Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

La centralisation et son effet boomerang

 

            Le Nouveau Testament nous parle de l’Église de Corinthe, de Thessalonique, ou de celle qui se réunit chez Prisca et Aquilas, comme de communautés autonomes vivant en communion les unes avec les autres. Par la suite, les grandes Églises comme celle de Jérusalem, d’Alexandrie, de Constantinople évoluèrent durant des siècles avec une grande autonomie, en communion avec l’évêque de Rome dont la mission « de confirmer ses frères dans la foi » était toujours reconnue.  

 

            Lorsque l’Empire romain d’Occident s’écroula, sous la poussée des nouvelles nations dites « barbares », l’Église était la seule force capable de prendre la relève et d’assurer la cohésion de la réalité politique nouvelle qui naissait.  La papauté remplaça l’empire, le pape devint l’arbitre des conflits, l’autorité suprême aussi bien politique que religieuse. Au fur et à mesure que le pontife romain concentrait en lui les pouvoirs politiques, il concentrait aussi la gestion spirituelle et l’administration de l’ensemble de l’Église, à commencer par la nomination des évêques.  Cette concentration des pouvoirs eut des résultats positifs, mais aussi des inconvénients.  Toujours est-il que le pouvoir politique du Pape disparut avec les accords du Latran, lui laissant toutefois le titre de chef d’État du Vatican, avec une représentation diplomatique dans un grand nombre des pays.

 

            Les nonces assumant aussi un rôle auprès de la hiérarchie locale, cette présence d’un représentant diplomatique dans chaque pays, concourut indirectement à une centralisation sensiblement plus grande des pouvoirs dans les mains du Pape et de l’appareil nommé « curie romaine » qui l’assiste.

 

            De plus, l’évolution rapide des moyens de communication -- téléphone, fax, Internet, email -- et la facilité des voyages, permettent à la curie romaine d’être omniprésente dans la vie de chaque diocèse, et à tous les mécontents de communiquer « en temps réel » à Rome leurs griefs contre leurs évêques.

 

            Cette implication de l’appareil romain dans tous les aspects de la vie ecclésiale, comme la catéchèse, les traductions liturgiques, l’attention aux personnes en situations matrimoniales difficiles, la formation du clergé, etc., contribue à diminuer  l’autorité spirituelle et morale des évêques dans l’esprit des fidèles. Elle a aussi rendu difficile à ces mêmes évêques d’exercer une pastorale dynamique et créative sans la crainte constante de se faire taper sur les doigts par Rome.

 

            Récemment cette centralisation romaine a eu un effet de boomerang inattendu, au moment où, dans une sorte de concertation malsaine, les médias de plusieurs pays se sont mis à déterrer des cas de pédophilie datant de deux ou trois décennies. Il est tentant pour quiconque n’est pas trop familier avec les rouages de l’administration ecclésiastique, de concevoir que la personne au sommet est ultimement responsable des actes de tous ses prêtres et ses évêques.  Même si l’Église n’est pas -- et affirme ne pas être -- une multinationale avec un gouvernement centralisé, le fait est que c’est l’image qu’elle donne. On peut donc comprendre que certains avocats américains ayant déjà soutiré plus d’un milliard de dollars à des diocèses des USA, se servent des même victimes pour essayer d’en soutirer autant du Vatican, arguant que tous les prêtres et religieux sont des « employés » du Pape.

 

            Cet effet boomerang inattendu d’une centralisation à outrance sera peut-être l’élément déclenchant d’un retour à une saine autonomie des Églises locales.

 

Armand VEILLEUX

dans L'Appel, mai 2010, nº 327, p. 24.