Questions monastiques en général
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Communauté et ermitage dans la tradition monastique occidentale
[1]
La communion
et
la
solitude
sont
deux
dimensions
essentielles
de
la
vie
chrétienne. Dieu est communion nous dit saint Jean, et ce
que
nous
appelons
l’Église
n’est
rien
d’autre
que
la
communion
entre
tous
ceux
qui
ont
mis
leur
foi
au
Christ.
Quant
au
désert,
il
jouait
un
rôle
central
dans
la
spiritualité
de
l’Ancien
Testament,
non
pas
tellement
comme
un
lieu,
mais
comme
une
époque
privilégiée
durant
laquelle
Dieu
s’était
formé
un
peuple. Dans l’Évangile, il est le lieu où Jésus se
retire
pour
prier,
mais
aussi
celui
où
il
rencontre,
sur
leur
propre
terrain,
les
forces
du
mal. Ces deux
dimensions
sont
étroitement
liées
entre
elles.
La
solitude
est
le
lieu
de
la
rencontre.
Jésus
invite
celui
qui
veut
prier
à
entrer
en
son
cœur
et
à
fermer
la
porte,
pour
y
être
entendu
de
son
Père.
Dans
son
discours
d’adieu
à
ses
disciples
il
leur
dit
que
si
quelqu’un
écoute
sa
Parole,
son
Père
l’aimera
et
ils
viendront
faire
chez
lui
leur
demeure.
Le
néologisme
latin
eremus, inventé par les premiers auteurs
latins
chrétiens
pour
traduire
le
grec
e;rhmoj, ne désigne pas d’abord
un
lieu
mais
une
expérience
spirituelle,
rappelant
celle
du
peuple
Juif
au
désert,
comme
aussi
celle
d’Élie
et
de
Jésus. Il est
donc
évident
que
ces
deux
dimensions
fondamentales
et
complémentaires
de
toute
vie
chrétienne
seront
des
éléments
essentiels
de
cette
forme
de
vie
chrétienne
qui
remonte
au
Christ
lui-même,
et
à
laquelle,
à
partir
de
la
fin
du
troisième
siècle
on
donne
le
nom
de
vie
monastique.
Il me semblait important
de
souligner,
dès
le
point
de
départ,
qu’il
n’y
a
pas
de
vie
chrétienne
et
donc
pas
de
vie
monastique
chrétienne
authentique,
qui
ne
comporte
ces
deux
dimensions
complémentaires
de
solitude
et
de
communion,
même
si
des
équilibres
différents
entre
ces
deux
composantes
conduiront,
à
partir
d’une
certaine
époque,
à
parler
de
deux
formes
de
vie
monastique
distinctes
appelées
l’une
la
vie
cénobitique
et
l’autre
la
vie
érémitique. À l’époque du Christ, il
y
avait
à
travers
tout
le
Moyen
Orient
un
grand
courant
spirituel
centré
sur
la
recherche
de
Dieu
dans
l’ascèse,
la
solitude
et
la
contemplation. La vie, la prédication et le baptême de Jean-Baptiste,
se
rattachaient
à
ce
mouvement
tout
comme
la
tradition
des
Esséniens
qui
vivaient
dans
les
environs
et
qui
datait
de
l’époque
des
Macchabées.
Ce
mouvement
avait
des
racines
lointaines
dans
la
Perse
et,
bien
au-delà,
dans
un
archétype
humain
fondamental. Lorsque Jésus de Nazareth
descendit
dans
les
eaux
du
Jourdain
pour
se
faire
baptiser
par
Jean,
il
assumait
tout
ce
grand
courant
ascétique
et
mystique
et,
en
l’assumant,
lui
donnait
une
nouvelle
signification.
Lorsque
plusieurs
parmi
les
premiers
Chrétiens
voulurent
adopter
comme
mode
permanent
de
vie
certaines
des
exigences
radicales
posées
par
Jésus
à
ceux
qui
voulaient
le
suivre,
ils
trouvèrent
dans
cette
expression
religieuse
de
la
culture
de
leur
temps
une
forme
d’expression
opportune.
Je
considère
que
c’est
là,
dans
le
Jourdain,
au
moment
du
baptême
de
Jésus,
que
commence
cette
forme
de
vie
chrétienne
qu’on
appellera
quelques
siècles
plus
tard
« monachisme »,
mais
qui
existait
déjà
dans
l’ascétisme
chrétien
primitif
soit
au
sein
des
communautés
chrétiennes
soit
dans
une
solitude
relative
en
marge
de
celles-ci. Le monachisme chrétien
n’est
pas
né
en
Égypte
à
la
fin
du
troisième
siècle
pour
se
répandre
ensuite
d’abord
en
Orient
puis
en
Occident.
C’est
là
un
mythe
aujourd’hui
totalement
irrecevable. Il est né durant les premières générations chrétiennes,
à
peu
près
au
même
moment,
dans
toutes
les
Églises
locales
d’Orient
et
d’Occident,
de
la
vitalité
même
de
chacune
de
ces
Église
(et
non
pas,
comme
le
voudrait
un
autre
mythe,
en
réaction
au
manque
de
ferveur
des
Églises
après
la
fin
des
persécutions). Ceci dit, je m’en tiendrai
maintenant
au
monachisme
occidental,
puisque
c’est
de
lui
qu’on
m’a
demandé
de
parler.
Et
je
ne
voudrais
pas
céder
à
l’option
de
facilité
qui
consisterait
à
décrire
simplement
les
diverses
formes
institutionnelles
de
cénobitisme
et
d’érémitisme
qu’a
connues
l’Église
d’Occident
au
cours
des
siècles.
Cette
histoire
a
déjà
été
faite,
et
il
ne
serait
guère
utile
d’en
faire
un
résumé.
Je
voudrais
plutôt
montrer
comment
cette
relation
entre
solitude
et
communion
–
et
la
saine
tension
entre
les
deux
–
se
sont
vécues
au
cours
des
âges,
en
réponse
à
des
situations
ecclésiales
différentes,
lesquelles
étaient,
elles-mêmes,
des
réponses
à
des
situations
changeantes
de
la
société
et
de
la
culture.
Il est en effet facile
de
constater
que
les
grandes
périodes
de
développement,
de
renouveau
ou
de
réforme
du
monachisme
ont
toujours
été
des
époques
de
profonds
changements
socio-culturels.
Il
est
aussi
intéressant
de
constater
que
chacune
de
ces
périodes
charnières
de
l’histoire
se
caractérise
par
une
crise
du
cénobitisme
qui
provoque
une
nouvelle
vague
d’érémitisme,
laquelle
conduit
à
un
renouveau
du
cénobitisme
lui-même,
avant
que
ne
recommence
un
autre
cycle
semblable. * * * L’Évangile s’est répandu
en
Occident
–
comme
d’ailleurs
en
Orient
–
en
utilisant
les
moyens
de
communication
de
l’Empire
romain.
Or,
l’Empire
romain
était
une
fédération
de
« cités ».
Cela
explique
que
le
christianisme
a
été,
durant
ses
premières
générations,
surtout
une
religion
des
villes.
On
parle
de
l’Eglise
de
Carthage
et
de
Rome,
comme
on
parlait
de
l’Église
de
Corinthe,
d’Antioche
ou
d’Éphèse.
Il
faudra
attendre
la
chute
de
l’Empire
romain
et
les
invasions
des
Barbares
pour
assister
à
une
véritable
évangélisation
des
campagnes. On comprend donc que l’ascèse chrétienne s’est
vécue,
au
cours
des
premiers
siècles,
non
seulement
au
cœur
des
villes,
mais
au
cœur
des
familles.
La
vie
des
vierges
et
des
veuves,
mais
aussi
des
ascètes
masculins
--
moins
nombreux,
il
est
vrai
--
se
déroulait
dans
une
solitude
relative
dans
leur
maison
privée,
non
sans
une
communion
constante,
surtout
dans
la
liturgie,
avec
l’Église
locale.
C’est
l’époque
de
Tertullien
et
de
Cyprien,
qu’on
a
pu
appeler
les
Pères
de
l’ascétisme
occidental.
Ce
sera
un
peu
plus
tard
l’expérience
des
grandes
dames
romaines
vivant
au
sein
de
leur
maison
privée
une
ascèse
rigoureuse
et
une
vie
de
solitude,
mais
y
recevant
aussi
le
clergé
romain,
dont
elles
deviennent
les
guides
spirituelles. Cet ascétisme occidental
était,
dans
les
premières
générations,
majoritairement
féminin,
parce
que
les
hommes,
pour
accomplir
leurs
devoirs
militaires
au
sein
de
l’armée
romaine,
devaient
pratiquer
les
rituels
de
la
religion
païenne
officielle,
et
ne
recevaient
souvent
le
baptême
qu’à
un
âge
avancé
ou
même
sur
le
lit
de
mort,
longtemps
après
que
leurs
épouses,
leurs
sœurs
et
leurs
filles
se
soient
faites
chrétiennes. Mais dès le quatrième siècle
se
développe
en
Occident
un
monachisme
masculin
marqué
par
de
grands
hommes
qui
seront,
dans
leur
vie
personnelle,
tour
à
tour
ermites
puis
fondateurs
de
coenobia,
avant
de
devenir
évêques
et
fondateurs
de
monastères
cléricaux.
Les
communautés
qu’ils
fondent
allient
d’ailleurs
harmonieusement
solitude,
vie
communautaire
et
activité
missionnaire. Qu’on pense à un Martin de Tours et un Hilaire
de
Poitiers,
ainsi
qu’à
la
fondation
de
Ligugé
en
361
et
celle
de
Marmoutier
en
371.
Parler
à
leur
sujet
d’érémitisme
ou
de
cénobitisme
serait
un
anachronisme.
Selon
les
étapes
de
leur
propre
conversion,
ils
passent
de
la
solitude
à
la
vie
communautaire ;
et
celle-ci,
selon
les
besoins,
se
vit
dans
une
grande
solitude
ou
dans
l’activité
missionnaire. Saint Honorat débarque
vers
410
sur
l’île
de
Lérins,
qualifiée
de
horror
solitudinis
mais
s’y
trouve
bientôt
rejoint
par
de
nombreux
compagnons.
Un
peu
plus
tard
Cassien
s’efforce
pour
sa
part
de
réorganiser
la
vie
cénobitique
déjà
existante
à
Marseille,
à
l’invitation
de
l’évêque
Castor,
mais
sa
nostalgie
du
monachisme
égyptien
connu
vingt
ans
plus
tôt
l’amène
à
donner
à
son
enseignement
une
orientation
nettement
érémitique
dans
un
contexte
cénobitique.
Au début du cinquième siècle,
entre
405
et
419,
les
invasions
des
barbares
commencent
à
creuser
des
césures
géographiques
et
sociologiques
dans
l’empire
occidental. Les Romains abandonnent aussitôt la Bretagne,
les
barbares
passent
le
Rhin
et
prennent
Rome
et,
en
429,
tout
juste
avant
de
mourir,
Augustin
voit
les
Vandales
devant
les
murs
d’Hippone.
Valentinien
III
(425-429)
remet
finalement
l’Occident
aux
barbares ;
et,
en
476,
se
termine
la
série
des
empereurs
romains
d’Occident.
La
chute
de
l’Empire
romain
et
l’arrivée
des
Barbares
marquent
le
point
de
départ
de
la
conversion
des
campagnes.
Lorsque Théodoric, roi
des
Ostrogoths,
prend
le
pouvoir
à
Rome
en
493,
s’ouvre
de
nouveau
une
petite
fenêtre
de
civilisation.
Il
s’entoure
de
collaborateurs
de
grande
qualité,
comme
Boèce
et
Cassiodore,
et
son
ouverture
à
la
tradition
romaine
permet
l’éclosion
dans
l’Église
de
la
renaissance
gélasienne.
Rome
est
encore
alors,
pour
un
certain
temps,
un
centre
d’étude
d’où
l’on
vient
de
toute
l’Italie,
de
l’Afrique
et
de
la
Gaule
pour
étudier. C’est dans ce contexte
de
renouveau
ecclésial
et
social
très
bref
qu’un
auteur
inconnu
écrit
la
Regula Magistri. Et, parmi les étudiants encore envoyés par leurs
parents
se
former
à
Rome
se
trouve
un
jeune
homme
de
Nursie,
un
Benedictus vir, comme l’appellera Grégoire
deux
siècles
plus
tard. Dans ce contexte romain, la différence des formes
de
vie
est
claire.
Benoît
connaît
les
ermites;
mais
il
écrit
une
Règle
pour
cénobitiques.
La
vie
érémitique
pour laquelle il a de l’estime est celle de l’ermite
qui
s’est
d’abord
longuement
formé
au
sein
de
la
vie
communautaire.
Ce monachisme nettement cénobitique commence
à
se
répandre
en
Italie.
Mais de nouvelles invasions
barbares
déferlent
sur
l’Empire.
Monte
Cassino
est
détruit
en
573,
et
rien
ne
subsiste
des
monastères
fondés
par
Benoît
lui-même,
sinon
sa
Règle
que
quelques
petites
communautés
observent
ici
et
là.
Elle
sera
connue
beaucoup
plus
tard
par
le
Pape
Grégoire
I
(590-604),
qui
non
seulement
immortalisera
le
Benedictus vir de Subiaco et de Monte Cassino,
en
racontant
sa
Vie
dans
le
deuxième
Livre
de
ses
Dialogues, mais enverra des moines romains évangéliser l’Angleterre.
Il
faudrait
sans
doute
plutôt
dire
« romaniser »
l’Angleterre,
puisque
celle-ci
avait
déjà
été
évangélisée
par
les
moines
irlandais,
lesquels
d’ailleurs
avaient
leur
propre
équilibre
de
solitude
radicale
et
de
communion
au
sein
de
leur
église
monastique. C’est aussi à la même époque que Colomban et
ses
moines
font
la
route
inverse
et
viennent
sur
le
continent
évangéliser
l’Église
mérovingienne. Cette refondation du monachisme
bénédictin
par
Grégoire
le
Grand
donnera
désormais
au
monachisme
occidental
une
orientation
clairement
cénobitique,
avec
en
plus
une
note
missionnaire.
Le
cénobitisme
devient
de
plus
en
plus
organisé,
alors
que
l’érémitisme,
qui
ne
cesse
pourtant
jamais
d’exister,
ne
l’est
guère. Cette prédominance du cénobitisme
comme
forme
organisée
de
monachisme
sera
grandement
accentuée
deux
siècles
plus
tard,
par
la
réforme
carolingienne
qui
imposera
une
seule
règle
monastique
unique
à
tous
les
monastères
de
l’Empire,
alors
que,
jusqu’à
cette
époque,
la
plupart
des
monastères
trouvaient
leur
nourriture
spirituelle
dans
plusieurs
Règles,
y
compris
celle
de
saint
Colomban,
même
si
celle
de
saint
Benoît
s’était
de
fait
graduellement
imposée
dans
la
pratique,
de
par
sa
valeur
intrinsèque.
La réforme carolingienne
eut
cependant
l’avantage
de
distinguer,
à
côté
de
l’ordo canonicus et de l’ordo monasticus,
l’ordo
solitariorum. Les ermites ont donc désormais une existence
reconnue
comme
catégorie
au
sein
de
l’Église
et
ils
sont
soumis
à
une
certaine
législation.
Cette réforme carolingienne
eut
des
effets
de
courte
durée.
L’Occident
sera
exposé
à
une
deuxième
vague
d’invasions,
qui
aura
comme
résultat
l’établissement
d’une
première
ère
féodale,
où,
sur
les
ruines
de
l’Empire
carolingien
se
développe
le
prestige
de
la
papauté. Les communautés cénobitiques sont soumises aux
seigneurs
féodaux
--
qui
les
ont
parfois
fondées
pour
expier
leurs
péchés
--
et
elles
aspirent
à
se
libérer
de
cette
emprise. C’est ce que fait Cluny, se mettant sous l’autorité
immédiate
du
Pontife
romain
et
acquérant
ainsi
sa
libertas à l’égard de tout seigneur féodal,
laïque
ou
ecclésiastique.
La réforme de Cluny fut
une
grande
réforme
spirituelle,
sous
la
conduite
de
grands
abbés.
Mais
Cluny,
ayant
dû
renoncer
à
l’autonomie
des
communautés
locales,
afin
de
faire
jouir
à
toutes
celles
qui
lui
étaient
affiliées
de
la
libertas de la maison mère, devint un énorme rouage du monde féodal.
Au
niveau
institutionnel,
cette
réforme
fut
un
tel
succès,
qu’elle
en
provoqua
une
profonde
crise
du
cénobitisme. En effet, au même moment
où
se
développaient
de
grandes
abbayes
chantant
la
louange
de
Dieu
dans
une
liturgie
élaborée
et
compliquée,
et
que
ces
mêmes
abbayes,
établies
à
la
porte
des
villes,
étaient
devenues
des
centres
de
formation
intellectuelle
et
de
service
des
pauvres,
une
autre
aspiration
se
développait
dans
l’ensemble
du
peuple
de
Dieu.
Ce
fut
l’époque
de
la
réforme
grégorienne,
qui
tire
son
nom
du
pape
Grégoire
VII
(1073-1085)
même
si
elle
commença
avant
son
pontificat
et
continua
après
sa
mort.
On
assista
à
une
vague
de
fond
de
mouvements
de
vie
chrétienne
qui
mirent
en
branle
tout
le
peuple
de
Dieu.
Le
peuple
chrétien,
les
laïcs
comme
les
clercs,
est
alors
envahi
d’une
soif
spirituelle. Ce mouvement atteint aussi toutes les formes
de
vie
religieuse :
moines,
chanoines
et
ermites. On y trouve réunis, hommes et femmes, célibataires
et
gens
mariés,
clercs
et
laïcs.
On
aspirait
à
un
retour
à
la
simplicité
évangélique
de
la
première
génération
chrétienne.
On
partait
en
pèlerinage
sur
les
routes,
on
partait
aussi
en
grand
nombre
vers
de
nouveaux
« déserts ».
La
crise
du
cénobitisme
provoqua
un
renouveau
de
l’érémitisme.
Dans la première moitié
du
XIème
siècle,
des
réformateurs
comme
Romuald
à
Camaldoli
ou
comme
Jean
Gualbert
à
Vallombreuse,
font
de
la
pénitence
et
de
la
pauvreté
vécues
dans
la
solitude
le
motif
de
leur
action
et
le
cœur
de
leur
réforme.
De
nombreuses
fondations
de
caractère
érémitique
naissent.
On
constate
alors
le
même
phénomène
que
lors
de
toutes
les
autres
vagues
d’érémitisme.
Si,
parmi
ceux
qui
vont
au
désert
plutôt
que
vers
les
communautés
cénobitiques
ou
même
qui
quittent
les
communautés
cénobitiques
pour
aller
au
désert,
il
y
a
un
certain
nombre
d’authentiques
ermites,
il
y
a
aussi
un
nombre
plus
grand
de
personnes
qui
y
vont
simplement
parce
qu’elles
ne
trouvent
pas
dans
les
communautés
cénobitiques
existantes,
la
dimension
de
solitude
qu’elles
cherchaient. Il n’est pas rare alors qu’après une période
de
solitude,
certains
de
ces
ermites
deviennent
les
fondateurs
de
nouvelles
communautés
cénobitiques
incarnant
mieux,
à
leur
sens
du
moins,
l’équilibre
entre
la
solitude
et
la
communion.
Parmi les fruits de cette
crise
du
cénobitisme
et
de
cette
nouvelle
vague
d’érémitisme,
on
pourra
noter,
du
côté
érémitique,
la
fondation
de
Camaldoli
et
de
la
Chartreuse,
qui
demeureront
en
existence
jusqu’à
nos
jours,
et,
du
côté
cénobitique,
Cîteaux.
Un
grand
nombre
d’autres
expériences
faites
à
la
même
époque
eurent
une
existence
éphémère ;
ce
qui
ne
veut
pas
dire
qu’elles
ne
jouèrent
pas
un
rôle
efficace
dans
le
renouveau
aussi
bien
du
cénobitisme
que
de
l’érémitisme. Commencera, un demi-siècle
plus
tard,
une
longue
période
de
l’histoire
de
l’Église,
à
laquelle
on
a
donné
le
nom
de
Chrétienté,
en
gros
de
1140
à
1648.
C’est
une
période
difficile
à
évaluer,
durant
laquelle
l’Église
eut
un
rôle
important
dans
la
construction
de
la
civilisation
occidentale.
Période
dont
certains
se
réjouissent
qu’elle
soit
révolue,
alors
que
certaines
franges
de
l’Église
d’aujourd’hui
voudraient
la
faire
renaître.
On
pourrait
dire
que
rien
de
bien
spécial
ne
se
produisit
au
cours
de
cette
longue
période,
aussi
bien
pour
la
vie
érémitique
que
pour
la
vie
cénobitique,
sinon
un
besoin
toujours
plus
grand
de
renouveau
et
de
timides
efforts
de
réforme
ici
et
là.
On
a
pu
parler
d’une
nouvelle
vague
d’érémitisme
durant
le
siècle
qui
précéda
la
Réforme
protestante
et
la
Contre-Réforme.
Mais
il
s’agissait
plutôt
de
sursauts
vers
un
renouveau
spirituel
affectant
toutes
les
formes
de
vie
religieuse,
qu’une
redécouverte
ou
un
approfondissement
de
la
vie
proprement
érémitique.
Ainsi,
le
XIIIème
siècle
connut
bien
la
fondation
de
l’Ordre
des
ermites
de
saint
Augustin ;
mais
il
s’agissait
de
cénobites
vivant
dans
la
solitude
plutôt
que
d’ermites
au
sens
strict. Après Trente et jusqu’à
Vatican
II,
les
divers
Instituts
de
vie
érémitique
et
de
vie
cénobitique
poursuivent
chacun
son
histoire,
s’efforçant
de
se
rénover
périodiquement,
souvent
se
divisant
en
observances
diverses.
Il
faut
dire
que
l’érémitisme
dans
l’Église
latine
a
presque
toujours
été,
et
surtout
après
le
Code
de
Droit
Canon
de
1917,
une
vie
solitaire
vécue
en
communauté,
ou
du
moins
rattaché
à
une
communauté.
Il
faudra
attendre
le
Code
de
1983
pour
qu’un
ermite
n’appartenant
à
aucune
communauté
autre
que
son
Église
diocésaine
puisse
être
considéré
comme
« religieux »
ou
« consacré »
(selon
le
vocabulaire
qu’on
préfère).
Dans les années qui précédèrent
immédiatement
et
qui
suivirent
le
Concile
de
Vatican
II,
on
assista
à
une
nouvelle
vague
d’érémitisme,
qui
contribua,
comme
par
le
passé,
à
un
renouveau
du
cénobitisme.
Cette
« vague
d’érémitisme »
du
20ème
siècle
ne
fut
évidemment
pas
un
raz-de-marée.
Elle
ne
conduisit
pas
des
foules
au
désert. Mais elle ne fut pas sans importance. Elle se manifesta aussi bien dans l’Église d’Angleterre
que
dans
l’Église
de
Rome. Évidemment, comme par le
passé,
un
grand
nombre
de
ceux
qui
se
sentirent
appelés
à
la
vie
érémitique,
étaient
des
personnes
insatisfaites
–
souvent
avec
raison
–
de
la
vie
cénobitique
qu’on
leur
offrait.
Ou
bien
ils
ont
tout
abandonné
après
quelques
années
ou
bien
ils
sont
revenus
à
leur
communauté
pour
travailler
efficacement
à
son
renouveau.
Mais
il
y
eut
aussi
un
bon
nombre
d’authentiques
ermites,
qui
ont
concouru
par
leur
vie
cachée
comme
aussi,
en
certains
cas,
par
leur
écrits,
au
renouveau
de
toute
l’Église.
On
pourrait
citer,
entre
beaucoup
d’autres,
Jacques
Winandy
et
Thomas
Merton. Au moment où cet attrait
vers
l’érémitisme
était
à
son
sommet,
une
réunion
fut
organisée
en
1975
par
le
chanoine
A.M.
Allchin
à
Saint-David,
au
pays
de
Galles,
pour
réfléchir
sur
le
sens
de
ce
phénomène.
L’un
des
participants
à
cette
rencontre,
Mgr.
Kallistos
Ware,
se
trouve
ici
parmi
nous ;
mais
un
autre
nous
a
quittés
récemment,
Il
s’agit
de
Dom
André
Louf,
un
grand
ami
de
Bose,
qui
réalisa
durant
les
dernières
années
de
sa
vie
son
rêve
de
vie
érémitique,
après
avoir
été
pendant
trente
ans
l’abbé
d’une
communauté
cénobitique. Le Monde et l’Église d’aujourd’hui
ont
besoin
d’authentiques
ermites
et
d’authentiques
communautés.
Ermites
et
cénobites,
nous
avons
tous
la
même
vocation
et
la
même
mission :
celle
de
vivre,
quoique
sous
des
formes
différentes,
les
deux
dimensions
essentielles
de
toute
vie
chrétienne
que
sont
la
communion
et
la
solitude.
Les
authentiques
solitaires
vivent
en
profonde
communion
avec
le
Monde
et
l’Église,
et
les
vrais
cénobites
savent
fonder
leur
communion
sur
une
relation
personnelle
à
Dieu
dans
la
solitude. Armand VEILLEUX [1] Conférence donnée à la 18ème Rencontre Œcuménique Internationale de spiritualité orthodoxe au monastère de Bose, en Italie (8-11 septembre 2010). |
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