Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Conférences de Carême 2013

 

Conférence sur la conversion

Conférence donnée aux prêtres et agents pastoraux du diocèse de Malines-Bruxelles, le jeudi après les Cendres, 2013

 

          En ce début de Carême, les lectures bibliques de l’Eucharistie nous parlent de conversion. Ce sera le thème de ce premier entretien

         

          Nous savons que lorsque Jean-Baptiste commence sa prédication, sur les bords du Jourdain, son message en est un de conversion : « Convertissez-vous ».  De même, dès que Jésus commence sa propre prédication, après son baptême par Jean, dans le Jourdain, et ses quarante jours au désert, il appelle aussi à la « conversion ».

 

          Ce qui se trouve au coeur du Message de Jésus c’est le « Royaume de Dieu ».  Or, ce royaume suppose une radicale transformation du monde et de l’humanité, et tout d’abord une transformation des cœurs. Il y a un très beau texte d’Ézéchiel (Ez 36, 24-28), que nous aurons au cours de la Vigile pascale, qui déjà, quelques siècles auparavant, laissait entrevoir les diverses dimensions de cette réalité de la conversion.  Le voici :

 

Alors je vous prendrai parmi les nations, je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol.

Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai.

Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair.

Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes.

Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères. Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu.

 

          Nous avons donc dans ce texte toutes les dimensions de la conversion:

 

          a) Tout d’abord l’appel, qui est fait à tout le peuple : « Je vous prendrai parmi les nations, je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol. »

 

          b) Puis, il y a la promesse du don de la purification, car la conversion n’est pas une chose que nous réalisons nous-mêmes. C’est un don que l’on reçoit : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous. »

 

          c) Il y a ensuite la réponse à ce don, qui est elle-même un don : « Je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. »

 

          d) Finalement il y a la récompense : « Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères. Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu.

          Nous avons un texte semblable du prophète Joël, le Mercredi des Cendres :

 

« Parole du Seigneur :

Revenez à moi de tout votre coeur, dans le jeûne, les larmes et le deuil !

Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour, renonçant au châtiment. »

 

            La conversion est beaucoup plus que le simple fait de passer du mal au bien.  Elle est une transformation de notre façon de voir, de sentir, de réagir. Dans son sens le plus profond et le plus large, elle est enracinée dans le baptême qui nous introduit dans la plus radicale de toutes les formes de conversion vécues par un être humain, c'est-à-dire la mort et la résurrection de Jésus-Christ.  Aucune conversion n'a de sens sans relation avec ce mystère pascal.

 

          Le mystère pascal se situe en effet au cœur de l'histoire humaine.  Les deux bras de la croix couvrent toute l'étendu du temps, depuis l'aube de la création, lorsque Dieu insuffla son souffle de vie dans l'humanité, jusqu'au retour eschatologique de tout en Dieu, à la Parousie, Jésus de Nazareth se trouvant au centre, rendant son Esprit au Père et le recevant de nouveau pour devenir le premier de notre race à participer pleinement à la gloire du Père.

 

          Notre conversion, comme forme de participation au mystère pascal du Christ, est un élément de cette transformation globale de l'humanité et de tout le cosmos sous l'action de l'Esprit du Christ.  Même s'il s'agit avant tout de la conversion de chacun de nos cœurs, cette conversion reçoit son sens plénier de l'expérience de conversion humaine faite par Dieu dans le Christ ainsi que du long cheminement qui précéda ce moment central de l’histoire.

 

Ce cheminement commença en fait au moment de la création, lorsque le premier homme et la première femme furent créés à l’image de Dieu et reçurent le souffle même de Dieu. Ainsi, l’homme porte en lui une semence de vie divine qui est appelée à croître sans cesse.  On peut donc dire que l’homme a été créé avec une capacité infinie de croissance ; et le Christ Jésus est l’être humain en qui cette semence de vie divine a atteint son plein épanouissement.  Il est tellement homme --tel que Dieu a voulu l’homme -- qu’il en est Dieu ! Pleinement Dieu et pleinement homme.

 

Notre propre expérience de transformation ou de conversion ne sera pas achevée sans notre participation à la construction du Royaume, qui implique aussi une transformation radicale de toute la structure de la société.

 

Foncièrement, il s'agit d'une graduelle transformation, dont nous trouvons le modèle en Jésus lui-même, le Fils de Dieu, qui s'est fait homme.

 

 

 

 

 

 

L'expérience divine de conversion en Jésus-Christ

 

          Le paradigme primordial de conversion ou de transformation est donc  certainement la transformation réalisée par Dieu lui-même en se faisant homme, telle qu'elle est décrite dans la Lettre de Paul aux Philippiens:  "Lui qui était de condition divine (in forma Dei), il n’a pas cru qu’il devait s’accrocher à cette dignité ;  il s'est dépouillé, vidé (kenosis), prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes... C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom." (Phil 2, 6-9)

 

          Évidemment, si nous entendions "conversion" simplement comme le passage du péché à la vertu, il serait absolument inacceptable et même impossible de parler de l'expérience divine de conversion en Jésus.  Mais, en réalité, ce n'est en quelque sorte que par accident que la conversion est, pour nous, le passage du péché à la vertu, parce que l'humanité est pécheresse.  Mais la réalité de la conversion est en elle-même quelque chose de beaucoup plus profond et de plus large.  Elle commence avec notre naissance, et elle est une dimension de tout passage d'une étape à l'autre de notre croissance, jusqu'à ce que nous arrivions à la plénitude à laquelle nous avons été appelés.  Et Jésus a certainement vécu ces passages, qui sont décrits dans l'Évangile, en particulier celui de Marc.

          Voici cette série de passages, d’une façon très schématique : Après la lente et paisible croissance de Jésus en âge, en grâce et en sagesse, vint le changement radical au moment de son baptême.  Lorsqu'il descendit dans les eaux du Jourdain, l'Esprit Saint descendit sur lui sous la forme d'une colombe et la voix du Père se fit entendre:  "Tu es mon fils bien-aimé".  À ce moment-là il fit, dans sa conscience humaine, l'expérience de son identité comme Fils de Dieu.  Et cela lui donna l'intuition de sa mission.  Il assuma cette identité et cette mission à travers une longue période de solitude dans le désert, où il eut à affronter de terribles tentations (dont nous parlerons dans la prochaine conférence).

 

          Quittant le désert et retournant en Galilée, il se mit alors immédiatement non seulement à prêcher mais aussi à réaliser le Royaume de Dieu, en guérissant les malades, pardonnant aux pécheurs, annonçant la Bonne Nouvelle aux pauvres.  Ce ne fut pas sans rencontrer l'opposition et les confrontations à travers lesquelles il développa de nouvelles intuitions sur son identité et sa mission.  Tout ce processus arriva à son sommet et sa perfection dans la transformation radicale qui consista dans le fait de rendre son esprit au Père et d'être ressuscité par lui. 

 

          L'expérience de transformation vécue par Jésus est le sommet du cheminement tâtonnant de l'humanité vers son sommet et sa fin ultime.  Cette expérience donne tout son sens à l'histoire humaine -- d'avant et d'après.

 

          Lorsque nous sommes baptisés, nous sommes insérés dans cette longue histoire humaine de conversion qui atteint son sommet en Jésus de Nazareth.  En étant plongés dans le mystère pascal du Christ, nous sommes appelés à une transformation personnelle qui doit nous conduire à une pleine intégration en Dieu.  Notre baptême, bien plus que de nous établir dans un "état" (état de grâce), nous lance dans un cheminement, et ce cheminement nous conduit au-delà de nous-mêmes et de notre propre expérience personnelle.

 

          La conversion demandée par Jésus de ses disciples n'est pas une simple modification de leur comportement moral.  Elle implique beaucoup plus que le fait de remplacer un "ego" par un autre "ego" plus respectable ou en tout cas plus conforme aux attentes de la société.  Il s'agit d'une transformation radicale de tout l'être, "esprit, âme et corps", pour utiliser les catégories de l'anthropologie de Paul (cf. 1 Thess 5,23).

 

          Il s'agit, bien sûr, avant tout de la conversion du cœur, qui est la source de tout ce qu'il y a de bon et de mauvais dans l'existence humaine.  J’ai cité tout à l’heure le beau texte d’Ézéchiel dans lequel il a décrit cette conversion qui devait être la caractéristique du Royaume nouveau. Le chemin de conversion est donc tout d'abord un chemin vers l'intérieur de nous-mêmes, à la recherche ce qui nous sommes vraiment, de quelle personne nous sommes appelés par Dieu à devenir, à la découverte de l'image unique de Dieu que nous sommes, du nom unique qu'il nous a donné à réaliser.

 

          Ce cheminement à la découverte de nous-mêmes est un voyage dans le désert. Et la première chose que nous y rencontrons est notre moi avec toutes ses limites et ses blessures.  Nous y rencontrerons la confusion et, en tout cas, la tentation.

 

          Au début de tout cheminement spirituel important il y a une telle expérience de désert.  C'est une constante de toutes les grandes traditions spirituelles.  Jésus l’a faite après son baptême, tel que je l’ai mentionné il y a un instant. (Nous reviendrons après-midi sur ses tentations).

 

          Dans l’Ancien Testament il y a l’expérience du Peuple tout entier qui, durant quarante ans dans le désert, est formé, transformé, converti par Dieu. Au sein de ce Peuple il y a l’expérience personnelle de plusieurs grands témoins, qui nous est racontée dans les divers livres de l’Ancien Testament. Il y a tout d’abord la conversion de Moïse. Sauvé des eaux par la fille du Pharaon et élevé dans la maison de celui-ci, il avait une belle carrière devant lui jusqu’au jour où un événement imprévu bouleversa sa vie.  Il retourna vers son peuple ; il vit un de ses frères maltraité par un Égyptien. Pour le sauver, il tua l’Égyptien.  La chose fut connue et il dut s’enfuir. Vers l’âge de 40 ans, il devait recommencer à zéro. Il se maria et devint le berger des troupeaux de son beau-père.  Un jour qu’il s’enfonça plus avant dans le désert, donc dans la solitude, il fit la rencontre de Dieu dans le buisson ardent, et reçut sa mission (etc.)

 

          À l’époque des grands prophètes, il y a celle d’Elie à l’Horeb (raconter)

 

          Dans le Nouveau Testament, il y a l’expérience de Paul, dont la conversion ne fut pas le passage d’une vie de péché à une vie de vertu, mais une réorientation de tout son être et de toute son existence après la rencontre personnelle – en quelque sorte violente – avec Jésus de Nazareth. Jusqu’à ce moment-là Paul n’était pas un pécheur. Il était un Pharisien rigoureux, sûr de lui-même, prêt à éliminer tous ceux qu’il considérait les ennemis de Dieu. Ce qui transforma radicalement sa vie, au moment de sa rencontre avec Jésus sur le chemin de Damas fut la révélation que Jésus s’identifiait avec les persécutés. « Je suis Jésus, que tu persécutes ».

 

          Pour la plupart d’entre nous cependant le chemin de conversion n’a pas commencé par une expérience dramatique comme celle de Moïse, d’Élie ou de Paul, ni, en général, une expérience mystique radicale. Ce fut probablement plutôt l’expérience de nos limites, par exemple à travers un échec, soit dans la vie académique, soit dans notre carrière ou dans nos responsabilités religieuses, ou dans nos amitiés. Toutes ces expériences peuvent paraître superficielles, mais si nous les acceptons honnêtement, elles nous mettent en contact avec nos limites plus profondes, avec notre état de pécheur, avec les idoles que nous vénérons secrètement.  Et c’est là le premier pas sur le chemin de la conversion du coeur.

 

          Lorsque les auteurs spirituels, les Pères du Désert en particulier, décrivent leurs luttes avec les démons, ils décrivent en fait simplement d’une façon imagée les divers aspects de leur coeur que l’expérience du désert leur a permis de découvrir.

 

          Une telle expérience de notre état de pécheur n’est pas une découverte que nous faisons simplement dans nos premières années de vie religieuse ou de ministère sacerdotal. Nous la refaisons de façons diverses tout au long de notre vie.

Ce peut être la découverte soudaine, après de nombreuses années de ce que nous considérons un service fidèle de Dieu et de l’Église, que des doutes forts et persistants nous assaillent, par exemple au sujet de notre vocation, ou que des passions violentes se manifestent, ou que nous sommes assaillis de questions auxquelles nous ne voyons pas poindre de réponses. L’amour de Dieu qui nous a soutenus durant des années peut soudain nous sembler une illusion.

 

          Lorsque Jésus décrit la réalité de la conversion, il utilise des images qui ne sont pas celles d’une transformation douce et tranquille mais les images qui reflètent les deux moments les plus traumatiques de l’existence humaine, la naissance et la mort.  Il savait plus qu’aucun autre, que le plénitude de la vie ne peut être atteinte qu’en traversant le fleuve de la mort. (Cf. Jung)

 

          À Nicodème (Jn 3 : 5-6) il dit : «  Amen, je te le dis, à moins qu’un homme ne renaisse de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu : ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit.  Plus tard, il lui décrivit la condition pour entrer dans cette vie-là : « Amen, je vous le dis, à moins qu’un grain de blé ne tombe en terre et ne meure, il demeure seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit » (Jean 12, 24-25.

 

          Lorsque dans nos moments de ténèbres ou de nuit nous voulons comprendre ce qui nous arrive et que nous allons vers le Seigneur pour trouver auprès de lui un réconfort, sa réponse est la plupart du temps aussi énigmatique que celle donnée à ce pauvre Nicodème.

 

          De nos jours on tend à privilégier des conversions «instantanées » ou des expériences mystiques ou religieuses soudaines qui bousculent la vie – et qui font aisément l’objet de livres qui se vendent bien.  Le danger est que de telles conversions peuvent n’être qu’un changement d’attitude ou le remplacement d’un ego par un autre ego (peut-être plus acceptable pour ceux qui nous entourent).  En tout cas, même l’expérience la plus extraordinaire de Dieu n’est en général qu’un premier pas dans un long chemin de conversion. De telles expériences n’exemptent personne de la nécessité de pénétrer dans son propre coeur et d’y errer peut-être durant de nombreuses années, comme le peuple d’Israël au désert.

 

          Toute la richesse, l’exigeante richesse de l’expérience humaine de conversion peut être perdue, si nous mettons l’accent sur des expériences spirituelles ou mystiques extraordinaires ou sur un enthousiasme charismatique exagéré, ou même sur des pratiques ascétiques qui peuvent être un substitut à la plénitude de vie à laquelle nous sommes appelés.  Tout cela peut être un moyen habile d’échapper aux exigences de la croissance – croissance humaine et spirituelle, qui est probablement la forme la plus exigeante de conversion.  Cela peut être un moyen habile d’essayer de nous libérer du processus exigeant qui consiste à apprendre à vivre, à écouter, en un mot à aimer, c’est-à-dire à croître graduellement vers la plénitude de la perfection.

 

          Si nous poursuivons notre cheminement à travers le désert de nos coeurs, nous découvrirons peu à peu le coeur même de notre être là où celui-ci jaillit de l’Être (avec un grand « E »), là où notre « moi » est un avec Celui qui est la plénitude du « Je », de sorte que nous puissions dire avec saint Paul : «  Ce n’est plus moi qui vis ; c’est le Christ qui fit en moi.

 

 

Conversion de la Société en Royaume de Dieu

 

         Bien que la conversion soit quelque chose d’extrêmement intime et personnel, c’est-à-dire d’abord la conversion du coeur, elle ne peut être privée au point d’être solitaire. Elle doit devenir une conversion communautaire et collective engendrant une conversion de l’Église et de la société.

 

          La conversion peut en effet se produire chez plusieurs personnes en même temps, et ils peuvent former une communauté pour s’appuyer mutuellement dans leur effort de transformation personnelle. C’est ainsi que sont née les grands instituts religieux et autres formes de vie communautaire dans l’Église.  Une telle conversion peut se transmettre de génération en génération et passer d’une culture à une autre.

 

          Mais à un niveau plus profond, la conversion est intimement liée au Peuple de Dieu.  Lorsque Jean-Baptiste invitait les Juifs à la conversion, il disait : « Convertissez-vous, le Royaume de Dieu est proche. » Toute conversion est liée à l’avènement du Royaume.

 

          L’expérience de Jésus au moment de son baptême fut la révélation par son Père non seulement de son identité, mais aussi de sa mission de prêcher et de rendre présent le Royaume de Dieu.  Si notre conversion est authentique, si, en devenant la personne que nous sommes appelés à être, nous devenons plus pleinement nous-même, et donc plus identifié à Celui qui est la plénitude du Je, nous recevrons aussi la révélation de notre mission personnelle et unique dans l’édification du Royaume de Dieu.

 

          Ce fut l’expérience des Apôtres.  Il leur a fallu du temps pour comprendre le message de Jésus. Au moment de sa mort, ils étaient encore loin d’une telle compréhension.  Ils étaient peureux.  Ils s’enfuirent et Pierre renia son Maître.  Et, dans l’expérience du pardon à travers la passion, la mort et la résurrection de Jésus, ils se virent eux-mêmes dans une nouvelle lumière et embrassèrent Jésus comme leur Seigneur.  Ils lui furent reliés d’une nouvelle façon, découvrant leur mission dans la construction du Royaume.

 

          Notre mission, bien qu’enracinée dans notre baptême, nous devons, comme les Apôtres, la découvrir dans une profonde expérience de communauté et de solidarité avec tous les hommes et les femmes affligés comme nous par la pauvreté de leur état de pécheurs et ayant le même besoin de guérison. 

 

          Le Royaume de Dieu annoncé par Jésus appelle aussi à une transformation radicale de toute la structure de la société ;  et la conversion individuelle du coeur prend son sens comme petite partie constitutive de cette profonde transformation.  La transformation du Royaume, tout comme la conversion individuelle, demande à un certain point un changement radical.  Elle est présentée par Jésus comme bonne nouvelle pour les pauvres, lumière pour les aveugles, guérison des boîteux, ouïe pour les sourds, vue pour les aveugles, libération des prisonniers et des opprimés, pardon pour les pécheurs et vie pour les morts (cf. Lk 4:18 21; Mt 11:3 5). Il ne s’agit pas d’un autre monde, mais du monde présent transformé et rénové.

 

          C’est le message des Béatitudes. Celles-ci ne doivent pas être interprétées comme une série d’analgésique pour supporter les maux de la vie présente en attendant le bonheur du ciel.  Le sens n’est pas « Bienheureux vous qui souffrez de la pauvreté ici-bas, car vous serez riches dans le ciel » ou encore « Bienheureux êtes-vous si vous mourez de faim maintenant, car vous serez conviés à un grand festin dans le ciel.  Non ! Le sens est : « Bienheureux les pauvres, les affamés, ceux qui pleurent, etc., car je suis venu les libérer ». Et cela implique une obligation pour les disciples de Jésus de continuer de faire ce qu’il a commencé.  C’est le sens de tout le chapitre 25 de Matthieu : « J’avais faim, j’avais soif, etc. »

 

          Ce que Jésus a commencé, ils demandent à ses disciples de le porter à sa plénitude, de l’achever.  Le Royaume de Dieu doit d’abord être réalisé ici, sur terre, dans l’espace et le temps, pour durer ensuite pour l’éternité, puisqu’il est divin, étant la pleine réalisation de l’être humain créé à l’image de Dieu.

 

          Cela implique, évidemment, une attente eschatologique. Le Royaume de Dieu est ici, déjà, mais pas pleinement réalisé.  Il est toujours urgent de le réaliser pleinement, et cela implique une lutte continuelle.  Les pouvoirs démoniques dont nous faisons l’expérience en nous-mêmes chaque fois que nous sommes confrontés à notre mission personnelle et solitaire, sont présents et actifs dans la société. Saint Paul, utilisant la terminologie gnostique de son temps, les appelle les pouvoir et les principautés de ce monde.  Jésus dit clairement dans l’Évangile, qu’il faut choisir entre deux royaumes et deux maîtres.  Ou bien nous servons les principautés et les pouvoirs de ce monde (qu’il personnifie sous le nom de Mammon) ou bien nous servons Dieu, qui a aussi un nom personnel : Abba. Il n’y a pas d’autre possibilité.  Nous devons faire le choix entre les deux.

 

          Nous vivons notre devoir de conversion personnelle dans un monde concret où l’une des grandes manifestations du pouvoir du mal est le grand écart qui s’accroît toujours plus entre les pauvres et les riches – entre les pays pauvres et les pays riches et aussi entre les riches et les pauvres même au sein des pays les plus riches.  Le prix Nobel d’économie, Paul Stiglitz, parle du 1% de la population mondiale qui possède 99% des richesses.

 

          Pour nous qui vivons notre vie chrétienne (et consacrée), le premier pas vers la conversion dans cette situation, est de nous rendre compte à quel point nous portons une responsabilité pour cette situation collective de péché. Nous sommes tous compromis parce que nous en profitons de plusieurs façons.

 

          Le deuxième pas consiste dans l’analyse de la situation. Reconnaître qu’il y a des riches et des pauvres, des oppresseurs et des opprimés n’est pas nécessairement une analyse marxiste.

 

          Monseigneur Oscar Romero, dans une homélie peut avant d’être assassiné, disait :  « Une véritable conversion chrétienne doit révéler les mécanismes qui marginalisent les travailleurs et les paysans. »  Pour lui, l’analyse des mécanismes de marginalisation des masses faisait partie intégrante de la conversion évangélique.

Et, évidemment, toute prise de conscience implique une obligation d’agir.

 

 

Conclusion :

 

          Au moment où les premiers groupes de Chrétiens étaient tentés de trouver leur sécurité psychologique et leur cohésion dans une hostilité à l’égard des Juifs, qu’ils considéraient responsables de la mort de Jésus (en particulier la communauté où fut écrit l’Évangile de Matthieu), l’un des aspects les plus extraordinaire de la conversion de Paul fut de résister à la tentation -- commune à tous les grands  convertis – de réorienter simplement leur agressivité vers un objet différent.  Non seulement Paul harmonisa sa propre identité juive avec sa fidélité au Christ, mais il consacra trois chapitres entiers de sa lettre aux Romains (9 à 11) à démontrer, parfois de façon laborieuse, comment les Juifs pouvaient être sauvés malgré leur rejet du Christ.

 

          Par notre baptême nous sommes appelés à une pleine participation au mystère pascal du Christ.  Cela implique un long cheminement de conversion personnelle qui doit nous conduire à la découverte et la réalisation de notre identité dans le Christ, impliquant la mort de plusieurs niveaux superficiels de notre « ego ».  C’est tout d’abord une conversion du coeur, don de l’Esprit, qui nous conduit au désert où nous faisons l’expérience de notre caractère de pécheur et l’expérience de la miséricorde. Cela nous conduit alors à l’expérience de la compassion et de la solidarité qui nous éveille à notre mission de convertir le monde présent en Royaume de Dieu. Le but ultime n’est pas notre « intégration finale » personnelle, mais l’intégration finale de tout le cosmos transformé en Royaume de Dieu (cf. Rom. 8).