Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Ceux qu’on écoute

 

            L’appréciation respectueuse unanime du film Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois par les médias et tous ceux qui l’ont visionné appelle à réflexion.  Il y a, évidemment, la qualité cinématographique du film, que tous reconnaissent ; mais il y a plus. Ce film véhicule un message qui répond à une attente des femmes et des hommes d’aujourd’hui.

            Les quelques hommes qui formaient la communauté de Tibhirine au moment du drame ne sont présentés ni comme des héros, ni comme de grands mystiques, et encore moins comme des candidats au martyre. Ils sont présentés dans toute la richesse et l’épaisseur de leur humanité. Des hommes très différents les uns des autres, chacun marqué par son passé.  Faire une communauté de cet ensemble de personnalités fortes était plus qu’une gageure. Et pourtant ils se sont soudés dans une authentique communauté en confrontant ensemble et en toute honnêteté une situation violente.

 

Refus de la violence

            Une chose qui les a particulièrement unis a été précisément leur refus de toute violence. J’aime particulièrement Luc, le vieux toubib. Toute sa vie il a été confronté à la violence et toute sa vie il a semé l’amour.  Né en 1914 il a connu comme enfant la Première Guerre Mondiale. Après des études de médecine il entre à l’Abbaye d’Aiguebelle en 1941 mais se porte presqu’immédiatement comme volontaire pour aller soigner les prisonniers dans les camps allemands où il demeurera jusqu’en 1945.  Dès la fin de la guerre il part pour le monastère de Tibhirine où, tout en vivant sa vie communautaire, il servira durant cinquante ans, non seulement en tant que médecin, mais tout autant en tant que conseiller, tous ceux qui se présenteront à lui, qu’ils soient Algériens ou Français, musulmans ou chrétiens, hommes ou femmes. Ni la guerre de l’indépendance, ni les remous qui suivront, ni la violence démentielle des dernières années ne le détourneront jamais de l’amour universel.  Sans doute plus que tout autre il a incarné l’esprit de Tibhirine.

 

Accueil de l’autre sans distinction

            Cette humble amitié humaine faite de respect et ouverte à tous sans distinction, est sans doute l’aspect du message qui rive les spectateurs du film sur leurs sièges.  Et cela est réconfortant. Cela veut dire que même dans un monde où les marchands de peur génèrent à qui mieux mieux toutes les formes de xénophobie  et d’exclusion politiquement rentables, l’ensemble des femmes et des hommes d’aujourd’hui comme d’hier restent sensibles aux valeurs d’accueil, d’hospitalité, de respect de la différence et de fraternité – valeurs authentiquement chrétiennes parce que tout d’abord authentiquement humaines.

            Sans le moindre prosélytisme, sans aucun effort de conversion, cette humble petite communauté chrétienne a incarné dans son vécu le message du Nazaréen, d’une façon accessible à toute personne de bonne volonté, qu’elle soit algérienne ou européenne ; y compris à toutes les populations aujourd’hui insensibles aux grandes manifestations ecclésiales.  Leur vie, dépouillée de toute volonté de prédication, est en elle-même un message reçu avec respect y compris par tous ceux qu’indispose l’institution ecclésiale.

            Au moment où bien des pans de cette institution ecclésiale ont croulé ou sont en train de le faire, la voie de la refondation, ou de la « nouvelle évangélisation », comme on dit désormais, est sans doute celle-ci : la multiplication d’authentiques petites communautés chrétiennes incarnant l’Évangile dans toute l’épaisseur de leur humanité et ouvertes à la communion universelle à l’image de leur Maître. Les grandes démonstration de masse, avec toute leur lourdeur ne font pas le poids.

           

Armand VEILLEUX