Écrits et conférences d'intérêt général
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Apprendre à prier ou apprendre à vivre? Armand Veilleux En tant
que
chrétiens,
nous
appartenons
à
une
longue
tradition
spirituelle
qui,
se
rattachant
à
Jésus
de
Nazareth,
pousse
ses
racines
dans
l'expérience
religieuse
quatre
fois
millénaire
du
peuple
d'Israël.
Or
cette
expérience
religieuse,
pour
particulière
qu'elle
fût,
ne
s'est
pas
élaborée
indépendamment
de
celle
des
autres
peuples
du
Moyen
Orient,
ni
uniquement
en
réaction
contre
les
traditions
et
les
coutumes
de
ces
derniers.
Elle
a
germé
dans
le
substrat
religieux
commun
de
l'humanité.
Finalement,
la
grande,
tradition
religieuse
judéo-chrétienne
n'a
jamais
été
une
réalité
immuable;
au
contraire,
elle
n'a
cessé
d'évoluer,
depuis
ses
origines
jusqu'à
nos
jours. C'est pourquoi,
lorsque
nous
voulons
approfondir
la
prière
des
grands
témoins
bibliques,
il
est
bon
de
la
resituer
dans
le
contexte
plus
large
de
l'expérience
religieuse
de
l'humanité
tout
entière.
Et
lorsque,
de
nos
jours,
beaucoup
de
chrétiens
ressentent
un
goût
pour
la
prière
et
désirent
apprendre
ou
réapprendre
à
prier,
ce
phénomène
mérite
d'être
analysé
en
relation
avec
l'évolution
du
sentiment
religieux
et
de
la
relation
de
celui-ci
avec
l'expérience
de
foi
chez
l'homme
contemporain. Apprendre
à
prier Il n'est
pas
rare
de
nos
jours
d'entendre
des
personnes,
s'adressant
à
un
guide
spirituel,
se
présentant
à
l'hôtellerie
d'un
monastère
ou
encore
dans
un
«Centre
de
prière»,
reprendre
à
leur
compte
la
demande
des
disciples
à
Jésus
:
«Apprends-nous
à
prier
»
. L'insatisfaction
profonde
engendrée
par
une
civilisation
matérialiste
et
unidimensionnelle
—
que
ce
soit
celle
de
nos
sociétés
capitalistes
occidentales
ou
celle
des
régimes
socialistes
plus
ouvertement
athées
—
explique
sans
doute
en
grande
partie
cette
soif
de
valeurs
spirituelles.
Mais
cette
explication
est-elle
suffisante?
Et
s'agit-il
toujours
d'une
authentique
soif
de
valeurs
spirituelles? Beaucoup
de
chrétiens
ayant
abandonné
il
y
a
déjà
assez
longtemps
les
formes
traditionnelles
de
prière
parce
qu'elles
ne
leur
semblaient
plus
répondre
à
leurs
besoins
spirituels,
et
ayant
pratiquement
cessé
de
prier,
éprouvent
un
malaise
assez
proche
d'un
sentiment
de
culpabilité
qu'ils
désirent
calmer
en
retrouvant
la
prière
sous
de
nouvelles
formes,
à
travers
de
nouvelles
méthodes
ou
techniques.
D'autres
ressentent,
au-delà
de
ce
vide,
un
besoin
et
même
un
désir
beaucoup
plus
profonds,
et
veulent
être
guidés
sur
les
voies
de
l'expérience
spirituelle. On ne peut
nier
que
ce
renouveau,
à
quelque
niveau
qu'il
se
situe,
doit
être
mis
en
relation
avec
un
vaste
réveil
religieux,
un
vaste
mouvement
de
résurgence
du
sentiment
religieux
qui
n'est
pas
le
propre
du
christianisme
mais
que
l'on
constate
également
dans
les
religions
d'Asie,
dans
les
religions
traditionnelles
de
l'Afrique
noire
et
dans
l'Islam,
par
exemple.
Un
tel
réveil
religieux
ne
doit
pas
être
assimilé
trop
rapidement
à
un
renouveau
spirituel
et
n'y
conduit
pas
nécessairement.
Ce
peut
même
être
le
dernier
sursaut
d'une
forme
de
religiosité
en
train
de
dis-
paraître
dans
le
contexte
de
l'apparition
d'un
nouvel
équilibre
et
d'une
nouvelle
relation
entre
l'expérience
de
foi
et
son
expression
religieuse. Foi et
religion S'il faut
se
garder
de
dissocier
foi
et
religion,
il
est
tout
aussi
important
de
ne
pas
les
confondre.
Par
foi
j'entends
l'expérience
spirituelle
authentique
par
laquelle
une
personne
prend
contact
avec
son
être
profond,
entre
en
relation
avec
Dieu
qui
l'habite,
et
devient
consciente
des
liens
qui
l'unissent
à
Lui,
au
reste
de
l'humanité
et
à
tout
le
cosmos.
Quant
à
la
religion,
elle
est
constituée
par
l'ensemble
des
traditions,
des
croyances,
des
rituels
et
des
règles
morales
qui
constituent
l'expression
de
la
mémoire
collective
de
cette
expérience
de
foi,
et
par
lesquels
celle-ci
peut
être
maintenue,
soutenue
et
en
quelque
sorte
revécue.
Une
collectivité
peut
aussi
y
trouver
son
identité
et
sa
cohésion. Chaque fois
que
l'homme,
à
travers
l'histoire,
a
fait
une
expérience
mystique
ou
spirituelle
plus
signifiante
pour
lui,
il
a
senti
le
besoin
d'en
objectiver
le
souvenir
dans
une
stèle,
un
autel
ou
un
temple,
et
de
revivre
périodiquement
cette
expérience
dans
des
rites,
des
sacrifices,
des
liturgies.
Par
cette
activité
religieuse,
l'homme
entre
en
contact
avec
le
substrat
religieux
collectif
qui
s'exprime
dans
les
mythes
et
les
grands
archétypes
élaborés
dans
les
diverses
religions.
Or,
à
notre
époque
où
nous
assistons
à
une
expansion
considérable
du
champ
de
la
conscience
dans
tous
les
domaines,
le
pouvoir
collectif
des
rites
et
des
cultes
a
fortement
diminué
et
l'on
assiste
à
une
perte
de
terrain
du
«rituel»
et
donc
du
«religieux»
pris
en
ce
sens
restreint
et
spécifique,
au
bénéfice
de
l'expérience
mystique
proprement
dite.
L'individu
perçoit
beaucoup
plus
sa
responsabilité
personnelle
d'exprimer
son
expérience
de
foi
à
travers
sa
vie
plus
qu'à
travers
une
activité
rituelle.
La
diminution
radicale
—
au
cours
des
dernières
décennies
—
de
la
«pratique
religieuse»
au
sens
traditionnel
est
peut-être
à
mettre
en
relation
avec
ce
développement
d'une
portée
inouïe
plus
qu'avec
une
quelconque
déchristianisation
ou
la
progression
du
matérialisme
athée. Si la force
d'évocation
des
symboles
rituels
collectifs
du
passé
s'est
émoussée,
l'homme
contemporain
est
devenu
plus
sensible
à
la
valeur
symbolique
—
d'une
intensité
parfois
extrême
—
des
réalités
qu'il
vit
ou
qui
l'entourent.
Le
phénomène
de
la
torture,
présent
dans
toutes
les
parties
du
monde,
est
devenu
pour
l'homme
contemporain
un
symbole
bouleversant
et
éloquent
de
la
présence
active
des
forces
du
mal
dans
l'humanité,
beaucoup
plus
que
n'importe
quel
symbole
«liturgique»
devenu
désuet
et
souvent
incompréhensible
sans
explications. Ne serions-nous
pas
présentement
à
un
tournant
important
de
l'histoire
humaine
où
la
relation
entre
l'expérience
de
foi
et
son
expression
religieuse,
aussi
bien
que
leur
point
de
jonction,
sont
en
train
d'être
redéfinis,
non
seulement
au
sein
du
christianisme,
mais
dans
toutes
les
traditions
religieuses
de
l'humanité?
Et
ne
serait-ce
pas
là
la
réalisation
authentique
quoique
malheureusement
très
tardive
d'un
aspect
important
du
message
de
Jésus
de
Nazareth?
Et
si
c'était
bien
le
cas,
il
serait
évidemment
important
de
bien
distinguer
parmi
les
nombreux
éléments
du
phénomène
contemporain
de
renouveau
des
formes
de
prière,
ce
qui
va
dans
la
ligne
de
cette
évolution
capitale,
et
ce
qui
est
réaction
instinctive
de
conservation
et
de
sécurisation
face
aux
perspectives
proprement
angoissantes
ouvertes
par
une
telle
évolution. Dans notre
effort
pour
acquérir
une
meilleure
compréhension
du
phénomène
contemporain
à
la
lumière
de
la
tradition,
arrêtons-nous
donc
quelque
peu
à
la
prière
de
Jésus
de
Nazareth
et
des
autres
témoins
de
la
tradition
spirituelle
au
sein
de
laquelle
il
est
né
et
a
vécu. La prière
des
témoins
bibliques Avec le
temps,
toute
religion
court
le
danger
de
l'extériorisation,
du
formalisme
et
du
ritualisme.
On
continue
à
répéter
les
traditions,
à
réciter
les
formules,
à
pratiquer
les
rites;
mais
l'expérience
de
foi
qui
avait
été
à
l'origine
de
tout
ce
mouvement
religieux
et
lui
donnait
son
sens
est graduellement oubliée ou s'affaiblit. Le
peuple
d'Israël
ne
sut
pas
échapper
à
ce
danger,
même
s'il
se
distinguait
de
tous
les
autres
peuples
qui
l'entouraient
par
son
expérience
d'un
Dieu
personnel
partageant
sa
vie,
ses
guerres,
ses
efforts
de
libération,
etc.
C'est
pourquoi
les
grands
prophètes
d'Israël
mirent
constamment
le
Peuple
en
garde
contre
cette
illusion
d'un
culte
qui
serait
coupé
de
la
vie
concrète,
de
la
justice,
de
l'amour
et
de
la
fidélité
à
l'homme
aussi
bien
qu'à
Dieu. Les psaumes
nous
révèlent
de
même
une
spiritualité
soudée
à
la
vie
de
tous
les
jours.
Si
ces
belles
formules
de
prière
continuent
à
être
utilisées
encore
de
nos
jours,
après
près
de
trois
millénaires,
cela
ne
peut
s'expliquer
simplement
par
le
fait
de
prescriptions
canoniques.
Il
y
a
en
eux
quelque
chose
qui
rejoint
en
profondeur
l'être
humain
de
tous
les
temps
et
des
diverses
cultures.
Ils
expriment
toute
la
gamme
des
sentiments
religieux
que
l'homme
peut
vivre.
Par-dessus
tout,
les
psaumes
sont
la
prière
d'êtres
humains
vivant
non
seulement
en
communion
avec
Dieu,
mais
aussi
en
contact
avec
eux-mêmes
:
avec
leurs
désirs,
leurs
peurs,
leur
confiance,
leurs
sentiments
de
haine
et
d'amour,
de
vengeance
et
de
pardon.
Si
nous
sommes
parfois
mal
à
l'aise
de
nos
jours
avec
certains
psaumes
dits
imprécatoires,
au
point
de
les
supprimer
de
notre
prière
chrétienne
ou
de
les
tronquer,
c'est
peut-être
que
nous
avons
peur
d'être
confrontés
avec
les
mêmes
sentiments
que
nous
portons
au
fond
de
nos
propres
coeurs.
Or
si
nous
n'exorcisons
pas
ces
peurs
et
ces
passions
en
les
faisant
jaillir
à
la
surface
de
notre
conscience
dans
la
prière,
elles
continueront
d'empoisonner
notre
vie
et
celle
des
autres. Israël ne
pouvait
cependant
pas
ne
pas
appartenir
à
son
époque,
même
en
ce
qui
concernait
la
vie
religieuse.
Sa
religion
était
celle
d'une
époque
où
le
rôle
joué
par
l'inconscient
collectif,
les
mythes,
les
grands
symboles
archétypaux
était
prépondérant.
Israël
a
continué,
malgré
la
tendance
spiritualisante
des
psalmistes
et
des
prophètes,
à
sacrifier
par
milliers
taureaux,
béliers,
agneaux,
etc.,
et
se
laissa
même
souvent
tenter
par
le
désir
d'offrir
des
sacrifices
humains.
Derrière
ces
pratiques
se
trouve
la
conception
d'un
Dieu
qui,
pour
se
laisser
apaiser
et
«gagner»,
exigeait
des
sacrifices
et
du
sang.
On
y
trouve
aussi
la
conviction
que
certains
actes
faits
ou
subis
ont
en
eux-mêmes,
indépendamment
de
la
liberté
humaine,
une
valeur
affectant
l'existence
et
l'être
de
la
personne. Jésus de
Nazareth,
par
sa
vie
comme
par
sa
prédication,
enseigne
—
à
la
suite
des
prophètes,
mais
allant
bien
au-delà
d'eux
—
que
l'expérience
spirituelle
de
foi
doit
s'exprimer
avant
tout
dans
une
vie
faite
de
respect
de
l'autre,
de
service
mutuel,
de
justice,
d'amour.
Il
ne
suffit
pas
de
dire
«Seigneur,
Seigneur
»
pour
entrer
dans
le
royaume
des
cieux,
mais
il
faut
vivre
dans
la
pauvreté
et
la
pureté
du
coeur.
L'heure
est
enfin
venue
où
il
ne
s'agit
plus
d'offrir
à
Dieu
un
culte
ni
au
Temple
de
Jérusalem
ni
sur
le
mont
Garizim,
mais
en
esprit
et
en
vérité.
Le
«Notre
Père»,
qui
constitue
la
réponse
de
Jésus
aux
disciples
qui
lui
demandent
de
leur
apprendre
à
prier,
n'est
pas
une
formule
de
prière
à
répéter
mais
une
règle
de
vie.
Par
chacune
des
«
pétitions»,
le
priant
est
renvoyé
à
sa
responsabilité
de
voir
à
ce
que,
dans
et
par
sa
vie,
le
nom
de
Dieu
soit
sanctifié,
que
son
règne
arrive
et
que
sa
volonté
soit
faite.
Il
est
aussi
renvoyé
à
ses
besoins
matériels,
ses
conflits,
ses
péchés
et
son
besoin
de
pardon. Issu de
la
tradition
religieuse
d'Israël,
Jésus
est
en
pleine
rupture
avec
elle
(et
aussi
avec
toutes
les
traditions
religieuses
antérieures)
sur
l'aspect
proprement
«religieux»,
c'est-à-dire
l'aspect
rituel
et
surtout
sacrificiel.
Son
Père
n'est
pas
un
Dieu
qui
exige
des
sacrifices
ni
d'êtres
humains,
ni
d'animaux,
pas
plus
d'ailleurs
que
le
Yahvé
de
l'Ancien
Testament,
comme
le
montre
l'étude
attentive
de
la
réalité
spirituelle
en
Israël.
Il
ne
désire
pas
la
mort,
mais
la
vie.
Jésus
est
venu
pour
que
tous
aient
la
vie
en
plénitude;
et,
paradoxalement,
il
est
mort
de
mort
violente
pour
avoir
refusé
et
rejeté
toute
conception
violente
de
Dieu
et
de
la
«religion». Depuis des
millénaires
l'homme
avait
réussi
à
vivre,
malgré
la
violence
qui
l'habitait,
parce
qu'il
avait
transposé
cette
violence
dans
des
rites.
Jésus
a
défait
l'enveloppe
de
ce
processus
mythique.
Il
n'a
pas
été
la
«victime
innocente»
acceptant
de
jouer
le
rôle
mythologique
traditionnel
du
bouc
émissaire.
Il
a
été
l'homme
faisant
consciemment
face
à
son
sort,
acceptant
lucidement
quoique
douloureusement
la
conséquence
de
ses
actes
et
de
ses
paroles.
Par
sa
mort
violente,
aucunement
rituelle,
il
renvoie
l'homme
à
sa
propre
violence,
celle
qu'il
porte
en
lui
depuis
toujours.
Ceux
qui
ont
liquidé
Jésus
ont
été
mus
par
la
peur
de
l'homme
de
tous
les
temps
confronté
sans
voile
et
sans
défense
à
tout
ce
qu'il
porte
de
violence,
de
haine
et
d'instinct
de
destruction
en
son
propre
coeur
—
et
incapable
de
supporter
cette
confrontation
exigeante. Jésus a
mis
fin
à
toute
religion
sacrificielle.
Et
c'est
sans
doute
l'un
des
plus
grands
paradoxes
de
l'histoire
du
christianisme
que
l'on
ait
très
tôt
interprété
sa
mort
en
termes
sacrificiels,
transformant
en
interprétation
théologique
ce
qui,
dans
le
Nouveau
Testament,
n'était
encore
qu'un
parallèle
avec
le
monde
sacrificiel
de
l'Ancienne
Alliance ! Peut-être
sommes-nous
enfin
arrivés
aujourd'hui
au
point
où
cet
aspect
essentiel
du
message
de
Jésus
peut
se
réaliser
et
est
de
fait
en
train
de
se
réaliser,
non
seulement
dans
le
christianisme
historique,
mais
aussi
dans
les
autres
grandes
religions
de
l'humanité.
Grâce
à
un
développement
de
la
conscience
humaine,
qui
fait
sans
doute
partie
de
la
marche
de
l'humanité
vers
son
plérôme,
beaucoup
de
choses
qui
étaient
refoulées
depuis
des
millénaires
dans
le
subconscient
collectif
sont
remontées
au
niveau
du
conscient,
et
les
grands
archétypes
traditionnels
ont
perdu
leur
efficacité.
La
foi
ne
peut
en
aucun
moment
éviter
le
test
de
la
vie
concrète;
moins
que
jamais
elle
ne
peut
aujourd'hui
se
réfugier
dans
le
rite. La prière
en
Esprit
et
en
Vérité Jésus est
tout
entier
prière,
dans
son
être
même
comme
dans
sa
vie,
parce
qu'il
est
tout
entier
relation
au
Père,
désir
orienté
vers
le
Père.
Tout
son
être
s'exprime
en
plénitude
dans
l'exclamation
«Père
!
»
Mais
en
même
temps,
son
être
ne
peut
être
dissocié
de
sa
mission.
C'est
pourquoi
les
quelques
prières
que
les
Évangélistes
mettent
sur
ses
lèvres
sont
intimement
liées
à
son
œuvre
de
salut
:
«
Je
te
rends
grâce,
Père,
de
ce
que
tu
as
caché
ces
choses
aux
sages
et
aux
grands
et
que
tu
les
as
révélées
aux
tout-petits...»
«Je
ne
te
prie
pas
seulement
pour
ceux-ci,
mais
pour
tous
ceux
qui,
grâce
à
leur
parole,
croient
en
moi...» Le Jésus
au
nom
de
qui
nous
prions
•—
en
la
personne
de
qui
nous
prions
—
n'est
pas
simplement
un
personnage
historique
ayant
vécu
il
y
a
deux
mille
ans.
Il
est
ressuscité
et
il
transcende
toutes
les
limites
de
temps
et
d'espace.
Il
nous
est
présent
au
point
d'entrer
dans
la
structure
même
de
notre
être
personnel,
puisqu'il
est
le
plérôme
dont
nous
participons
tous.
Par
le
fait
qu'il
a
reçu
le
Nom,
et
que
la
plénitude
de
la
divinité
habite
en
lui,
il
est
la
plénitude
de
la
conscience,
la
plénitude
du
«
moi
».
Dans
la
mesure
où
nous
vivons
consciemment,
où
nous
sommes
en
contact
avec
notre
«moi»,
où
nous
sommes
«nous-mêmes»
(de
notre
moi
profond
et
véritable),
dans
la
même
mesure
nous
participons
à
son
être,
nous
devenons
des
être
de
désir
et
de
relation
:
nous
devenons
prière. La prière
de
Jésus
à
Gethsémani,
à
l'instar
de
celle
du
psalmiste,
mais
avec
immensément
plus
d'intensité,
est
celle
d'un
homme
en
contact
avec
lui-même,
avec
sa
peur
et
son
angoisse
devant
l'échec
apparent
de
sa
mission
auprès
des
hommes,
tout
aussi
bien
qu'avec
le
sens
de
sa
mission
elle-même.
Parce
qu'il
est
ainsi
«en
contact»,
il
peut
vivre
ces
réalités
déchirantes
sans
être
brisé.
Sa
prière
est
celle
d'un
homme
libre.
Il
nous
enseigne
à
ne
plus
objectiver
nos
misères
dans
de
quelconques
boucs
émissaires,
mais
à
faire
face
à
nos
propres
misères,
nos
propres
échecs,
nos
propres
carences
d'être. Lorsque
l'homme
prend
existentiellement
contact
avec
ses
blessures
et
ses
faiblesses,
la
conscience
de
ses
besoins
naît
en
lui
et
s'exprime
spontanément
en
prière
de
demande
et
de
supplication.
Mais,
sous-jacent
à
tous
ces
besoins,
il
y
a
en
lui
un
désir
plus
profond
qui
est
une
aspiration
radicale
et
transcendantale
à
l'Être,
à
la
Vie,
à
la
Plénitude.
Créé
à
l'image
de
Dieu,
ayant
reçu
en
Iui-même
à
sa
création
une
semence
de
vie
divine,
l'homme
est
né
avec
une
capacité
infinie
de
croissance,
dont
toutes
les
potentialités
ne
sont
pleinement
révélées
qu'en
Jésus,
en
qui
cette
semence
de
vie
divine
a
atteint
son
plein
épanouissement.
En
lui
l'image
de
Dieu
est
parfaite;
il
est
tellement
homme
—
tellement
homme
tel
que
Dieu
a
appelé
l'homme
à
être
—
qu'il
en
est
Dieu.
Si
Jésus
est
tout
entier
«prière»
parce
qu'il
est
tout
entier
désir
tourné
vers
le
Père,
notre
vie
à
nous
aussi
devient
prière,
dans
la
mesure
où
nous
vivons
consciemment
ce
désir,
cette
aspiration
à
la
Vie
qui
constitue
notre
être. Ce désir
n'est
pas
quelque
chose
que
nous
avons
à
susciter
en
nous;
il
nous
est
donné.
Il
est
le
gémissement
de
l'Esprit
dont
parle
Paul
au
chapitre
8
de
l'Épître
aux
Romains
.
«Nous
ne
savons
pas
prier,
mais
l'Esprit
de
Dieu
prie
en
nous
par
des
gémissements
ineffables.»
Et,
quelques
versets
plus
haut,
Paul
avait
expliqué
comment
l'Esprit
de
Jésus
s'unit
à
notre
Esprit
pour
émettre
avec
lui
un
seul
et
même
cri
:
«
Abba,
Père»,
qui
est
de
nous
et
de
lui
à
Ia
fois,
et
par
lequel
nous
sommes
constitués
et
proclamés
fils
de
Dieu.
De
plus,
Paul
met
ce
«cri»
en
relation
avec
le
gémissement
qui
«travaille»
toute
la
création,
qui
gémit
elle
aussi
dans
les
douleurs
de
l'enfantement,
attendant
la
pleine
révélation
de
l'adoption
des
fils
de
Dieu.
Nous
faisons
donc
tous
partie
d'une
grande
prière
cosmique
qui
s'exprime
totalement
et
substantielle-
ment
en
Jésus.
Cette
prière
devient
nôtre
—
et
nous
devenons
prière
—
dans
la
mesure
où
et
quand
nous
l'assumons
consciemment
en
l'exprimant. Comment
l'exprimer?
—
On
constate
ici
des
différences
non
négligeables
entre
les
diverses
traditions
religieuses.
Devant
le
mystère
de
la
divinité,
l'homme
religieux
de
la
tradition
judéo-chrétienne
est
facile-
ment
loquace.
Il
essaye
de
dire
son
Dieu,
oubliant
même
un
peu
trop
facilement
que
toutes
les
images
qu'il
utilise
pour
ce
faire
ne
sont,
précisément,
que
des
images
et
que
celles-ci
deviennent
des
idoles
dès
qu'on
oublie
leur
caractère
relatif.
H
essaye
aussi
de
se
dire
à
son
Dieu,
de
lui
exprimer
ses
besoins,
ses
attentes,
ses
remerciements,
son
adoration,
son
amour,
etc.,
utilisant
le
langage
des
gestes
aussi
bien
que
celui
des
mots.
L'homme
religieux
des
grandes
traditions
d'Extrême-Orient,
surtout
celles
de
l'Inde,
préfère
spontanément
l'adoration
silencieuse
devant
le
mystère
du
divin.
Il
préfère
se
perdre
en
Dieu
plutôt
que
de
le
dire
ou
de
lui
parler. L'affaiblissement
des
grands
archétypes
traditionnels,
de
concert
avec
la
crise
du
langage
qui
affecte
depuis
longtemps
les
cultures
occidentales,
sont
pour
une
large
part
à
la
source
de
la
crise
de
la
prière
que
traverse
l'Occident
qui
avait
connu
jusqu'ici
une
prière
à
prédominance
rituelle
et
verbale.
Cette
crise
très
réelle
ne
saurait
être
minimisée,
malgré
la
présence
d'une
authentique
soif
spirituelle
et
le
développement
parfois
spectaculaire
de
certaines
formes
de
prière. Heureusement,
notre
époque
se
caractérise
aussi
par
la
rencontre
des
grandes
religions
du
monde
qui
avaient
vécu
jusqu'ici
isolées
les
unes
des
autres.
Le
fait
que
le
Verbe
de
Dieu
s'est
incarné
à
l'intérieur
d'une
tradition
religieuse
déterminée
—
tout
comme
il
s'est
incarné
à
un
point
précis
du
temps
et
de
l'espace
—
n'enlève
rien
à
la
valeur
des
autres
traditions
religieuses.
De
nos
jours
le
christianisme,
s'il
veut
être
fidèle
à
la
visée
universaliste
du
Christ
lui-même,
doit
savoir
intégrer
les
formes
religieuses
des
autres
traditions
spirituelles,
dans
l'expression
de
sa
foi
au
Christ.
Dans
ce
domaine,
l'Occident
chrétien
a
beaucoup
à
apprendre
des
traditions
mystiques
de
l'Orient,
pour
arriver
à
épanouir
ses
propres
racines
mystiques.
Et
de
fait,
de
plus
en
plus
de
chrétiens
sont
attirés
vers
la
prière
d'adoration
silencieuse. Dans le
réveil
religieux
actuel,
dont
on
ne
peut
que
se
réjouir,
il
est
important
de
distinguer
ce
qui
est
orienté
vers
l'avenir
et
la
vie,
de
ce
qui
est
vestige
du
passé.
Les
formes
de
spiritualité
qui
développent
une
expérience
mystique
et
contemplative
enfouie
dans
le
quotidien,
indissociable
de
la
recherche
humaine
de
croissance
psychologique
et
de
maturité
affective,
ainsi
que
de
la
lutte
pour
la
justice,
me
semblent
constituer
le
cœur
de
l'Église
de
demain.
Quant
à
la
recrudescence
du
fondamentalisme
religieux,
au
retour
en
force
du
ritualisme
et
au
développement
d'une
prière
verbale
faisant
un
large
appel
au
substrat
subconscient
collectif,
j'y
vois
l'un
des
derniers
sursauts
d'une
forme
de
religiosité
en
train
de
subir
une
profonde
transformation.
Car
nous
sommes
bel
et
bien
à
un
point
charnière
de
l'histoire
de
l'humanité,
à
la
jonction
de
deux
grands
cycles
de
civilisation
où
la
relation
entre
expérience
de
foi
et
expression
religieuse
est
en
pleine
mutation. La prière
peut-elle
s'enseigner
? Beaucoup
d'Occidentaux
vont
en
Orient
ou
chez
des
maîtres
orientaux
pour
apprendre
la
méditation
et
la
prière;
beaucoup
d'autres,
comme
je
l'ai
signalé
au
début,
se
présentent
ici
en
Occident,
chez
des
guides
spirituels
ou
dans
des
Centres
de
prière,
demandant
:
«
Apprends-
moi
à
prier!»
Mais
peut-on
enseigner
la
prière?
Si
la
prière
la
plus
vraie
et
la
plus
profonde
est
le
Souffle
de
l'Esprit
au
fond
de
notre
coeur,
un
humain
peut-il
l'enseigner
à
un
autre
humain?
Une
mère
enseigne-t-elle
à
son
enfant
à
respirer? Évidemment
on
ne
respire
pas
avec
la
même
facilité
dans
n'importe
quel
contexte.
Si
l'on
enferme
quelqu'un
dans
une
caisse
hermétiquement
fermée,
il
ne
pourra
pas
respirer
longtemps.
Sans
aller
jusqu'à
un
tel
extrême,
il
est
évident
que
toute
atmosphère
polluée
rend
la
respiration
difficile.
Aussi,
ce
n'est
pas
en
donnant
aux
ouvriers
de
l'amiante,
par
exemple,
des
leçons
de
bonne
respiration
qu'on
les
protégera
de
l'amiantose. On rencontre
parfois
des
personnes
qui
vivent
des
situations
tout
à
fait
fausses
ou
fort
ambiguës
dans
leur
vie
matrimoniale,
communautaire,
sociale,
etc.,
et
qui
veulent
qu'on
leur
enseigne
à
prier,
mais
ne
sont
pas
disposées
à
remettre
en
question
leur
vécu
et
à
y
rétablir
l'harmonie.
La
prière
ne
leur
est
guère
possible,
même
avec
l'utilisation
des
méthodes
les
plus
sophistiquées. Apprendre
à
prier?
—
Peut-être.
Apprendre
à
vivre
surtout!
Encore
plus
que
d'apprendre
à
prier
il
s'agit
d'apprendre
à
vivre
de
telle
sorte
que
toute
notre
vie
soit
prière,
qu'elle
soit
une
présence
aussi
constante
que
possible
à
cette
soif
de
vie
qui
est
la
respiration
de
l'Esprit
de
Dieu
en
nous.
Une
vie
de
prière,
c'est
une
vie
intégrée,
une
vie
dont
tous
les
éléments
forment
un
tout
harmonieux,
où
l'on
est
en
harmonie
avec
soi-même,
avec
les
autres,
avec
le
cosmos,
avec
Dieu.
L'harmonie
est
prière. Apprendre
à
vivre
c'est
apprendre
à
croître,
et
pour
cela
apprendre
à
guérir
ses
blessures
et
aussi
apprendre
à
vieillir.
Comment
devenir
ou
rester
une
personne
de
prière
sans
être
en
pleine
communion
avec
le
mouvement
de
la
vie
qui
nous
porte
progressivement
et
irrévocablement
vers
la
conclusion
de
notre
pèlerinage
terrestre?
Apprendre
à
vieillir
prend
une
importance
spéciale
dans
notre
société
moderne
contraceptive
où
l'on
se
meurt
de
vieillissement,
mais
où
l'on
prétend
demeurer
jeunes
indéfiniment,
refusant
aux
vrais
jeunes
le
support
et
l'apport
d'une
vraie
vieillesse.
Et
quoi
de
plus
beau
qu'un
vieillard
dont
la
vie
est
devenue
prière? Et finalement,
apprendre
à
vivre
—
et
donc
à
prier
—
c'est
aussi
apprendre
à
mourir,
car
la
mort
ne
s'improvise
pas.
Et
là
encore,
la
leçon
suprême
nous
vient
de
la
prière
de
Jésus
à
Gethsémani
et
sur
la
croix.
La
remise
totale
de
son
être
dans
le
déchirement
d'un
cri
:
«Je
remets
mon
esprit
entre
tes
mains»
exprime
tout
son
être
de
prière,
de
total
abandon,
d'offrande
absolue
et
inconditionnelle.
Au
delà
de
toute
les
offrandes
rituelles
et
de
toutes
les
formules
d'offrande,
notre
mort
sera
notre
ultime
prière.
Notre
vie
de
chaque
jour
doit
en
être
une
anticipation
consciente. dans : La Bible
en
prière par : Guy Couturier,
Jean
Duhaime,
Jean Martucci Jean-Louis
D'Aragon,
André
Myre, Pierre Guillemette.
Armand
Veilleux |
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