir droit de décision en de telles matières
! A cette première réunion, les abbesses
n'avaient guère traité que de questions d'observances. Une autre
question extrêmement importante faillit cependant être étudiée.
En effet, dans la lettre par laquelle elle accordait à l'Abbé
Général l'autorisation de tenir la réunion des abbesses à Cîteaux,
la Sacrée Congrégation des Religieux ajoutait ceci : « La
S. Congrégation saisit en outre l'occasion favorable pour recommander
à votre Paternité Révérendissime de bien vouloir examiner l'opportunité
de constituer entre les monastères cisterciens de la Réforme d'éventuelles
Fédérations qui, tout en laissant intacts les rapports juridiques
avec l'Ordre des Trappistes, faciliteraient de façon certaine
l'aide réciproque et la mutuelle collaboration entre les divers
Monastères ». Cette suggestion ne fut pas étudiée par les abbesses,
car le Révérendissime leur montra dès le point de départ « que
la création de telles Fédérations risquerait rapidement de séparer
les deux parties de l'Ordre moines et moniales, rompant ainsi
notre unité et privant les RRdes Mères d'une collaboration que
l'expérience a montrée fructueuse »[9]. Une deuxième réunion d'abbesses eut
lieu en 1964.
La façon dont l'Abbé Général en communiqua les résultats
au Chapitre Général de 1965 montre bien qu'une évolution importante
s'était déjà faite dans les esprits. L'Abbé Général avait en effet
réservé à l'examen du Chapitre les points plus importants, qui
supposaient une modificaton des Constitutions ou qui étaient communs
aux moines et aux moniales, mais « sachant que la mentalité des
Pères abbés (était) de laisser aux RR. MM. abbesses le soin de décider des questions qui leur sont propres
», il avait déjà fait insérer dans les nouveaux Us des moniales
(rédigés par le Définitoire) un certain nombre des propositions
des Mères abbesses[10]. Ce principe fut quand
même discuté de nouveau au Chapitre Général de 1967. Dès cette époque, l'avis
général des abbés et des abbesses était de laisser aux moniales
le soin de décider de tout ce qui leur était propre... Mais le
malheur veut que les questions qui sont propres aux moniales sont
de peu d'importance - tout comme les questions qui sont propres
aux moines -- car les questions vraiment importantes sont communes
aux moines et aux moniales. La troisième réunion des abbesses,
tenue en 1968, marqua un très net progrès sur les précédentes.
On n'y traita plus seulement de questions d'observances, mais
de problèmes importants. Dès le début de la réunion, les abbesses
abordèrent la question fondamentale de la signification de la
Règle de saint Benoît pour nous aujourd'hui. L'étude de cette
question aboutit à la rédaction d'un texte sur la vie de la moniale
cistercienne[11], dont s'inspira beaucoup
le Chapitre Général des abbés en 1969 dans sa déclaration sur la vie
cistercienne[12]. D'autres points importants
furent discutés et décidés, en particulier concernant le gouvernement
de l'Ordre. Le désir d'une participation plus directe des abbesses
au gouvernement de l'Ordre fut clairement exprimé. A un vote qui
leur fut proposé sous cette forme « Voulez-vous que nos moniales
soient incorporées d'une façon plus totale à l'Ordre ? », les
abbesses répondirent par un vote presque unanime, mais il ne semble
pas qu'on leur ait expliqué d'une façon très claire ce que signifiait
cette plus grande incorporation. D'après le compte rendu, il semble
que les abbesses étaient surtout désireuses que soient laissées
à leur décision certaines choses qui sont actuellement réservées
à l'évêque. Mais de soi l'incorporation implique simplement le
transfert à l'autorité de l'Ordre comme tel des pouvoirs actuellement
réservés à l'évêque. À la croisée des chemins Il serait faux de croire que ce désir toujours
grandissant des moniales de participer au gouvernement de l'Ordre
n'est qu'une modalité cistercienne d'un mouvement de libération
de la femme ! II s'agit de quelque chose de plus profond. Nous
vivons un tournant de l'histoire, et l`Église se trouve engagée
dans un mouvement de renouveau qui ressemble étrangement à celui
de la grande réforme grégorienne du X' et du XI' siècle, qui donna
naissance à la floraison de nouveaux Ordres monastiques de la
fin du XIe et du début du XII' siècle. Pour les Ordres monastiques,
aujourd'hui comme alors, il ne s'agit plus simplement de réformer
des abus ou d'adapter des observances, il s'agit de réaliser une
rénovation en profondeur, et pour cela de redéfinir leur identité
par un effort soutenu de recherche et de réflexion. Nos Chapitres
Généraux n'ont plus seulement à s'occuper de discipline et d'observances
; ils ont avant tout à prendre position sur des questions fondamentales
qui touchent à l'identité de l'Ordre, et leurs options engagent
de façon décisive le renouveau de l'Ordre dans des voies bien
précises. Dans ces conjonctures, la situation juridique actuelle,
dans laquelle les moniales dépendent totalement d'un Chapitre
Général composé exclusivement de supérieurs masculins, est devenue
intenable. C'est pour les moniales un devoir tout autant qu'un
droit de prendre une part active à toutes les décisions qui touchent
à leur identité monastique et orientent leur renouveau. Dans ces circonstances,
deux voies s'offrent aux moniales. Ou bien elles seront intégrées
dans le gouvernement de l'Ordre, et prendront part au même titre
que les moines aux divers organes de ce gouvernement : Chapitre
Général, Conseil Général, Conférences régionales, etc... Ou bien,
tout en conservant et même en intensifiant des liens de communion
et de collaboration avec la branche masculine de l'Ordre, elles
formeront une Fédération de moniales cisterciennes juridiquement
autonome, vivant de la même tradition que les moines, mais selon
leur charisme propre et leurs propres exigences spirituelles. Actuellement les
moniales de notre ordre sont presque à l'unanimité favorables
à la première solution et rejettent même la seconde d'une façon
assez catégorique. Nous venons de voir comment le besoin de contribuer
à la solution des questions qui les concernent les a conduites
graduellement depuis quinze ans à désirer une participation toujours
plus effective au gouvernement de l'Ordre, sans que jamais l'ensemble
du problème de leur dépendance à l'égard du pouvoir dominatif
de l'Ordre ne soit abordé en lui-même. De toute façon, comme je
l'ai dit, deux solutions sont logiquement possibles, et il ne
serait certainement pas sage de s'en tenir à une prise de position
spontanée sans s'arrêter au moins une fois à considérer objectivement
les avantages et les désavantages possibles de chacune des deux
solutions. Disons dés le
point de départ qu'il est peu utile de faire appel à la Tradition
dans cette question, car nous nous trouvons dans une situation
tout-à-fait nouvelle, et les deux solutions qui s'offrent aux
moniales sont toutes deux des innovations par rapport à la Tradition
de l'Ordre. II ne serait surtout pas exact de faire appel à notre
Tradition séculaire pour retenir la première solution car, dans
toute histoire de Cîteaux, jamais les moniales n'ont eu la moindre
participation au gouvernement de l'Ordre comme tel. La deuxième
solution aurait certes plus de racines dans la Tradition, si l'on
se souvient de l'époque où se tenaient les Chapitres Généraux d'abbesses à Las Huelgas et à Tart, et où les abbesses
de ces deux grandes abbayes faisaient régulièrement la visite
des maisons de leur filiation. Mais là n'est pas le point. L'important
n'est pas tellement de savoir ce qui s'est fait dans le passé
que de trouver ce qui favorisera au mieux la vie spirituelle des
moniales d'aujourd'hui. Mon but, dans ces quelques pages n'est
pas d'étudier la question sous tous ses aspects, ni de me faire
l'avocat de la seconde solution : la pleine autonomie juridique
des moniales cisterciennes. Je voudrais tout simplement essayer
de montrer qu'il vaudrait la peine d'étudier les avantages que
pourrait avoir cette seconde solution. Je le ferai à partir d'un
argument que l'on apporte toujours en faveur de la première solution
et qui me semble jouer au moins tout autant en faveur de la seconde
: l'argument de la complémentarité. L'expérience monastique de la femme
est différente de l'expérience monastique de l'homme, et il y
a, certes, avantage à ce que ces deux expériences s'éclairent
mutuellement et se complètent. De plus, il suffit d'avoir voyagé
un peu dans l'Ordre pour s'être rendu compte que, dans beaucoup
de domaines, les aspirations des moniales sont différentes de
celles des moines. Ceux-ci sentent très fortement parfois des
besoins que les moniales ne sentent aucunement, et des problèmes
se présentent chez eux qui sont ignorés chez elles. La tentation
des moines, y compris parfois de Pères Immédiats, est donc grande
de croire que ces différences proviennent tout simplement de
ce que les moniales sont en retard sur les moines, et qu'elles
sont moins évoluées ! On essaye alors de les mettre au pas, et
il arrive qu'on introduise chez elles des problèmes tout-à-fait
artificiels ou typiquement masculins. Par ailleurs leurs propres
problèmes féminins ne sont pas toujours bien compris par des supérieurs
masculins. Un Chapitre Général mixte, composé
d'abbés et d'abbesses, et légiférant pour moines et moniales en
même temps, chercherait à ménager les intérêts et les aspirations
spirituelles propres à chacun des deux groupes, et ne saurait
aboutir qu'à des compromis. Si, au contraire, les moniales cisterciennes
avaient leur pleine autonomie juridique, la vie cistercienne féminine
pourrait s'épanouir plus spontanément et librement dans des cadres
institutionnels pensés par des femmes en fonction des besoins
féminins. Ce serait une richesse pour l'Ordre, et l'on verrait
sans doute naître â nouveau de grands centres de rayonnement spirituel
comme par exemple l'abbaye d'Helfta au XIII° siècle. La complémentarité
suppose l'absence de tout nivelage. La complémentarité de la
vie cistercienne féminine et masculine présuppose nécessairement
que tant les moniales que les moines aient la faculté d'évoluer
à leur rythme propre dans des institutions répondant à leurs exigences
spirituelles propres. Le partage de ces expériences complémentaires
de la même vie cistercienne ne suppose aucune dépendance juridique.
Les relations de personne à personne -- qui sont toujours les
plus fructueuses --- resteront toujours possibles, sous la forme
d'échanges de lettres, de rencontres occasionnelles au parloir
ou encore lors de la participation à des sessions mixtes de spiritualité,
de formation, etc..., ainsi que dans des réunions d'études d'abbés
et d'abbesses et au sein des commissions spécialisées étudiant
des problèmes communs (droit, liturgie, etc...) Il est donc clair que, dans l'hypothèse
de l'adoption de cette seconde solution, qui consisterait à donner
aux moniales pleine autonomie juridique (avec leur propre Chapitre
Général présidé par une abbesse), on ne pourrait parler purement
et simplement de séparation, car les liens de communion au sein de la grande famille
cistercienne demeureraient tout aussi intenses. On ne peut d’ailleurs
traiter cette question indépendamment du problème plus général
du gouvernement de l’Ordre, ni indépendamment de l'évolution actuelle
de l'Église. Le grand psychiatre Karl Stem, dans
son beau livre sur la féminité, explique que « Amour et puissance
constituent la polarité de toutes les relations humaines » et
que « tout amour sincère pour autrui entraîne le renoncement --
pénible ou facile, conscient ou inconscient, voulu ou non, --
à la puissance »[13]. Or les relations présentes des moniales
à l'Ordre sont définies, dans leurs Constitutions, en termes de
pouvoir dominatif
et de soumission[14]. La meilleure marque de charité du
Chapitre Général à l'égard des moniales ne serait-elle pas de
renoncer à cette « puissance » ? Les moniales considèrent certes qu'elles
reçoivent beaucoup des moines. Devront-elles recevoir moins si
la dépendance juridique disparaît ? Notre charité serait-elle
dépendante de relations juridiques ? Serait-ce alors vraiment
de la charité ? Il arrive aussi que l'on fasse remarquer que
certaines communautés féminines qui ne sont reliées à aucun Ordre
masculin envient la situation de nos moniales cisterciennes. Il
semble cependant qu'il s'agisse surtout de communautés qui ont
négligé dans le passé la formation de leurs membres. Ce sont souvent
des communautés contemplatives. Ne recevant pas d'orientation
de l'extérieur, elles se trouvent facilement désorientées. Par
ailleurs il existe un très grand nombre d'autres communautés féminines
qui se sont depuis longtemps habituées à se gouverner elles-mêmes
et à pourvoir à leurs propres besoins de formation. La plupart
du temps ces religieuses ne veulent pas en croire leurs oreilles
lorsqu'on leur dit que nos moniales sont sous l'autorité d'un
Chapitre Général composé uniquement d'hommes. Si la seconde solution était adoptée,
bien des modalités devraient être étudiées de près. Par exemple,
des ententes pourrraient assurer aux moniales les services d'aumôniers
cisterciens. De toute façon, que la solution adoptée soit la pleine
participation des moniales au gouvernement de l'Ordre ou leur
pleine autonomie juridique, il est clair que cela ne pourra se
faire que progressivement et lentement, et qu'un effort sérieux
de préparation et de formation sera d'abord requis. Le présent article n'était pas conçu
comme ce qu'on appelle en Amérique un position
paper. Mon but était tout simplement de signaler qu'il serait
peut-être utile d'étudier plus à fond les avantages possibles
d'une solution que l'on rejette facilement a priori. Mistassini,
juin 1970. Armand VEILLEUX [1]
L. Th. Lefort,
Les Vies coptes de saint Pachôme et de ses successeurs, Nº 27, Louvain
1944, p. 97-98. [2] Sœur Michael Connor, The First Cistercian Nuns and Renewal
Today, conférence présentée au
2ème Symposium cistercien, à
Holy Spirit Abbey, Géorgie, E.-U., en mai 1970. [3] Compte-rendu des Séances du Chapitre Général de 1957,
p. 8. [4] Compte-rendu des Séances du Chapitre Général de 1959,
p. 7. Les mots entre parenthèses ne sont pas dans le texte du Compte-rendu. [5] Ibidem. [6] Ibidem, p. 13. [7] Ibidem. [8] Ibidem,
p. 15. [10] Compte-rendu des Séances du Chapitre Général de 1965,
p. 42. [12] Compte-rendu des Séances du Chapitre Général de 1969,
p. 313-315. [13] Karl Stern, Refus
de la femme, Montréal 1968, p. 230. [14] Constitutions
des moniales, n. 2. |
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