Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Les interventions humanitaires dans les pays en voie de développement, en temps de paix comme en temps de guerre, sont souvent ambiguës. Et jamais totalement désintéressées.

 

« La civilisation arrive ! »

 

            Au moment où les pays du Maghreb et du Moyen Orient sont secoués par des révolutions populaires -- qu’il serait fort naïf de considérer comme totalement spontanées -- il est intéressant de comparer les réactions de la presse locale à celles de nos medias occidentaux.  Ainsi, le 2 avril, au moment où l’OTAN et la France bombardaient la Lybie avec l’aide des USA et que les hélicoptères de la France s’apprêtaient à écraser les forces de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, le Quotidien d’Oran publiait sous la plume d’Abed Charef un article cinglant intitulé : « La civilisation arrive, mon frère ! ».

Comment reconnaît-on un homme civilisé ? se demandait Charef. -- C’est simple, expliquait-il : « il ne dit pas que l’OTAN et la France bombardent la Libye, mais qu’une coalition internationale mène des frappes aériennes humanitaires contre kataeb El-Kadhafi ».

 

Guerre humanitaire

            On a inventé à notre époque la notion pernicieuse de « guerre humanitaire ».. C’est ainsi qu’on désigna les 78 jours de bombardements aériens destructeurs de l’OTAN au Kosovo, avec ses 3.500 victimes civiles. Le but réel étaient de rééquilibrer les influences étrangères dans les Balkans après l’éclatement de l’empire soviétique et de la Yougoslavie.

Aujourd’hui, on parle de nouveau de guerre humanitaire en Lybie, dans le cadre d’un nouveau partage de l’Afrique.

Ce que réclament toutes les rébellions qui secouent actuellement non seulement la Cyrénaïque mais toute l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, c’est d’abord le droit à la dignité.  Or, cette dignité n’est guère respectée si, par exemple, au moment où les opposants à Kadhafi se font tuer dans une guerre civile dans laquelle on les a jetés, les ministres des Affaires Étrangères des pays de l’OTAN se réunissent à Londres pour décider, eux, de l’après-Kadhafi.

           

Projets humanitaires

Certains projets humanitaires manifestent la même arrogance.  Des organismes envoient des jeunes dans des pays d’Afrique et d’Asie durant l’été.  Découvrir d’autres cultures est certes une expérience excellente pour ces jeunes qui en reviendront enrichis. Mais si l’on en juge par la tonalité de la documentation que ces jeunes reçoivent, on s’interroge sur la conscientisation qu’ils ont reçue.  Certaines « brochures » donnent l’impression qu’ils doivent partir en sauveurs dans des terres barbares, pour y apporter généreusement la civilisation.

            Plus d’un pays, en Afrique en particulier, ont été réduits à une grande pauvreté par des guerres largement engendrées de l’extérieur pour des motifs géopolitiques, ou tout simplement par un système économique international injuste. Les artisans compétents et ouvriers capables de construire leur maison ne manquent pas en ces pays. Ils regardent avec une humour et sympathie ces jeunes constructeurs qui débarquent chez eux et dont la plupart n’ont sans doute jamais tenu une truelle ou un marteau dans leurs mains. Ces gens ont besoin de réformes qui leur permettent de gagner leur vie pour pouvoir construire leur propre maison de leurs mains et non que quelqu’un d’autre vienne le faire pour eux.

Aux jeunes, pleins de générosité, on aurait envie de leur dire :  « Un peu d’humilité, s’il vous plait ! Ne partez pas avec le rêve d’apporter avec vous la civilisation.  Allez plutôt découvrir de grandes civilisations avec leur sagesse et leurs valeurs. Si vous revenez suffisamment sensibilisés, vous pourrez travailler autour de vous au changement des mentalités, et faire contrepoids à l’orgueil collectif de l’Occident. »

 

Armand VEILLEUX

 

L'Appel, 337, Mai 2011