Vie religieuse en général
|
|||
|
|||
LA
COMPLEXITÉ DU
RETOUR
AUX
SOURCES UN
CAS
TYPE : LES
AUGUSTINES
DE
LA
MISÉRICORDE
DE
JÉSUS Le retour aux sources ou au charisme du fondateur est l'un
des
principaux
critères
donnés
par
Vatican
II
pour
le
discernement
à
effectuer
dans
l'œuvre
du
renouveau
des
communautés
religieuses.
Ce
critère
s'applique
de
façon
très
différente
selon
qu'il
s'agisse
d'un
groupement
religieux
fondé
à
une
époque
récente
et
pour
une
tâche
apostolique
précise
et
limitée,
ou
qu'il
s'agisse
d'un
ordre
ancien
issu
d'un
grand
courant
spirituel
plutôt
que
d'un
fondateur
clairement
identifié,
et
ayant
connu
une
évolution
considérable
au
cours
de
son
histoire. Appelé
par
quelques
religieuses
hospitalières
de
l'Ordre
des
Augustines
de
la
Miséricorde
de
Jésus
à
réfléchir
avec
elles
sur
l'histoire
de
leur
Institut,
j'ai
vite
été
frappé
de
l'intérêt
extrême
que
peut
présenter
cette
histoire
pour
l'historien
de
la
vie
religieuse.
L'évolution
de
ce
groupement
religieux
au
long
des
siècles
exprime
assez
bien
la
situation
où
se
trouvent
plusieurs
instituts
qui
doivent,
lorsqu'il
est
question
de
retour
aux
sources
ou
de
fidélité
à
la
Tradition,
établir
une
hiérarchie
entre
des
fidélités
diverses
et
d'importance
inégale. Après
avoir
rappelé
en
quelques
mots
les
grandes
étapes
de
l'histoire
des
Augustines,
je
tracerai
également
un
rapide
tableau
d'ensemble
de
l'histoire
de
la
vie
religieuse
en
général,
pour
montrer
comment
s'y
inscrivent
les
mutations
qu'a
connues
l'Ordre
des
Augustines.
Dans
une
troisième
section
je
reprendrai
d'une
façon
quelque
peu
plus
détaillée
l'histoire
du
monachisme
augustinien
et
des
divers
groupements
religieux
qui,
au
cours
des
siècles,
se
sont
rattachés
à
la
Règle
augustinienne.
Enfin,
dans
une
dernière
section,
j'analyserai
comment
se
situe
aujourd'hui
l'Ordre
des
Augustines
face
aux
divers
courants
de
la
Tradition
auxquels
elles
ont
été
amenées
à
se
rattacher
successivement. Quelques grandes dates dans l'histoire des Augustines
[1]
L'origine des Augustines de la Miséricorde de Jésus se situe
au
milieu
du
XIe
siècle
à
Dieppe.
En
cet
endroit
existait,
depuis
la
fondation
même
de
la
ville,
vers
800
ou
même
un
peu
auparavant,
un
Hôtel-Dieu
desservi
par
des
Frères
Hospitaliers.
À
ceux-ci
se
joignirent,
vers
l'an
1055,
des
sueurs
qui
vaquaient
au
soin
des
pauvres
et
des
malades
aussi
bien
à
travers
toute
la
ville
qu'à
l'Hôtel-Dieu
même. À
partir
de
la
seconde
moitié
du
XII
le siècle,
ces
sueurs
deviennent
religieuses
« régulières », vivant selon la Règle de saint Augustin, et faisant les
trois
voeux
solennels
de
religion
de
même
que
celui
d'hospitalité
envers
les
pauvres
malades.
Elles
se
rattachent
alors
à
l'Ordre
des
Ermites
de
saint
Augustin,
comme
en
fera
foi
encore
un
peu
plus
tard
les
Constitutions
qu'elles
rédigeront
vers
1420. Plus
de
soixante
ans
après
le
Concile
de
Trente,
diverses
pressions
extérieures
les
amènent,
au
cours
du
XVIIe
siècle,
à
se
mouler
dans
les
cadres
juridiques
établis par ce Concile et par le Pape Pie V pour les Religieuses
cloîtrées.
Cette
«réforme»
s'étant
faite
avec
l'aide
de.
Chanoinesses
régulières
venues
du
prieuré
de
Pontoise,
les
sueurs
de
Dieppe
se
rattacheront
désormais
à
l'Ordre
canonial
des
Chanoinesses
régulières
de
saint
Augustin
et
non
plus
à
l'Ordre
mendiant
des
Ermites
de
saint
Augustin. Les
Constitutions
rédigées
pour
les
Augustines
par
le
Père
Robert
Lignier,
s.
j., au cours des années 1626-1628 furent définitivement approuvées
en
1666
et
elles
restèrent
en
vigueur
jusqu'à
leur
révision
en
1923
à
la
suite
de
la
promulgation
du
code
de
droit
canon.
Elles
furent
évidemment
à
nouveau
modifiées
après
Vatican
Il. Voyons
maintenant
comment
chaque
tournant
de
cette
histoire
s'éclaire
si
on
le
replace
à
l'intérieur
de
l'évolution
de
la
vie
religieuse
en
général. Survol de l'histoire de la vie religieuse
[2]
L'histoire
de
la
vie
religieuse
remonte
aux
premières
générations
chrétiennes.
Dès
ce
moment
on
retrouve
à
travers
toutes
les
«
Églises »
de
la
jeune
chrétienté
des
ascètes
et
des
vierges
des
deux
sexes.
Ils
vivent
au
sein
de
la
communauté
ecclésiale,
pratiquant
non
seulement
le
célibat
mais
aussi
une
ascèse
rigoureuse
et
montrant
une
égale
assiduité
à
la
célébration
du
culte,
à
la
visite
aux
pauvres
et
au
soin
des
malades.
On
y
trouve
déjà,
bien
qu'encore
non
institutionnalisées,
à
peu
près
toutes
les
formes
de
vie
religieuse
que
nous
connaissons
maintenant. Un
mouvement
ascétique
particulièrement
vigoureux
caractérisait
les
églises
judéo-chrétiennes,
et
donna
naissance
au
monachisme.
À
partir
de
la
fin
du
troisième
siècle
et
du
début
du
quatrième,
ce
mouvement
se
développe
avec
une
intensité
et
une
rapidité
surprenantes?
à
travers
tous
les
pays
de
l'Orient
d'abord,
d'Occident
ensuite.
Non
seulement
ce
mouvement
canalisa
une
très
grande
partie
des
énergies
spirituelles,
mais
devint
l'objet
de
l'attention
-
et
parfois
des
préoccupations
-
des
autorités
ecclésiastiques
et
civiles
au
point
que
les
autres
façons
dé
vivre
les
Conseils
évangéliques
furent
graduellement
reléguées
dans
l'ombre.
La
réforme
de
Charlemagne,
au
début
du
IXe
siècle
durcira
ce
rétrécissement
de
l'éventail
des
formes
de
vie
religieuse.
À
partir
de
ce
moment
une
seule
forme
de
vie
religieuse
est
reconnue
en
Occident:
la
vie
monastique
selon
la
Règle
de
saint
Benoît.
Cette
situation
restera
inchangée
jusqu'au
moment
de
la
grande
réforme
grégorienne
du
XIe
et
du
XII,
siècles. En
ces
siècles
(XI-XIIe)
un
souffle
de
vie
nouvelle
passe
sur
l'Église.
L'étau
dans
lequel
la
réforme
carolingienne
avait
coincé
la
vie
religieuse
se
desserre
et
plusieurs
formes
nouvelles
apparaissent.
Ce
sont
d'abord
de
nouvelles
formes
de
vie
monastique
qui
se
manifestent,
caractérisées
par
un
retour
à
la
pauvreté
et
à
la
simplicité.
Cîteaux,
Camaldoli,
Vallombreuse,
Grandmont,
etc.
Parallèlement
apparaissent
aussi
avec
profusion
les
ordres
canoniaux
(chanoines
réguliers,
hospitaliers
et
chevaliers)
de
même
que
les
ordres
mendiants
(Franciscains,
Dominicains,
Carmes,
Servites
et
Ermites
de
saint
Augustin).
Les
uns
et
les
autres
adoptent
presque
tous
la
Règle
de
saint
Augustin. Il
est
évident
que
toutes
ces
fondations
nouvelles
ne
jaillirent
pas
comme
des
générations
spontanées.
Dès
les
siècles
précédents
de
nombreux
groupements
s'étaient
lentement
constitués
pour
le
service
des
pauvres,
des
malades
et
des
captifs
de
même
que
pour
de
nombreuses
tâches
apostoliques.
Ce
sont
durant
longtemps
des
sortes
de
confréries
ou
de
pieuses
associations
de
laïcs.
Ce
fut
évidemment
le
cas
des
soeurs
de
Dieppe,
comme
d'ailleurs
des
frères
du
même
Hôtel-Dieu
[3]
, avant leur agrégation à l'Ordre des Ermites de saint
Augustin
(fondé
en
1256). À
partir
de
la
fin
du
XIII°
siècle
une
grave
crise
s'annonce.
Grave
crise
de
civilisation,
au
cours
de
laquelle
l'Europe
allait
se
disloquer
et
la
«
chrétienté »
s'écrouler.
Au
début
du
XVIe
siècle,
de
toutes
parts
les
mystiques
et
les
prophètes
crient
le
besoin
de
réforme,
jusqu'à
ce
que,
la
réforme
officielle
ne
venant
pas,
Luther
entreprenne
la
sienne.
Mais
au
sein
même
de
l'Église,
dès
avant
Trente,
un
mouvement
de
réforme
s'était
manifesté
dans
la
vie
religieuse,
De
nombreuses
communautés
religieuses
qui
joueront
un
rôle
important
dans
l'Église
jusqu'à
nos
jours
naissent
alors,
même
si
elles
ne
sont
pas
reconnues
officiellement
comme
«
instituts
religieux ». Quant au Concile de Trente, il ne traita, dans sa
Session
XXV,
que
de
ceux
qui
étaient
considérés
comme
religieux
par
le
droit:
de Regularibus et Monialibus, c'est-à-dire
des
religieux
et
religieuses
à
voeux
solennels.
Son
but
était
avant
tout
de
réformer
des
abus,
et
ses
décisions
furent
particulièrement
absolues
par
rapport
aux
femmes,
qui
furent
sévèrement
emmurées. Si
l'on
comprend
la
sévérité
du
Concile
de
Trente
face
à
bien
des
communautés
de
moniales
relâchées,
menant
bal
au
monastère
et
recevant
visiteur
sur
visiteur,
on
comprend
tout
aussi
bien
que
les
hospitalières
de
Dieppe,
qui
étaient
de
braves
filles
toutes
dévouées
à
leur
apostolat
auprès
des
malades,
ne
se
soient
pas
senties
concernées
par
cette
législation
nouvelle.
Ce
fut
sans
doute
la
conclusion
aussi
du
Cardinal
de
Joyeuse
en
1615
et
de
Mgr
François
de
Harlay
en
1624,
qui
firent
des
projets
de
réforme
mais
n'y
donnèrent
pas
suite.
Ce
fut
le
syndic
de
la
ville
de
Dieppe
qui,
pour
des
raisons
tout
autres
que
religieuses,
provoqua
l'application
des
décisions
de
Trente
à
Dieppe.
On
fit
venir
des
Chanoinesses
de
Pontoise
pour
réaliser
cette
« réforme » à Dieppe, et les sœurs de Dieppe devinrent dès lors elles
aussi
des
Chanoinesses
régulières.
Cette
mutation
impliquait,
surtout
du
fait
de
la
« clôture »,
une
modification
profonde
de
ce
qui
avait
été
le
charisme
propre
de
ces
religieuses
depuis
près
de
six
siècles,
et
dont
l'annaliste
de
l'Hôtel-Dieu
de
Québec
donne
la
description
suivante:
« C'était
une
assemblée
de
filles
pieuses
et
charitables
qui
s'occupaient
à
secourir
les
pauvres
malades
dans
tous
les
quartiers
de
la
ville.
Elles
en
avaient
aussi
beaucoup
chez
elles,
qu'elles
servaient
avec
une
grande
ferveur.
» Il
est
un
peu
déconcertant
de
voir
comment
des
pressions
extérieures
amenèrent
les
sueurs
de
Dieppe
à
abandonner
leur
style
traditionnel
de
vie
et
d'apostolat
afin
de
se
conformer
à
des
prescriptions
canoniques
générales,
tout
juste
au
moment
où
leur
propre
style
de
vie
allait
graduellement
obtenir
droit
d'existence
dans
l'Église.
En
effet,
lorsqu'au
début
du
XVIIe
siècle
saint
François
de
Sales
eut
l'idée
d'une
communauté
de
religieuses
qui
ne
vivraient
pas
derrière
les
murs
d'un
cloître
mais
se
dévoueraient
au
milieu
du
monde
dans
l'exercice
de
la
charité,
l'opposition
à
l'apostolat
des
religieuses
hors
clôture
et
sans
vœux
solennels
était
si
vivace
que
ses
Visitandines
durent
se
muer
en
moniales
cloîtrées,
comme
les
hospitalières
de
Dieppe.
Mais
ce
que
n'avait pas réussi saint François de Sales, saint Vincent de
Paul
et
Louise
de
Marillac
le
réussirent,
avec
la
fondation
des
Filles
de
la
Charité.
Ils
trouvèrent
la
véritable
solution
;
ignorant
les
distinctions
des
canonistes,
acceptant
facilement
d'être
privées
du
nom de « religieuses », elles
ne
firent
que
des
vœux
privés
et
ainsi,
sous
la
forme
d'une
Société
de
pieuses
femmes
sans
voeux
publics,
purent
jouir
de
la
liberté
des
enfants
de
Dieu
et
joindre
une
authentique
pratique
des
conseils
évangéliques
au
service
des
pauvres,
à
l'instar
des
premières
sœurs
de
Dieppe.
Le
mouvement
était
donné
et
de
nombreuses
communautés
semblables
d'hommes
et
de
femmes
se
multiplièrent,
pour
assurer
l'enseignement
et
le
soin
des
malades
ou
d'autres
formes
de
dévouement
évangélique.
Peu
à
peu,
le
droit
suivant
la
vie,
l'Église
les
reconnaîtra
officiellement
comme
religieux
et
religieuses. En
1900,
dans
la
Constitution
Conditae
a
Christo
Léon XIII consacrera cette évolution en reconnaissant comme
authentiquement
religieuses
les
communautés
à
voeux
simples.
Mais
les
Normae publiées
l'année
suivante
par
la
Congrégation
des
Évêques
et
Réguliers
allaient
conduire
à
un
nivellement
des
Instituts
religieux.
Systématisant
à
outrance
le
concept
de
vie
religieuse,
elles
entraient
dans
le
détail
de
l'organisation
des
Congrégations
et
des
Ordres
et
donnaient
un
modèle
précis
de
Constitutions.
Dans
les
révisions
des
Constitutions
qui
furent
exécutées
à
ce
moment,
de
même
qu'après
la
publication
du
code
de
droit
canon
en
1917,
plusieurs
Ordres
et
Congrégations
perdirent
presque
totalement
l'originalité
de
leur
charisme
et
se
donnèrent
des
Constitutions
pratiquement
interchangeables.
Les
Augustines
de
la
Miséricorde
de
Jésus
ne
purent
échapper
à
ce
nivellement
dans
la
révision
de
leurs
Constitutions
en
1923. La vie religieuse augustinienne Tout
comme
on
parle
d'Ordre monastique
pour
désigner
non
pas
un
Ordre
religieux
au
sens
canonique
du
mot,
mais
l'ensemble
des
Ordres
et
Communautés
menant
la
vie
monastique
sous
ses
diverses
formes,
ainsi
on
appelle
Ordre
augustinien,
au sens large du mot, l'ensemble des Ordres
et
Congrégations
qui
se
rattachent
d'une
façon
ou
d'une
autre
à
la
Règle
de
saint
Augustin.
Les
Augustines
de
la
Miséricorde
de
Jésus
appartenant
à
cet
Ordre
augustinien,
il
sera
bon
de
dire
quelques
mots
de
l'origine
et
du
développement
de
ce
grand
mouvement
spirituel
à
travers
les
siècles. Homme d'une grande sensibilité et d'un don inné pour l'amitié,
enthousiasmé
par
surcroît
par
tout
ce
qu'il
avait
appris
des
Pères
du
désert,
Augustin
vécut
pratiquement
toute
sa
vie
dans
la
fraternité
avec
des
compagnons.
Sa
première
expérience
de
vie
commune,
il
la
vécut
à
Cassisiacum
en
386,
dans
une
maison
de
campagne
aux
environs
de
Milan,
avec
sa
mère,
son
fils
et
quelques
amis
intimes,
entre
sa
conversion
et
son
baptême.
Rentré
en
Afrique
en
388,
il
fait
de
sa
maison
familiale
un
monastère
où
il
mène
avec
des
frères,
une
vie
de
prière,
d'étude
et
de
travail
manuel.
C'est
un
monastère
laïc
de
type
traditionnel
comme
ceux
qu'il
avait
connus
en
Italie,
surtout
à
Rome.
Devenu
prêtre,
puis
évêque
d'Hippone,
il
organise
près
de
la
cathédrale,
toujours
dans
sa
résidence,
un
monastère
clérical
qui
devient
une
sorte
de
Séminaire
d'où
sortiront
au
moins
une
bonne
dizaine
d'évêques.
En
396
il
réunit
aussi
dans
un
Monastère
dirigé
par
sa
sueur
un
certain
nombre
de
vierges
d'Hippone. Comme
toutes
les
formes
de
vie
cénobitique,
le
monachisme
augustinien
a
pour
idéal
la
reconstitution
de
la
vie
de
la
communauté
primitive
des
chrétiens
à
Jérusalem.
Sa
caractéristique
propre
fut
l'effort
pour
unir
harmonieusement
l'idéal
monastique
de
solitude
et
de
contemplation
avec
l'activité
sacerdotale
ou
apostolique
[4]
. Lorsque
les
invasions
arabes
de
la
fin
du
Vlle
siècle
firent
disparaître
à
peu
près
toute
vie
chrétienne
en
Afrique,
ce
fut
également
la
fin
définitive
du
monachisme
augustinien.
Des
diverses
communautés
qui,
plus
tard,
se
rattacheront
à
la
Règle
de
saint
Augustin,
aucune
ne
sera
« monastique » au sens propre du mot. Il
existe
de
la
Règle
de
saint
Augustin
une
version
féminine
(=
la
lettre
211
ou
Objurgatio) et une version masculine (=
Regula ad servos Dei). Durant très longtemps
on
a
pensé
que
la
version
masculine
était
une
adaptation
de
la
version
féminine.
Les
récentes
études
critiques
de
Luc
Verheijen
de
même
que
celles
de
T.
J.
Van
Bave)
ont
démontré
le
contraire
[5]
.
La
règle
masculine
comporte
elle-même
deux
pièces
qui
nous
sont
parvenues
tantôt
jointes
et
tantôt
séparées:
ce
sont,
selon
la
nomenclature
adoptée
par
Verheijen,
l'Ordo
Monasterii et le Praeceptum. Vers 345 Alypius, ami d'Augustin, rend visite à saint
Jérôme,
à
Bethléem,
et
en
rapporte
l'idée
d'une
Règle
et
quelques
éléments
pour
la
composition
d'un
office
liturgique
monastique.
II
rédige
l'Ordo Monasterii, qui reçoit l'approbation
de
saint
Augustin
et,
peut-être,
un
préambule
qui
met
l'accent
sur
l'amour
de
Dieu
et
du
prochain.
Il
fait
adopter
l'Ordo Monasterii à Thagaste. Quelque temps plus tard, Augustin suit
l'exemple
de
son
ami
et
met
par
écrit
un
enseignement
oral
qu'il
avait
commencé
à
donner
depuis
quelques
années
aux
frères
laïcs
d'Hippone.
C'est
le
Praeceptum, seul document qui puisse être
dit
réellement
«
règle
d'Augustin », quoique
lui-même
ne
l'ait
jamais
désigné
par
le
vocable
«
règle »,
ce terme n'ayant pas, à l'époque, la signification
de
règle
monastique.
Tous
les
autres
documents
dits
« règle
de
saint
Augustin »
(il
y
en
a
neuf
en
tout)
dérivent
de
ces
trois
textes
fondamentaux
(la
lettre
211,
l' Ordo Monasterii et le Praeceptum), soit par combinaisons diverses, soit par transposition
du
masculin
au
féminin. Comme je
l'ai dit plus haut, le monachisme
augustinien
s'éteignit
pour
toujours
à
la
suite
des
invasions
arabes
en
Afrique.
La
Règle
augustinienne
par
ailleurs
sera
reprise
par
divers
groupes
religieux
non
monastiques
es
au
Me
et
au
XIII,
siècles:
les
ordres
canoniaux
et
la
plupart
des
ordres
mendiants.
Parmi
ces
derniers
se
trouvent
les
Ermites
de
saint
Augustin,
Ordre
constitué
en
1256
de
plusieurs
groupements
d'ermites
installés
dans
les
bourgs
et
les
villes
où
leurs
membres
vivaient
en
commun
tout
en
exerçant
un
apostolat
[6]
. En
1215
le
Concile
de
Latran,
ému
de
la
prolifération
quelque
peu
anarchique
des
Ordres
religieux,
avait
décidé
qu'aucune
congrégation
nouvelle
ne
serait
autorisée
et
que
quiconque
voudrait
fonder
une
association
religieuse
devrait
adopter
une
règle
déjà
approuvée.
Cette
législation
était
certes
malheureuse,
car
elle
allait
figer
pour
longtemps
l'évolution
spontanée
de
la
vie
religieuse.
Par
ailleurs
elle
allait
rendre
très
populaire
la
règle
de
saint
Augustin.
En
effet,
la
règle
de
saint
Benoît
ne
convenait
nullement
à
tous
ces
groupements
nouveaux
de
chanoines
et
de
mendiants
à
orientation
missionnaire.
Par
contre,
la
règle
de
saint
Augustin
pouvait
s'accommoder
facilement
à
n'importe
quel
genre
de
vie
chrétienne
vécue
à
l'intérieur
d'un
contexte
de
vie
commune.
Ne
prévoyant
aucune
structure
institutionnelle,
elle
s'accommodait
de
n'importe
laquelle
[7]
. Les Augustines et le retour aux sources À leurs débuts et durant plusieurs siècles les hospitalières
de
Dieppe
furent
une
confrérie
de
pieuses
filles
se
dévouant
au
soin
des
pauvres
et
des
malades
de
la
ville.
C'est
là
que
s'exprime
dans
toute
sa
simplicité
et
toute
sa
clarté
leur
charisme
propre,
antérieur
à
toute
institutionnalisation. À l'époque de structuration que fut le XIIIe siècle elles
s'adjoignirent
à
l'ordre
des
Ermites
de
saint
Augustin,
et
il
est
probable
qu'elles
aient
adopté
dès
auparavant
la
Règle
de
saint
Augustin.
Après
le Concile de Trente elles furent projetées malgré elles dans
une
« réforme
»
qui
en
fit
des
Chanoinesses
de
saint
Augustin.
Enfin,
à
l'instar
des
autres
Instituts
elles
subirent
le
nivellement
canonique
du
début
du
XXe
siècle.
Lorsqu'elles
s'interrogent
aujourd'hui
sur
leur
fidélité
à
leurs
traditions,
il
apparaît
déjà
qu'elles
ont
à
établir
une
hiérarchie
entre
leurs
fidélités
à
divers
courants
spirituels
auxquels
elles
ont
été
rattachées
mais
qui
correspondent
de
façons
inégales
à
leur
charisme
originel. Je voudrais qu'il soit clair que je n'entends pas, en ce
qui
suit,
tracer
des
lignes
de
conduite
aux
Augustines
de
la
Miséricorde
de
Jésus,
mais
simplement
décrire
ce
qui,
à
l'historien
de
la
vie
religieuse,
semble
découler
objectivement
de
l'analyse
des
faits. a)
Au-delà
de
la
fidélité
à
des
cadres
juridiques
hérités
de
Trente
ou
du
code
de
droit
canon,
elles
doivent
avant
tout
fidélité
aux
diverses
grandes
traditions
spirituelles
dans
lesquelles
s'est
moulée
leur
histoire. b)
Mais
en
premier
lieu
il
me
semble
important
de
préciser
qu'il
ne
peut
aucunement
être
question
pour
elles
de
fidélité
à
une
quelconque
tradition monastique.
À
aucun moment de leur histoire elles n'ont vécu la vie monastique
au
sens
propre
du
terme
et
à
aucun
moment
elles
ne
furent
un
Ordre
monastique.
A
fortiori
elles
ne
peuvent
se
rattacher
au
monachisme
augustinien qui cessa d'exister au début du VIII' siècle.
De
plus,
tout
le
Moyen-âge
a
été
très
soucieux
de
distinguer
la
vie
canoniale
et
la
vie
des
Mendiants
de
la
vie
monastique.
L'utilisation
dans
leurs
documents
des
mots
moniale
et monastère
ne doit pas faire illusion. En latin le mot monialis (plus
souvent
sanctimonialis) est
un
terme
générique
pour
désigner
toute
religieuse
ou
toute
femme
consacrée
à
Dieu.
Saint
Augustin
lui-même
l'emploie
souvent
dans
ses
écrits
pour
désigner
des
vierges
habitant
dans
le
monde
[8]
.
Le
féminin
latin
de
moine
(monachus)
n'est pas rnonialis mais
bien
monacha. Quant
au
mot
monastère il est lui aussi un terme générique
désignant
à
peu
près
tout
genre
de
maison
religieuse.
Dans
la
tradition
proprement
monastique,
le
mot
monasteriurn désigne non pas, comme on
le
pense
souvent,
un
édifice
ayant
une
architecture
déterminée,
mais
tout
lieu
où
vivent
un
moine
ou
des
moines.
La
grotte
d'un
ermite
dans
la
montagne
est
appelée
monastère,
tout
aussi
bien
que
la
cabane
où
vivent
deux
ou
trois
frères
ou
encore
les
grands
bâtiments
copiés
sur
l'architecture
des
châteaux
médiévaux
ou
des
édifices
publics
modernes
que
nous
avons
pris
l'habitude
d'appeler
monastères
de
nos
jours. c) La fidélité des Augustines
à
la
tradition
augustinienne
n'est pas la fidélité à Augustin comme â un « fondateur »,
mais la fidélité à un grand courant spirituel, celui des
ordres
mendiants
et
canoniaux,
qui
ont
trouvé
dans
la
spiritualité
d'Augustin
le
meilleur
de
leur
nourriture
spirituelle. d) Au-delà de toutes ces
traditions
et
de
tous
ces
courants,
l'essentiel
de
la
fidélité
des
Augustines
réside
évidemment
dans
la
fidélité
au
modèle
de
vie
des
premières
hospitalières
de
Dieppe,
Le
charisme
propre
d'un
institut
s'exprime
toujours
au
meilleur
de
sa
pureté
dans
la
période
qui
précède
toute
institutionnalisation. * * * En
cette
période
de
mutations
rapides
où
nous
vivons,
les
Augustines
sont
comme
prédisposées,
de
par
leurs
racines
augustiniennes
mêmes,
à
l'évolution
et
à
l'adaptation.
Nul
homme
n'a
été
aussi
ouvert
à
l'évolution
et
au
changement
qu'Augustin.
Il
a
vécu
à
une
période
de
profonds
bouleversements
et
a
donné,
dans
ses
lettres
36,
54
et
55
entre
autres,
des
principes
qui
sont
encore
d'actualité.
Selon
lui
il
y
a
ce
qui
doit
rester
immuable:
l'Écriture
Sainte
et
la
Tradition
de
l'Église
universelle.
Tout
le
reste
peut
varier
à
condition
que
l'on
maintienne
la
paix
et
la
charité
dans
le
respect
des
personnes,
surtout
des
« petits » dans la foi, et dans la
liberté
des
observances
[9]
.
L'amour
fraternel,
l'humilité
et
la
pauvreté
resteront
toujours
les
grandes
caractéristiques
de
sa
spiritualité,
de
même
qu'un
lien
étroit
entre
l'action
et
la
contemplation.
Il
revient
sans
cesse
dans
sa
prédication
sur
la
complémentarité
de
Marthe
et
de
Marie,
se
refusant
sans
cesse
et
absolument
à
opposer
l'une
à
l'autre
[10]
. D'ailleurs
l'orientation
nettement
missionnaire
et
apostolique
de
la
tradition
canoniale
devrait
mettre
en
garde
contre
ce
danger
qu'Augustin
a
combattu
de
privilégier
la
contemplation
aux
dépens
du
service
des
pauvres.
L'insertion
efficace
dans
le
monde
-
autre
caractéristique
de
la
tradition
canoniale
-
et
la
grande
mobilité
des
membres
en
fonction
d'une
implantation
rapide
là
où
naissent
les
besoins
nouveaux
-
caractéristique
principale
des
ordres
mendiants
-
ouvrent
aux
Augustines
d'aujourd'hui
des
possibilités
illimitées
à
l'intérieur
même
de
la
fidélité
à
leurs
traditions,
pour
la
découverte
de
nouveaux
modes
de
présence
aux
pauvres
et
aux
malades
dans
un
monde
radicalement
différent
de
celui
du
Moyen-âge. Au
surplus,
le
charisme
originel
des
premières
hospitalières
de
Dieppe
ne
répugne
à
aucune
de
ces
possibilités
nouvelles,
tant
il
est
grand
et
ouvert
dans
sa
simplicité. Demeuré
durant
des
siècles
un
tout
petit
groupe
et
n'ayant
jamais
connu
un
grand
développement
numérique,
l'Ordre
des
Augustines
de
la
Miséricorde
a
été
plus
vulnérable
que
les
« Grands
Ordres
»
aux
influences
externes
au
cours
de
son
évolution.
Par
ailleurs
la
période
de
jaillissement
de
son
charisme
propre,
antérieure
à
toute
institutionnalisation,
a
été
exceptionnellement
longue.
Ce
fait
met
les
Augustines
d'aujourd'hui,
en
regard
des
exigences
de
renouveau,
dans
une
situation
de
liberté
évangélique
beaucoup
plus
grande
que
ne
le
sont
les
nombreuses
communautés
nées
au
cœur
même
de
périodes
de
structuration
canonique
(réformes
grégorienne
ou
post-tridentine)
et
pour
qui
il
est
souvent
difficile
de
séparer
le
charisme
de
la
structure
dans
laquelle
il
a
été
moulé
dès
le
début.
Cette
situation
privilégiée
constitue
sans
doute
pour
les
Augustines
un
défi
à
relever
aussi
bien
qu'une
responsabilité
et
une
mission. Armand Veilleux, o.c.s.o. Abbaye cistercienne Mistassini, Qué. Canada
[1]
Pour
cette
partie
je
me
réfère
à
une
brochure
intitulée:
Notes et Documents historiques, La Fédération des Augustines de la Miséricorde de Jésus au Canada, 1974.
On
y
trouvera
les
références
à
d'autres
études
antérieures.
[2]
Dans
cette
section
je
ne
fais
que
résumer
brièvement
une
étude
plus
approfondie
que
j'ai
publiée
dans
Per
una
presenza
viva
dei
religiosi nella Chiesa e nel mondo,
Rome
1970.
Une
traduction
française
du
premier
chapitre
de
cet
ouvrage
a
été
publiée
dans
Collectanea
Cisierciensla 32
(1970),
pp.
129-154,
sous
le
titre:
Évolution de la vie religieuse dans son contexte
historico-spirituel.
On
y
trouvera
une
plus
ample
bibliographie.
[3]
C'est
par
erreur
que
la
brochure
mentionnée
à
la
note
1
affirme,
à
la
page
8,
que
ces
frères
étaient
alors
de
"
véritables
religieux
".
[4]
La
meilleure,
sinon
la
seule,
étude
d'ensemble
sur
le
monachisme
augustinien
est
celle
d'Adolar
ZUMKELLER,
OSA,
Das Mönchtum
des
heiligen
Augustinus,
2°
édition
revue,
(Coll.
Cassiciacum, vol. XI), Würzburg, 1968. Abondante bibliographie.
[5]
Luc VERHEIJEN, La Règle de saint
Augustin,
I. Tradition manuscrite, II. Recherches historiques. Études Augustiniennes,
Paris
1967;
T.
J.
VAN BAVEL, De evangelische betekenis van de Regel
van
Sint
Augustinus,
dans Gedenkboek Orde van Prémontré
1121-1171.
Averbode,
1971,
pp.
97-113.
[6]
On
consultera
avec
profit
Raymond
HOSTIE, Vie et mort des ordres
religieux,
Desclée de Brouwer, 1972, pp.99-161.
[7]
Cf.
par
exemple
A.
SAGE,
La
vie
religieuse
selon
saint
Augustin,
La
Vie
Augustinienne,
Paris
1972.
[8]
Cf.
Juan-Manuel
DEL ESTAL, OSA, Un cenobitlsmo
preagustiano en Africra?, La Ciudad de Dios (Escorial), CLXXI (1958), pp, 161-195.
[9]
Cf.
J,
MORAN,
osa, S. Agustín
y
los cambios en la Iglesia, Rev. Agustiniana de Espiritualidad, 8 (1967), pp. 23-44.
[10]
Ce
point
a
été
analysé
avec
profondeur
et
finesse
par
G.
LOCHER,
Martha en Maria in de prediking van Angustinus, dans Ned. Archief voor Kerkgeschiedenis, 46 (1964/5) 65-86. |
|
||