Questions monastiques en général
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L’autosuffisance
[économique] des communautés
(Conférence donnée à
Paris lors de la réunion du 29 novembre 2012 de l’association Monastic)
Dans ces
quelques minutes d’introduction qui me sont allouées, j’aimerais soumettre
trois remarques à votre réflexion.
Ma première remarque portera sur la
dimension de nos communautés. La plupart
de nos communautés ont un nombre de moines ou de moniales inférieur à celui
d’il y a dix, vingt ou trente ans. Il faut tenir compte de ce fait ; mais je crois qu’en général nous nous
laissons trop impressionner par cette diminution numérique. Une communauté de cinq, de dix ou de quinze
membres peut être aussi vivante qu’une communauté de 40, 60 ou 100
personnes. Il est d’ailleurs intéressant
de voir que saint Benoît, dans sa Règle, ne parle jamais du nombre de moines
dans un monastère. Cela ne semble avoir aucun intérêt pour lui.
Une petite communauté, même avec une
moyenne d’âge élevée, peut vivre sereinement tous les aspects de la vie
monastique, à la condition qu’elle n’ait pas à porter une structure matérielle
et un style de vie conçus pour une communauté beaucoup plus grande. Il est
important de faire -- et de faire en temps -- les adaptations nécessaires.
Ma deuxième remarque, qui n’est pas sans
lien avec ce que je viens de dire, c’est l’importance, en ce qui concerne, la
gestion matérielle de nos communautés, d’avoir une très grande rigueur et un
grand professionnalisme. L’économie mondiale vit actuellement une crise
profonde, et cela se répercute sur chacun de nos pays. Chaque mois, en France
comme en Belgique, un très grand nombre de PME font faillite. Celles qui
réussissent à surmonter la crise sont celles qui sont gérées de façon très
rigoureuse. Or, il faut bien dire que la
rigueur de gestion n’est pas, dans la plupart des cas, une caractéristique de
nos économies monastiques.
On peut facilement se payer de mots.
Il n’est pas rare qu’on entende quelqu’un dire : avec le travail des
membres de la communauté dans notre petite industrie nous arrivons à couvrir
toutes nos dépenses ordinaires. Mais lorsqu’il faut remplacer une machine ou la
chaudière ou refaire la toiture ou se mettre aux normes, etc. il nous faut
faire appel à de l’aide extérieure. Dans
ce cas, on n’est pas autonome, même si on prétend l’être. Pour vivre de notre
petite industrie il faut que celle-ci génère non seulement les revenus couvrant
nos besoins ordinaires mais qu’elle permette de faire des provisions qui nous
permettront de couvrir toutes les dépenses extraordinaires normales et
prévisibles. De même, si je produis quelque chose de qualité quelconque qui ne
supporterait pas la compétition sur le marché, mais que les amis du monastère
achètent pour aider la communauté, je dois conclure que je vis alors de la
charité des gens au moins tout autant que de mon travail.
Dans un certain nombre de
communautés qui vivent d’une petite industrie – industrie alimentaire dans
beaucoup de cas -- le manque de main d’oeuvre monastique et la volonté de ne pas faire appel à la main d’oeuvre laïque amène à mécaniser les processus de fabrication. Il arrive qu’on fasse alors des
investissements qui sont tout à fait disproportionnés avec le chiffre d’affaire
et qu’on ne pourrait jamais se permettre dans une société « ordinaire »
qui doit calculer avec beaucoup de rigueur le « retour sur
l’investissement » si elle ne veut pas faire faillite. Le fait que la
machine en question soit payée en tout ou en partie par un organisme d’état ou
par un autre donateur, ne rend pas l’investissement plus justifiable
éthiquement.
Et cela nous amène à la troisième remarque que je voudrais
faire, qui concerne l’autosuffisance que nos communautés voudraient avoir ou
prétendent avoir. Une coopération entre nos communautés est de plus en plus
nécessaire pour leur survie matérielle. Et je parle d’une véritable coopération
et d’un authentique partenariat, et non seulement de l’aide qu’une communauté
plus favorisée peut apporter à une autre qui l’est moins. Cette coopération
doit aussi se faire avec les autres acteurs économiques de nos régions
respectives. Il est inadmissible, à tous points de vue, d’investir dans une
machine très sophistiquée qui ne servira que quelques heures par jour ou
quelques jours par mois et dont le prix est tout à fait disproportionné avec
notre chiffre d’affaire, si nous pouvons établir une coopération avec un autre
monastère ou une entreprise extérieure travaillant dans le même domaine ou dans
un domaine analogue. Simplement pour survivre économiquement, il est de plus en
plus important d’établir des synergies.
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Si vous me
le permettez, je pourrais illustrer cela d’une façon un peu humoristique.
Supposons que j’ai développé dans ma
communauté une petite industrie dans laquelle – avec quelques autres moines -- je
fabrique des biscuits au miel selon une recette de mon arrière-grand-mère, et
que cette industrie génère suffisamment de profits pour faire vivre la
communauté. Tout d’abord, je ne dois pas
oublier que ce petit travail artisanal s’insère non seulement dans toute la vie
de la communauté, y compris tous les services communautaires qui n’ont rien à
voir avec cette industrie, mais sans lesquels celle-ci n’existerait pas. Mais il y a aussi toutes les synergies avec
l’extérieur.
Je ne produis sans doute pas ma
farine ; donc, je dépends de la
société qui me vend cette farine. Celle-ci dépend de la société qui moût le
blé, et celle-ci dépend des agriculteurs qui le cultivent. À moins d’avoir mes
propres ruches, je dépends aussi de quelqu’un qui me vend le miel. Pour cuire
mes biscuits j’utilise un four qui a été fabriqué par une société extérieure
qui doit venir de temps à autre pour le réparer ou faire la maintenance. Je
dépends de ceux qui font la vente de mes biscuits, du comptable qui calcule si
je fais des profits ou si je pers de l’argent. Etc. Dans ce contexte, accepter d’engager deux ou
trois personnes de l’extérieur pour faire une partie des opérations, plutôt que
d’acheter une machine au coût disproportionné, ne diminuerait en rien ma
prétendue autosuffisance, et aurait beaucoup plus de sens socialement et
éthiquement.
Il faut être solidaire pour survivre.
Armane VEILLEUX.
(Paru dans le Bulletin d'Information 2013 de Monastic.
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