Vie religieuse en général
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La rencontre de Dieu dans l’action Conférence
pour
le
groupe
de
l'ANPAP,
lors
de
la
22ème
Marche
Saint
Benoît,
à
Scourmont,
le
23
septembre
2001 Chers
amis, Notre réflexion, si vous le voulez bien, embrassera plusieurs
thèmes
qui,
je
crois,
se
complètent
et
s'éclairent
l'un
l'autre. Il y a tout d'abord le thème général choisi pour la "Route
Saint
Benoît"
de
cette
année
:
"Avance
au
large".
Ces
mots
sont
tirés
d'un
récit
de
l'Évangile
de
Luc
sur
lequel
vous
avez
déjà
médité
en
groupes. Ces paroles, adressées par Jésus à Pierre sont
aussi
traduites
dans
les
traductions
récentes
par
:
"Avance
en
eau
profonde".
Chacune
de
ces
deux
traductions
apporte
une
nuance
un
peu
différente.
Elles
se
complètent
l’une
l’autre. Personnellement, lorsqu'on m'a demandé de choisir un thème
pour
cet
entretien,
j'ai
choisi:
"La
rencontre
de
Dieu
dans
l'action",
car
je
crois
que
c'est
lorsque
nous
acceptons
les
tâches
que
Dieu
nous
confie,
lorsque
nous
acceptons
d'aller
au
large
ou
en
eaux
profondes,
c’est
alors
que
nous
rencontrons
vraiment
Dieu
dans
l'exercice
même
de
la
tâche
qu'il
nous
a
confiée. Nous n'arriverons pas à prier -- ou en tout cas la prière
n'aura
jamais
une
grande
place
dans
notre
vie
--
si
nous
considérons
qu’elle
est
une
activité
que
l'on
exerce
à
certains
moments
de
la
journée
ou
de
la
semaine
et
si
nous
estimons
que
les
temps
consacrés
à
la
prière
sont
des
moments
soustraits
à
notre
temps
de
travail
ou
à
nos
moments
de
loisirs. Beaucoup de personnes sont heureuses de pouvoir prendre
de
temps
à
autre
une
journée
ou
une
fin
de
semaine
de
prière
--
dans
un
monastère
par
exemple.
Cela
est
évidemment
très
bien ! Oui, cela est très bien, mais dans la mesure
où
ces
moments
sont
des
temps
forts
dans
une
vie
où
la
prière
a
toujours
sa
place.
Si
l’on
pense
qu’il
suffit
de
faire
ainsi
de
temps
à
autres
des
moments
intenses
de
prière,
sans
se
préoccuper
d’imprégner
ses
activités
habituelles
de
prière,
on
se
fait
illusion.
La prière est essentiellement communion avec Dieu, rencontre
de
Dieu.
On
peut
aussi
dire
qu'elle
est
dialogue
avec
Dieu.
Mais
lorsqu'on
dit
"dialogue"
on
pense
déjà
à
une
conversation,
au
fait
que
Dieu
nous
dit
quelque
chose
et
que
nous
lui
disons
quelque
chose. Cela peut évidemment arriver dans la prière;
mais
celle-ci,
dans
sa
nature
profonde,
est
pure
rencontre
avec
Dieu,
le
simple
fait
d'être
présent
--
une
présence
mutuelle. Dieu nous est toujours présent -- plus que nous pouvons
être
présents
à
nous-mêmes.
Le
problème
est
que
nous
ne
sommes
pas
toujours
présents
à
cette
présence. Il nous faut, périodiquement, et même plusieurs
fois
par
jour,
nous
arrêter
pour
raviver
notre
conscience
de
cette
prière,
dans
des
moments
où,
en
commun
aussi
bien
qu'en
privé,
nous
parlons
à
Dieu,
écoutons
sa
parole
ou
bien
nous
nous
laissons
simplement
pénétrer
par
le
sens
de
sa
présence,
dans
le
silence.
Ce
sont
autant
de
moyens
d'exprimer
notre
prière,
de
faire
nôtre
la
prière
de
l'Esprit
Saint
en
nous
(cf.
Rom.
8).
Mais
la
prière
doit
pré-exister
en
nous
à
toutes
ces
formes
d'expression.
Autrement
l'expression
serait
vide. Puisque la prière est rencontre de Dieu, nous devons le
rencontrer
dans
notre
action,
dans
toutes
nos
activités,
si
nous
voulons
le
rencontrer
au
moment
où
nous
cessons
nos
activités
pour
nous
"mettre
en
prière",
comme
nous
disons.
Les
grands
témoins
bibliques
de
l'expérience
de
Dieu
sont
des
personnes
qui
ont
fait
l'expérience
de
sa
rencontre
au
coeur
même
de
l'exercice
de
leur
mission,
et
non
au
cours
d'un
repos
sabbatique
ou
dans
une
expérience
intemporelle.
Leur
rencontre
de
Dieu
s’est
toujours
inscrite
dans
un
cheminement
humain
fait
de
joies
et
de
peines,
de
succès
et
de
défaites,
de
lutte
et
de
communion. Plutôt que de réfléchir dans l'abstrait sur cette question,
j'aimerais
le
faire
à
partir
de
trois
modèles.
Le modèle par excellence est évidemment Jésus.
Mais
j'aimerais
en
prendre
aussi
deux
autres,
un
du
Nouveau
Testament
et
un
de
l'Ancien
Testament.
Pour
le
Nouveau
Testament,
notre
modèle
sera
précisément
Pierre,
que
nous
retrouverons
dans
l’Évangile
d’aujourd’hui,
et
pour
l'Ancien
Testament
ce
sera
Moïse. Dans notre tradition monastique, une forme privilégiée de
prière
est
ce
qu’on
appelle
la
lectio
divina,
qui
consiste
à
lire
la
Parole
de
Dieu,
en
se
laissant
imprégner
et
interpeller
par
cette
Parole. Et dans l’Écriture, le message qui nous est
destiné
se
trouve
exprimé
tout
autant
à
travers
les
événements
qui
nous
sont
racontés
qu’à
travers
les
paroles
mêmes.
C’est
pourquoi
j’aime
prendre
comme
base
de
notre
réflexion
non
pas
une
ou
l’autre
« parole »
de
l’Écriture,
mais
l’expérience
vécue
par
quelques
témoins
privilégiés. Commençons
par
Moïse
Son histoire est fascinante. Il est dit de lui qu'il parlait à Dieu face à face, comme à un ami.
Voyons
dans
quelle
circonstances. Le livre de l'Exode nous raconte d'une façon élaborée et
détaillée
les
relations
de
Moïse
avec
son
Dieu. Cette expérience s'inscrit au coeur de l'histoire de son peuple
et
du
rôle
qu'il
est
appelé
à
jouer
dans
cette
histoire. Il y a déjà là une leçon pour nous. Nous appartenons à l'humanité, nous vivons
à
un
moment
précis
de
l'histoire
de
l'humanité,
dans
un
pays
déterminé,
dans
un
contexte
social
bien
précis
où
nous
pouvons
avoir
des
responsabilités. Une prière qui ferait abstraction de tout cela
ne
serait
pas
réelle.
Non
seulement
nous
devons
apporter
toutes
ces
préoccupations
dans
notre
prière;
mais
c'est
au
coeur
de
cette
expérience
humaine
que
se
situe
notre
rencontre
de
Dieu. (Notre prière, ces jours-ci ne peut pas faire
abstraction
de
ce
qui
s’est
passé
aux
États-Unis
il
y
a
deux
semaines,
et
surtout
pas
des
répercussions
que
cet
événements
ont
eues
et
risquent
d’avoir
encore
sur
la
situation
internationale). Moïse naît à un moment où son peuple est exilé en Égypte
et
réduit
pratiquement
en
esclavage.
Comme
le
peuple
Juif
se
multiplie
trop
rapidement
au
goût
des
Égyptiens,
le
Pharaon
décrète
que
tous
enfants
mâles
doivent
être
tués
au
moment
de
leur
naissance
et
que
l'on
ne
doit
laisser
vivre
que
les
filles. Moïse naît à ce moment, et il est sauvé de
cette
extermination
de
la
façon
que
l'on
sait.
Il
est
adopté
par
la
fille
du
Pharaon
et
grandit
dans
sa
maison. Il est destiné à jouer un rôle politique important
en
Égypte.
Il
a
un
avenir
brillant
devant
lui. Une circonstance apparemment fortuite fait
cependant
que
tout
cela
s'écroule
un
jour. Voici l’événement en question : Moïse reprend contact avec ses racines, avec
son
peuple.
Il
découvre
alors
que
son
peuple
est
opprimé
et
il
veut
défendre
les
siens. Il suscite à son égard la colère du Pharaon, sans gagner pour autant
la
confiance
des
Juifs.
Il
doit
fuir
à
l'étranger.
À
quarante
ans,
au
milieu
de
sa
vie,
tout
s'écroule
sous
ses
pieds
et
il
doit
recommencer
à
zéro. Il connaît pour la première fois l'échec et
un
échec
radical.
L'échec est un élément important de toute vie humaine.
Or
il
se
fait
que
l'échec
est
presque
toujours
le
moment
d'une
rencontre
de
Dieu,
ou
en
tout
cas
un
moment
qui
prépare
à
une
rencontre
de
Dieu,
car
l'expérience
de
l'échec
nous
fait
prendre
conscience
de
notre
fragilité,
de
nos
limites,
de
notre
situation
de
créature
et
de
notre
dépendance
de
Dieu.
Si
nous
assumons
lucidement,
et
si
possible
humblement,
nos
échecs,
ils
nous
préparent
toujours
à
une
nouvelle
rencontre
de
Dieu. C'est ce qui est arrivé à Moïse. En terre étrangère, son grand coeur et sa galanterie lui
valent
de
trouver
une
épouse
et
il
devient
simple
ouvrier
de
son
beau-père
Jéthro.
Son
travail
consiste
à
paître
les
troupeaux
de
son
beau-père.
Et
c'est
au
cours
de
ce
travail
qu'il
fera
une
expérience
de
la
rencontre
de
Dieu
dans
la
scène
bien
connue
du
buisson
ardent
qui
est
l'une
des
premières
et
sans
doute
la
plus
belle
description
biblique
de
l'expérience
mystique. C'est cette rencontre de Moïse avec Dieu que
je
voudrais
maintenant
analyser
un
peu
plus
en
détail,
car
elle
nous
apprend
beaucoup
sur
la
rencontre
de
Dieu
--
ou
la
prière. Mais il était important, je crois, de souligner tout ce qui, dans
la
vie
de
Moïse,
avait
préparé
à
cette
rencontre
:
aussi
bien
son
lien
profond
à
son
peuple
que
son
expérience
de
l'échec
personnel
et
le
courage
avec
lequel
il
assume
toute
tâche
qui
lui
est
confiée. Un jour, au cours de son travail, alors qu'il fait paître
les
troupeaux
de
son
beau-père,
il
s'avance
plus
loin
que
d'habitude
dans
le
désert.
Ce
détail,
comme
tous
les
éléments
du
récit,
a
une
valeur
et
un
sens
symbolique. Aller plus loin dans le désert c'est comme
aller
"au
large"
sur
la
mer.
C'est
abandonner
toutes
les
sécurités
auxquelles
on
s'accroche
d'habitude,
assumer
toute
sa
vulnérabilité.
(La
même
chose
qu'a
vécu
Jacob
dans
son
combat
corps
à
corps
avec
Dieu). Parce que Moïse est maintenant dépouillé de tout ce qui
peut
le
distraire
de
l'essentiel
(cf.
Job),
parce
que
son
coeur
est
pur,
il
peut
voir
Dieu.
Ses
yeux
peuvent
s'ouvrir
à
une
lumière
nouvelle.
Tout
dans
sa
vie
peut
alors
devenir
un
signe,
une
manifestation
de
la
présence
de
Dieu.
Qu'y
a-t-il
de
plus
ordinaire
qu'un
buisson
dans
le
désert ?
Et
pourtant,
tout
à
coup,
l'un
des
vulgaires
buissons
qui
se
trouvent
devant
lui
apparaît
tout
lumineux.
Il
veut
s'avancer
pour
voir
de
plus
près
ce
phénomène
mais
une
voix
intérieure
lui
dit
:
Moïse,
n'avance
pas,
enlève
tes
sandales,
car
le
lieu
où
tu
es
est
sacré.
Remarquons
bien
que
la
voix
ne
lui
dit
pas
d'enlever
ses
sandales
avant
de
s'approcher
du
buisson
qui
se
trouve
dans
un
lieu
sacré
mais
bien
que
le
lieu
où
lui,
Moïse,
se
trouve
présentement,
est
un
lieu
sacré. Autre leçon à en tirer :
Lorsque
nous
sommes
suffisamment
préparés
et
pauvres
de
coeur,
lorsque
notre
coeur
est
pur
nous
sommes
prêts
à
voir
Dieu. Bienheureux les coeurs purs, ils verront Dieu. Alors tout lieu où nous sommes, notre usine,
notre
bureau,
notre
champ,
tout
lieu
où
nous
vivons
ou
travaillons
devient
un
lieu
sacré.
Tout
objet,
même
le
buisson
le
plus
ordinaire,
peut
devenir
une
manifestation
de
la
présence
de
Dieu
et
nous
mettre
en
relation
avec
Dieu.
Ce
n'est
pas
en
sortant
de
notre
vie
de
tous
les
jours
que
nous
rencontrons
Dieu,
mais
en
y
pénétrant
en
profondeur,
nous
dégageant
de
tout
ce
qui
en
elle
est
superficiel. C'est alors que se produit cette rencontre entre Dieu et
Moïse,
décrite
dans
des
détails
si
beaux
et
touchants,
dans
le
livre
de
l'Exode. C'est d'abord Dieu qui fait une confidence à Moïse. Il lui dit qu'il a vu l'affliction de son peuple
en
Égypte
et
qu'il
a
décidé
de
l'en
délivrer. Cette confidence est possible, parce que Moïse a fait la même expérience.
Il
a
vu
lui
aussi
l'affliction
de
son
peuple
et
a
essayé,
avec
ses
petits
moyens
de
l'en
délivrer.
Deux
personnes
ne
peuvent
vraiment
causer
d'un
sujet
que
si
elles
ont
toutes
les
deux
un
intérêt
dans
cette
chose.
Si
Moïse
était
resté
calmement
dans
la
cour
du
Pharaon
d'Égypte,
s'il
n'était
pas
retourné
vers
son
peuple,
s'il
ne
s'était
pas
laissé
émouvoir
par
la
souffrance
de
son
peuple
au
point
de
compromettre
complètement
son
avenir,
il
n'aurait
pas
rencontré
Dieu
au
désert
et
Dieu
n'aurait
pas
pu
lui
parler
de
cette
souffrance. Il y a alors suffisamment en commun entre Dieu et Moïse
pour
que
Dieu
puisse
passer
à
l'étape
suivante. Dieu a décidé de confier à Moïse la tâche de libérer son Peuple,
et
tout
d'abord
de
l'envoyer
à
son
peuple
comme
son
messager. Moïse a suffisamment connu l'échec et est suffisamment
conscient
de
ses
limites
pour
recevoir
une
telle
tâche
avec
beaucoup
d'hésitation
et
une
extrême
prudence.
Il
pose
alors
à
Dieu
deux
questions
--
les
deux
questions
les
plus
fondamentales
de
l'existence
humaine,
mais
aussi
les
deux
questions
les
plus
importantes
dans
toute
relation
personnelle.
Les
deux
questions
qu'il
pose
à
Dieu
peuvent
se
résumer
à
ceci
:
"Qui
es-tu?"
et
"Qui
suis-je". Quand le peuple me demandera qui m'a envoyé, que répondrai-je? Qui
es-tu?
Et
puis,
qui
suis-je,
moi
qui
connais
maintenant
si
bien
mes
limites,
pour
remplir
une
telle
tâche. À la première question Dieu répond d'une façon très mystérieuse
:
"Je
suis
celui
qui
est". Et à la seconde il ne répond pas directement, disant simplement
« Je
serai
avec
toi ».
On pourrait s’allonger sur la façon dont, tout au long des
quarante
ans
d’exode,
la
relation
de
Moïse
avec
Dieu
et
sa
mission
auprès
du
peuple
seront
totalement
inséparables.
Mais
il
nous
faut
passer
à
un
autre
témoin. Parlons
maintenant
de
Pierre
Pierre est un autre personnage fascinant. Il est tout entier
dans
ce
qu'il
fait,
y
compris
dans
ses
bévues
et
dans
ses
fautes.
Il
a
avec
son
maître
une
familiarité
qui
est
l'essentiel
de
la
prière. Quand Jésus demande à ses disciples "Et vous, qui dites-vous
que
je
suis?",
Pierre
répond
aussitôt
:
"Tu
es
le
Christ,
le
Fils
du
Dieu
vivant"
(cf.
Marc
8,29
et
paral). Il est l'un des trois disciples que Jésus amène
avec
lui
lors
de
la
Transfiguration
et
c'est
lui
qui
dit
:
"Il
fait
bon
d'être
ici,
faisons
trois
tentes..."
(Marc
3,5).
(Nous
retrouverons
les
mêmes
disciples
auprès
de
Jésus
à
Gethsémani) C'est aussi lui qui dit:
"Seigneur,
voici
que
nous
t'avons
suivi...
qu'aurons
nous
en
récompense
?"
(Mc
10,28).
C'est
aussi
lui
qui
renie
Jésus
(Mc
14...),
puis
qui
pleure
amèrement
son
reniement:
La scène "va en eau profonde" mérite d'être un
peu
plus
analysée.
(Luc
5,1-5).
Cette
scène
se
situe
au
début
de
la
vie
publique
de
Jésus. Les foules le suivent et le pressent. Même lorsqu'il veut s'éloigner dans le désert, elles l’y accompagnent.
Un
jour,
alors
qu'il
prêche
sur
le
bord
du
lac
de
Génésareth,
il
est
tellement
pressé
par
la
foule
qu'il
monte
dans
une
des
deux
barques,
celle
de
Pierre,
qui
exerce
encore
alors
son
métier
de
pêcheur.
Ici, comme dans le cas de Moïse, Jésus rencontre Pierre
dans
son
travail
habituel,
et
après
un
échec.
Pierre
a
pêché
toute
la
nuit
et
n'a
rien
pris.
Il
est
conscient
de
son
échec
et
n'essaye
pas
de
le
cacher.
Lorsque
Jésus
lui
dit
:
"Avance
en
eau
profonde
et
jette
les
filets"
il
répond:
"Maître,
nous
avons
peiné
toute
une
nuit
sans
rien
prendre,
mais
sur
ta
parole
je
vais
lâcher
les
filets."
Il
se
remet
à
la
tâche
et
avec
quel
succès !
C'est
alors
que
son
travail
habituel
se
transforme
en
lieu
de
rencontre
du
Seigneur. Il tombe à genoux et dit: "Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je
suis
un
homme
pécheur!"
(voir
Moïse
et
ses
sandales...)
Et
Jésus
lui
dit
de
ne
pas
craindre...
désormais
il
sera
pêcheur
d'hommes.
C'est
dans
cette
rencontre
de
Dieu
qu'il
reçoit
sa
mission. Prière et mission ne sont jamais séparées. C'est dans l'exercice de sa mission que Pierre
rencontre
Dieu
et
c'est
dans
cette
rencontre
qu’il
perçoit
une
lumière
plus
grande
sur
sa
mission.
Ainsi en est-il de nous. Jésus
Il est notre Maître : Les Évangiles mentionnent à plusieurs reprises que Jésus
se
retirait
dans
la
solitude,
surtout
la
nuit,
pour
prier. Et, dans quelques cas – à vrai dire, assez
rares
–
nous
avons
le
contenu
de
sa
prière,
c’est-à-dire
que
les
Évangélistes
nous
rapportent
ce
que
Jésus
disait
à
son
Père. Or, nous nous rendons compte que chaque fois que Jésus se retire
dans
la
solitude,
ce
n’est
pas
pour
fuir
sa
mission
ou
fuir
pour
quelques
temps
son
travail
apostolique,
c’est
pour
se
préparer
à
prendre
une
décision
qui
le
fera
entrer
plus
profondément
dans
cette
mission. La première fois que nous voyons Jésus aller dans la solitude,
c’est
tout
de
suite
après
son
baptême. C’est évidemment un tournant important dans sa vie. Jusqu’à ce moment-là il a vécu, sans se faire
remarquer,
une
vie
bien
ordinaire
dans
son
village. Si bien que lorsqu’il y retournera et qu’il commencera à enseigner
dans
la
synagogue,
on
se
demandera
ce
qui
lui
arrive. « N’est-il pas le fils du charpentier ? »...
Or,
lorsqu’il
descend
dans
le
Jourdain,
pour
se
faire
baptiser
il
entend
la
voix
du
Père
qui
lui
dit :
« Tu
es
mon
fils
bien-aimé,
en
qui
j’ai
mis
toute
mes
complaisances ». C’est alors qu’il commence à exercer sa mission
de
Messie
et
il
a
des
décisions
importantes
à
prendre. Quel type de Messie il sera ?... Où commencera-t-il ?
À
Jérusalem
ou
en
Galilée ?
C’est
à
la
fin
de
cette
période
de
quarante
jour
de
jeûne
et
de
tentation
qu’il
prend
toutes
ces
décisions.
Nous le voyons passer une nuit en prière avant de choisir
ses
disciples.
Après
ses
débuts
en
Galilée,
alors
que
toutes
les
foules
le
suivent
et
lui
amènent
leurs
malades,
il
se
retire
dans
la
montagne
pour
prier.
Et
le
matin,
lorsqu’on
vient
lui
dire :
« les
foules
te
cherchent »
il
a
déjà
pris
une
décision.
Il
ira
non
pas
à
Capharnaüm,
mais
dans
les
petits
villages
et
les
bourgades. Au moment où, après la multiplication des pains, on veut le faire roi, il
doit
choisir
encore
fois
quel
type
de
messie
il
sera :
celui
que
les
foules
attendent
ou
bien
celui
qui
correspond
à
la
volonté
de
son
Père. C’est dans la solitude qu’il va prendre cette
décision.
Au moment où il est devenu clair pour lui, que les Pharisiens et les Scribes
veulent
le
faire
mourir
et
qu’il
sait
que
cela
va
bientôt
se
produire,
il
monte
sur
la
montagne
et
cette
fois
il
amène
avec
lui
ses
disciples
les
plus
intimes
pour
les
faire
participer
à
sa
prière,
à
sa
rencontre
du
Père. Il est alors transfiguré ; cette prière l’amène au-delà de l’espace et
du
temps,
et
il
se
retrouve
avec
Moïse
et
Élie,
morts
tous
les
deux
depuis
plusieurs
siècles.
Et
de
quoi
parle-t-il
avec
eux :
pas
de
grandes
réalités
mystiques
atemporelles,
mais
bien
de
sa
mission,
de
sa
mort
prochaine.
Et
quand
Pierre,
veut
tout
simplement
demeurer
dans
l’atmosphère
un
peu
enivrante
de
cette
rencontre
dit :
« Il
est
bon
d’être
ici,
faisons
trois
tentes »
,
l’Évangéliste
observe
qu’il
ne
savait
pas
ce
qu’il
disait. À Gethsémani, où il a amené encore une fois ses trois disciples préférés,
--Pierre,
Jacques
et
Jean
–
c’est
encore
de
sa
mission,
de
sa
mort,
qu’il
parle
avec
son
Père,
dans
la
souffrance
et
les
larmes
de
sang :
« Père,
s’il
est
possible
que
ce
calice
s’éloigne
de
moi...
mais
que
ta
volonté
soit
faite
et
non
la
mienne ». À la dernière Cène, l’apôtre saint Jean nous rapporte la longue prière de
Jésus
à
son
Père,
qu’on
appelle
la
« prière
sacerdotale ». D’un bout à l’autre elle est l’expression de
sa
sollicitude
pour
ses
disciples
et
pour
tous
ceux
qui,
à
cause
de
leur
enseignement
et
de
leur
témoignage,
croiront
en
lui. Enfin, sur la croix, sa prière se résumera en peu de mots exprimant son acception
totale
de
sa
mission.
« Père,
pardonne-leur
ce
qu’ils
font »
et
« Entre
tes
mains
je
remets
mon
esprit ». Leçons à retenir Quelles sont les grandes leçons que nous pouvons retenir
de
ces
trois
exemples
ou
de
ces
trois
témoins ? Partons tout d’abord du principe que la prière est essentiellement
communion
avec
Dieu.
Cette
communion
signifie
avant
tout
une
union
des
volontés ; c’est-à-dire que nous voulons que notre volonté
soit
aussi
conforme
que
possible
à
la
volonté
de
Dieu. Union des volontés et donc union des coeurs. Lorsque nous sommes en communion avec Dieu d’une façon consciente,
nous
sommes
en
état
de
prière.
Accepter
sereinement
les
événements
pénibles
de
la
vie
c’est
unir
notre
volonté
à
celle
de
Dieu.
Cette
communion
et
cette
prière
pourront
s’exprimer
de
bien
des
façons. Parfois ce sera un dialogue avec Dieu. Nous pourrons lui parler, soit pour le supplier
pour
nous
ou
pour
les
autres.
Nous
pourrons
épancher
notre
coeur : lui exprimer même notre amertume ; lui demander pourquoi il a permis que tel ou tel événement pénible
soit
arrivé,
nous
pourrons
lui
demander
pardon
pour
nos
péchés,
nous
pourrons
lui
exprimer
notre
joie
de
nous
sentir
aimés
de
lui. Dans tous ces cas il se peut qu’au fond de
notre
coeur
nous
entendions
sa
réponse. À d’autres moments, cette rencontre se fera dans un silence
total,
aussi
bien
de
sa
part
que
de
la
nôtre. Un silence qui pourra être plein, même enivrant ; ou bien un silence pénible et lourd à porter. Cette rencontre pourra se faire au coeur du travail ("Mon
Père
travaille
toujours
et
je
fais
de
même,
dit
Jésus"). Participer à l’activité créatrice de Dieu est
une
forme
de
communion
avec
lui. Dans tous les cas, l’élément essentiel qui fait qu’il s’agit
vraiment
de
prière,
c’est
que
ce
soit
une
« rencontre »
de
Dieu
–
vécue
avec
un
degré
suffisant
de
conscience. Pour maintenir cette attention à Dieu, cette conscience de sa présence, et
la
conscience
de
le
rencontrer
dans
tout
ce
que
nous
faisons,
ils
est
utile
d’établir
des
rythmes
dans
notre
vie.
C’est
le
sens
et
la
raison
des
prières
que
nous
faisons
à
certaines
heures
du
jour,
à
certains
jours
de
la
semaine
ou
de
l’année. Mais
pour
le
rencontrer,
pour
le
voir
dans
les
événements
et
les
personnes,
Il
faut
surtout
veiller
à
la
pureté
de
notre
coeur.
« Bienheureux les coeurs purs, car il verront Dieu », dit
Jésus.
C’est
pourquoi
il
est
si
important
de
purifier
nos
coeurs
et
nos
vies.
À
rien
ne
servirait
de
réciter
toutes
les
prières
possibles,
de
passer
beaucoup
de
temps
en
retraites
ou
« temps
forts »,
si
nous
ne
nous
efforçons
pas
de
purifier
notre
coeur
–
nos
désirs,
nos
attentes,
nos
motivations,
et
surtout
notre
conduite.
Je ne voudrais pas que tout ce que je viens de dire soit
interprété
comme
un
manque
d’appréciation
pour
les
moments
de
prière,
les
temps
forts,
les
retraites,
dans
lesquels
beaucoup
de
personnes
sincères
trouvent
une
nourriture
spirituelle
et
la
force
de
continuer
à
servir
fidèlement
le
Seigneur.
Je
veux
simplement
souligner
–
car
cela
me
semble
très
important
–
que
tous
ces
moments
de
prière
et
toutes
ces
formes
de
prière
resteront
vides
et
sans
valeur
s’il
ne
sont
pas
des
sommets
dans
une
recherche
constante
de
la
communion
avec
Dieu
à
travers
toutes
les
activités
de
la
vie. On pourrait appliquer cela par exemple à la vie familiale,
comme
à
la
vie
dans
le
monde
du
travail
ou
de
la
politique
ou
encore
dans
l’Église.
(Cette
application
c’est
à
vous
de
la
faire...
quelques
pistes
seulement...) Dans une vie familiale il y a toutes sortes de moments. Il y a sans doute des moments de communion
facile
et
gratifiante
entre
les
époux ;
mais
il
y
a
aussi
des
moments
où
cette
communion
est
difficile,
voir
impossible.
Il
peut
y
avoir
des
échecs
et
même
des
ruptures.
Et
puis
il
y
a
les
joies
et
les
épreuves
dans
l’éducation
des
enfants.
Il
ne
suffit
pas
de
prier
au
sujet
de
chacune
de
ces
situations,
soit
pour
en
remercier
Dieu,
dans
le
cas
où
tout
va
pour
le
mieux,
soit
pour
demander
à
Dieu
de
transformer
les
situations
ou
nos
coeurs.
Il
faut
aussi
vivre
ces
situations
en
plénitude,
en
pleine
conscience ; et alors elles deviennent prière. Elles deviennent autant de buissons ardents. Il en est de même dans le monde du travail et dans la vie professionnelle. Dans l'un et l'autre il faut savoir aller en eau profonde : accepter
la
solitude
des
décisions
difficiles.
Assumer
pleinement
une
décision
que
nous
seuls
pouvons
prendre
est
une
forme
de
désert
:
c'est
aussi
un
moment
de
rencontre
de
Dieu. Ne pas mésestimer l’importance que peut avoir un échec. En quelque domaine que ce soit... S’il est
accepté,
assumé,
il
peut
être
le
début
d’une
nouvelle
croissance ;
aussi
le
point
de
départ
d’une
union
plus
profonde
avec
Dieu. Dans le Monde et dans l'Église Nous vivons dans
une
société
où
ceux
qui
ont
choisi
certaines
options
qui
ne
sont
pas
les
nôtres
semblent
être
toujours
gagnants.
Être
fidèles
à
ses
principes
et
à
ses
convictions
est
alors
une
forme
de
solitude
qui
prépare
à
la
rencontre
de
Dieu.
C’est
un
désert
qui
nous
prépare
à
reconnaître
la
présence
de
Dieu
dans
un
vulgaire
buisson
soudain
enflammé. Si vous me permettez d’être un peu plus personnel, je dirai ceci :
Depuis
plusieurs
décennies,
j’ai
investi
beaucoup
dans
la
rencontre
des
religions
et
des
cultures. En ces temps-ci, ma prière consiste souvent
à
argumenter
fortement
avec
Dieu
à
ce
sujet.
Je
lui
dis :
Pourquoi
laisses-tu
ceux
que
l'on
appelle
"terroristes"
faire
de
tels
actes
?
Pourquoi
as-tu
permis
toutes
les
injustices
et
les
souffrances
qui
les
ont
amenés
à
un
tel
point
de
désespoir
et
de
cruauté ? Pourquoi permets-tu que l’on agisse ainsi au
nom
des
religions ?
Pourquoi
permets-tu
que
des
fossés
se
créent
entre
les
cultures ? Qu'est-ce que Dieu me répond ? La réponse que je perçois au fond de mon coeur est que tout
ce
qui
m'est
demandé
est
d'établir
la
paix
dans
mon
propre
coeur
et
avec
les
personnes
qui
m'entourent.
C'est
ma
petite
contribution.
C'est
ma solitude.
C'est
là
que
je
me
bute
sur
beaucoup
de
buissons. De temps à autre l'un semble en feu et mon
coeur
se
réchauffe. Ainsi
en
est-il
en
ce
qui
concerne
l'Église. Je l'aime de tout mon coeur. J'en fais partie. Elle est ma chair. Je ne puis en parler comme de quelque chose d'extérieur. Et pourtant tant de choses en elle me font
souffrir.
Et
cette
souffrance
est
déjà
rencontre
de
Dieu. Personnellement, je fais partie de la génération de ceux
qui
ont
vécu
intensément
le
Concile
Vatican
II. Nous y avons aspiré de tout notre coeur. Nous l’avons suivi au jour le jour. Nous avons travaillé à le mettre en pratique.
Et
aujourd’hui
nous
voyons
certains
secteurs
de
l'Église
faire
marche
arrière
et
s’efforcer
de
rétablir
l’Église
d’avant
le
Concile.
Et
ce
sont
eux
qui
semblent
réussir... Nous
sommes
une
petite
minorité.
J’aime
à
croire
que
nous
sommes
l’une
des
deux
barques...
celle
sur
laquelle
Jésus
est
monté
et
qu’il
nous
dit :
« Allez
en
eau
profonde ! »
Ce
qui
signifie,
me
semble-t-il,
entrer
dans
un
dialogue
profond
avec
l'Église
et,
au
nom
de
l’Église,
avec
la
culture
moderne
et
le
monde
d’aujourd’hui
(même
s’il
n’en
sent
pas
le
besoin). Conclusion ? Est-il possible de dégager quelques conclusions de tout cela ? Pour que notre vie soit une vie de prière, il est important
qu’il
y
ait
une
unité
profonde
dans
notre
vie. Si notre vie est divisée en compartiments et que la prière
n’est
qu’un
des
compartiments,
cette
prière
ne
sera
jamais
très
authentique,
même
si
nous
donnons
une
place
ce
choix
à
ce
compartiment. Ce qui est primordial et essentiel, c’est que la prière
soit
une
dimension
de
tout
ce
que
nous
sommes
et
tout
ce
que
nous
faisons. Et c’est précisément cette prière qui établira l’unité entre
notre
recherche
personnelle
de
Dieu,
notre
vie
familiale,
notre
vie
professionnelle,
nos
moments
de
prière
silencieuse
et
nos
célébrations
liturgiques.
La
prière
sera
la
trame
sur
laquelle
notre
vie
sera
tissée.
Armand
VEILLEUX |
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