Pourquoi bombarder une université ?

 

         Le point culminant du roman post-moderne de Umberto Eco Le nom de la rose est l’incendie du monastère et de son immense bibliothèque. C’est le symbole de la disparition de la culture classique, dans la plus pure ligne déconstructrice de Derrida. Umberto Eco écrivait à l’époque où la post-modernité était au sommet de ses prétentions orgueilleuses et pensait avoir remplacé tous les grands systèmes du passé par le règne de la pensée faible.

 

            Il est curieux de voir comment, à travers tous les âges, les pouvoirs envahisseurs sentent le besoin d’éliminer les signes les plus marquants de la culture du peuple qu’ils envahissent. C’est ainsi que, dans l’antiquité, la prodigieuse bibliothèque d’Alexandrie fut plusieurs fois incendiée par les envahisseurs successifs.

 

            À notre époque, alors que toute la politique américaine des Bush fut influencée par les théories de Samuel Huntington sur le Choc des civilisations (un ouvrage que le grand orientaliste Edward Saïd a justement rebaptisé Le choc de l’ignorance), il est devenu de bon ton de considérer que le monde arabe se caractérise par son refus de la raison – entendons la raison soit cartésienne ou kantienne (cf. le discours de Benoît XVI à Ratisbonne).  Toute manifestation de haut savoir et d’ouverture d’esprit chez l’ennemi arabe doit donc être détruite pour ne pas infirmer l’apriori de l’attaquant.

 

            Ainsi, lors de l’occupation de l’Irak par l’armée américaine, le 23 mars 2003, l’un des premiers missiles Tomahawk lancé des navires de guerre américains s’écrasa sur le campus de l’université Mustansiriya.  Il fallait faire disparaître de la mémoire collective le fait que la culture universitaire iraquienne avait atteint les mêmes niveaux que celle des universités américaines ou européennes. Dans le même esprit furent détruits en quelques jours sous des milliers de tonnes de bombes, tous les symboles de la culture mésopotamienne et furent éventrés les musées contenant des trésors parmi les plus anciens de la civilisation.

 

            L’Université islamique de Gaza, selon les professeurs de réputation internationale qui y enseignent, est une institution académique prestigieuse, de très haut niveau, embrassant un très large éventail d’affinités politiques et encourageant l’esprit libéral et la pensée libre.  Son corps professoral est estimé dans les milieux universitaires internationaux et a souvent fait l’objet de reconnaissance officielle d’autres institutions (Voir, par exemple le témoignage du Dr. Akram Habeeb, « Fullbright scholar » et professeur de littérature américaine à cette université, publié sur le site de FoxNews http://www.foxnews.com/story/0,2933,474084,00.html).

 

            Israël ayant décidé d’en finir avec le Hamas (et aussi, évidemment, avec le rêve lointain d’un état palestinien), et devant convaincre l’Occident qu’il lui rendait le service de faire disparaître un régime terroriste dépourvu de toute culture et de toutes valeurs « civilisées », ne pouvait pas permettre que subsiste, au milieu des ruines ce haut centre du savoir.  Il fallait donc suivre l’exemple des envahisseurs américains de Bagdad et détruire cette université.

 

            Et pourtant l’histoire devrait nous montrer que ce genre d’opération est toujours contreproductif.  L’islamologue Fançois Burgat (directeur de recherches au CNRS) a montré dans plusieurs ouvrages comment, dans les premières décennies du 20ème siècle tous les mouvements de modernisation de l’Islam ont été systématiquement contrecarrés par l’Occident et ont eu comme résultat la radicalisation des confréries de Frères Musulmans, en Égypte et au Yemen en particulier.  Mais le plus bel exemple d’erreur monumentale fut le coup d’état organisé en 1951 par les Anglais et les Américains pour renverser Mossadegh, le premier ministre démocratiquement élu de l’Iran. On détruisit alors le seul régime à la fois démocratique et laïque qu’ait connu l’Iran. Cela nous valut, après l’intermède de dictature pro-occidentale du Shah, l’avènement de Komehini. On connaît la suite.

 

            Heureusement, les empires qui détruisent les universités ne sont jamais qu’une parenthèse (même si elle est parfois longue) dans l’histoire des civilisations.

 

Armand Veilleux

31 décembre 2008

 

 

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