Questions cisterciennes



(Dernière mise à jour le 10 juillet 2008)

 

 

 
 

 

 

Réflexions sur le rôle de l’Abbé Général dans l’OCSO

 

(Document de travail écrit pour la Conférence Régionale CNE, 2006)

(Version amendée le 1 mai 2007 : voir passage en rouge vers la fin du texte)

 

 

            Dom Bernardo OLIVERA ayant annoncé, au cours de la RGM de 2005 qu’il présentera sa démission lors des prochains Chapitres Généraux, on peut s’attendre à ce qu’il y ait en 2008 l’élection d’un nouvel Abbé Général, si la démission de Dom Bernardo est acceptée. Il n’est certes pas inutile, en préparation à cette élection, de réfléchir sur ce que nous attendons de l’Abbé Général dans le contexte actuel de l’Ordre, de l’Église et de la Société en général.

 

 

Rapide aperçu historique

 

A) Du 12ème au 17ème siècle

 

            Pour la première fois dans l’histoire du monachisme les fondateurs de Cîteaux ont trouvé la façon de constituer un « Ordre » tout en préservant l’autonomie juridique de chaque communauté.  Les monastères cisterciens sont unis entre eux par des liens de charité ainsi que par un esprit commun et des observances communes; mais chaque communauté conserve sa pleine autonomie sous l’autorité de l’abbé qu’elle a elle-même élu.  Il n’y a aucune autorité « personnelle » au-dessus de la communauté locale, mais bien l’autorité d’une institution, le Chapitre Général, composé des abbés de toutes les communautés, assumant une responsabilité pastorale collégiale sur l’ensemble de l’Ordre[1].           

 

 

            Dans un article publié en 1968[2],  le père Jean-Baptiste Van Damme étudie l’évolution de ces pouvoirs au cours des premières étapes d’évolution du droit de l’Ordre.  Il conclut qu’au cours de ces deux premiers siècles :

 

            « L’abbé de Cîteaux a toujours été considéré comme un primus inter pares, exerçant certaines fonctions administratives bien déterminées, décernées à sa personne par égard pour sa dignité de successeur des fondateurs de la maison et de l’ordre de Cîteaux.  Son titre le plus élevé, qu’il obtint de plein droit vers l’année 1205, est celui de président du chapitre général et de chef du définitoire, mais les facultés qui s’y rapportent étaient définies par des règlements détaillés.

 

            La note essentielle qui aurait fait de lui un « abbé général », à savoir un pouvoir de juridiction, si ténu fût-il, sur l’ordre entier, lui manquait complètement. » (p. 85).

 

            Au fur et à mesure que l’Ordre se répand à travers toute l’Europe, et surtout lorsque les Chapitres Généraux commencent à s’espacer, particulièrement en temps de guerre, le Chapitre Général confie – ou reconnaît – à l’Abbé de Cîteaux le soin d’agir dans des situations urgentes au nom du Chapitre Général, donc en tant que vicaire de celui-ci.

 

 

B) Du 17ème siècle jusqu’à 1892

 

            C’est à l’époque des Congrégations et des Observances que le nom d’Abbé Général, attribué à l’Abbé de Cîteaux, commence à apparaître.  Le titre aurait été utilisé pour la première fois en 1448 par Eugène IV s’adressant Jean Picart, abbé de Cîteaux.  À partir de 1609 les abbés de Cîteaux se donnent eux-mêmes ce titre dans leur convocation du Chapitre Général[3].

 

            À partir du début du 17ème siècle on assiste à la division de l'Ordre en Observances. La Révolution, les guerres et d'autres circonstances politiques ayant longtemps rendu impossible la tenue de Chapitres Généraux, la situation juridique elle-même n'était pas des plus claires, en particulier en ce qui concernait l'Abbé Général.  Pie VII avait conféré à l'Abbé Président de la Congrégation de Saint Bernard les droits et les privilèges de l'Abbé Général de l'Ordre de Cîteaux -- droits plus honorifiques que réels et qui, en dehors de l'Italie, se réduisaient à confirmer les élections.             En 1869 les monastères de la Commune Observance se réunissent en Chapitre Général (où ceux de la Stricte Observance ne sont pas convoqués).  Ils se réunissent de nouveau en 1880 et 1891 pour élire un Abbé Général (sans la participation de la Stricte Observance.  Lors du Chapitre d’Union des Congrégations issues de La Trappe en 1892, le Saint Siège demandera aux abbés assemblés s’ils désirent être sous l’autorité de cet « Abbé Général de la Commune Observance » ou se constituer en Ordre autonome et élire leur propre Abbé Général. Ils choisirent cette deuxième option et, depuis lors, la famille cistercienne est composée de deux branches principales sans oublier les rameaux qui n’appartiennent juridiquement à aucune de ces deux branches et dont certains sont réunis en « Ordres » (comme Esquermes) ou en « Congrégations » (comme Las Huelgas). 

C) Depuis 1892

 

            Le Chapitre de 1892 élit son premier Abbé Général en la personne de Dom Sébastien Wyart.  Après la refondation de Cîteaux en 1898, l’Abbé Général devint l’abbé de Cîteaux.  Voici ce qu’on lit dans les Actes du Chapitre Général de 1899 : « Avec l’autorisation du Saint-Siège, la nouvelle communauté de Cîteaux a élu, pour son abbé, le Général de l’Ordre.  Le Souverain Pontife non seulement a approuvé et confirmé cette élection mais encore par un Rescrit du 4 Juillet 1899 a statué qu’à l’avenir l’abbaye de Cîteaux sera la Maison-Mère de notre Ordre : « honore et auctoritate princeps » et que l’abbé Général sera toujours  Abbé de Cîteaux » (page 4).

 

            Le Chapitre Général de 1962 sépara les deux fonctions, tout en demandant au Saint-Siège de reconnaître à l’Abbé Général le titre d’archi-abbé de Cîteaux. Ce titre est disparu avec nos nouvelles Constitutions, l’Abbé Général agissant désormais à l’égard de cette communauté « ad instar Patris Immediati).

La charge de l’Abbé Général

 

            Le chapitre 3 de la 3ème partie de nos Constitutions a comme titre : « La charge de l’Abbé Général » (De Abbatis Generalis munere). Voici comment la Constitution 82 définit cette charge :

 

 

C. 82               L'Abbé Général

 

1

L'Abbé Général, en tant que lien d'unité de l'Ordre, stimule les relations entre les communautés tant de moines que de moniales. Il veille au maintien et au développement du patrimoine de l'Ordre. Avant tout il se montre pasteur et s'efforce de susciter un renouveau spirituel dans les communautés. Il visite les monastères selon la fréquence qu'il juge convenable pour une bonne connaissance de l'Ordre entier : ainsi peut-il aider fructueusement chaque supérieur et chaque communauté.

 

2

L'Abbé Général convoque et préside les Chapitres Généraux. Aidé de son conseil, il agit au nom de chacun des Chapitres Généraux dans les affaires qui lui sont confiées par ces Chapitres ou par le droit, et dans celles qui ne peuvent être différées. Il confirme les élections des abbés et des abbesses et reçoit la démission des abbesses. Il a aussi pouvoir de dispenser du droit propre de l'Ordre. Il ne jouit toutefois pas du pouvoir législatif. Il ne peut décider au sujet des biens et des personnes des communautés, mais peut seulement prendre quelques mesures temporaires là où la nécessité le demande.

           

3

L'Abbé Général est considéré juridiquement comme un Modérateur suprême d'un institut clérical de droit pontifical selon les normes des constitutions.

           

            Dans cette Constitution, telle qu’elle a été votée en 1987 et approuvée par le Saint Siège en 1990 apparaît bien la distinction entre l’aspect pastoral et l’aspect canonique, les deux étant évidemment complémentaires l’un de l’autre.

 

            Le premier paragraphe décrit l’essentiel du rôle de l’Abbé Général qui est avant tout de travailler au maintien et au développement de la communion entre les communautés de l’Ordre, aussi bien celles de moniales que celles de moines.  Il a aussi pour tâche de veiller à la fois au maintien de la tradition et à la réponse créatrice de l’Ordre aux défis des situations nouvelles dans l’Église et dans la société.            

            Le deuxième paragraphe définit les « tâches » qui lui sont confiées par le droit à travers les Constitutions. Si l’influence morale de l’Abbé Général sur l’Ordre peut être très grande, ses pouvoirs « juridiques » sont fort limités. Il n’est pas un « supérieur général » au sens où le sont les supérieurs généraux des Instituts religieux centralisés.

 

            Le Chapitre Général étant l’autorité suprême de l’Ordre, l’Abbé Général est lui-même soumis aux décisions du Chapitre, dont il est le Président, primus inter pares, (ce qui relève de la nature d’un collège).  à l’égard des communautés et des membres de l’Ordre il n’a pas une juridiction lui permettant de prendre de plein droit des décisions.  Il peut simplement prendre à leur égard « quelques mesures temporaires (ce qui exclue des mesures irréversibles) là où la nécessité le demande ».

 

            C’est ce qui est exprimé avec beaucoup de subtilité dans le troisième paragraphe de cette Constitution.  Même si nous ne nous considérons pas comme « institut clérical » et n’avons utilisé cette expression nulle part ailleurs dans nos Constitutions, cette petite phrase toute « romaine », sans affirmer que l’Abbé Général est le « Modérateur suprême d’un institut clérical », affirme que c’est « tout comme » : iure intellegitur, c’est-à-dire « on le considère comme ». Sans cette petite phrase, notre Abbé Général, aux termes du droit (cf. canon 134 §1) ne serait pas « Ordinaire » et devrait dépendre d’un autre « Ordinaire »... Mais le reste de la phrase : « ad normam Constitutionum » est important. Ce petit membre de phrase veut dire que l’Abbé Général n’a pas tous les pouvoirs que le droit universel donne ou peut donner au Modérateur suprême d’un institut clérical, mais simplement ceux qui sont explicitement mentionnés dans nos Constitutions.

 

            Il faut noter depuis les années 1960, une tendance du Saint Siège à traiter notre Abbé Général comme s’il était un supérieur d’institut centralisé.  Il est évidemment plus facile pour le Saint Siège d’avoir à faire à une personne qu’à un Chapitre Général[4]. 

 

            Tous nos Abbés Généraux ont été conscients de l’étendue et des limites de leur autorité canonique.  Par ailleurs cela est souvent moins clair pour d’autres membres de l’Ordre qui lui écrivent pour lui demander toutes sortes de « permissions » qu’il ne donne évidemment pas, les renvoyant à leur propre supérieur.  De même, il n’est pas rare qu’au cours d’un Chapitre Général on entende des Capitulants ou Capitulantes exprimer l’opinion que telle décision relevant de l’autorité du Chapitre Général devrait être prise par l’Abbé Général ou par « L’Abbé Général et son Conseil ».

 

            On peut aussi se demander si la fragilité (la « précarité » selon l’expression devenue « incontournable » dans le jargon actuel) de plusieurs communautés, et le flou régnant autour du pouvoir des Pères Immédiats – surtout à l’époque où il y avait de nombreux supérieurs ad nutum et que ceux-ci ne pouvaient pas exercer leur rôle de Père Immédiat – n’ont pas amené beaucoup de supérieur(e)s à faire constamment appel à l’Abbé Général pour régler des situations locales complexes que, normalement l’abbé lui-même (ou l’abbesse) ou le Père Immédiat aurait dû avoir la compétence et le courage de régler.

 

 

Ce qu’on doit attendre aujourd’hui de l’Abbé Général

 

            Chacun des neuf Abbés Généraux que notre Ordre a connus depuis 1892 a été une personnalité riche et marquante qui a profondément influencé la vie de l’Ordre et il faut s’en réjouir.  Chacun a évidemment compris et exercé sa tâche conformément à sa propre personnalité et sa propre grâce, sans oublier les contextes historiques différents.

 

            Au Chapitre Général de 1951, après la démission de Dom Dominique Nogues, Dom Gabriel Sortais, en tant qu’Abbé Vicaire, fit une assez longue allocution expliquant ce qu’on attendait de l’Abbé Général.  C’était une sorte de « programme » qu’il mit d’ailleurs en pratique au cours de son généralat de douze ans. (Voir Compte-rendu des Séances, 1951, pp. 36-39). Il se voyait comme le grand frère des autres abbés les aidant à ne pas se fourvoyer dans des circonstances difficiles.  Il se voyait aussi comme le gardien de la Règle et de son esprit « soit au Chapitre Général, soit pendant le reste de l’année, dans son poste de vigie de Rome ou lors de ses visites dans les monastères ».  Il se réjouissait des « pouvoirs » très limités de l’Abbé Général voyant son autorité dans l’ordre de la confiance, de l’affection et de la persuasion.  Pour lui l’Abbé Général a une autorité très réelle, parfois considérable, « puisqu’elle lui est conférée par la confiance d’Abbés qui se plaisent à se dire ses fils ».  (On se souviendra que presque tous les entretiens de Dom Gabriel commençaient par les mots « Chers fils »).

 

            Au Chapitre Général de 1964, après la mort de Dom Gabriel Sortais, Dom Ignace Gillet, Abbé Vicaire, décrivit les défis qui se présenteraient au nouvel Abbé Général (Compte-rendu des séances, 1964, pp. 16-20). On était alors en plein Concile, entre la première et la deuxième session.  Le premier défi de l’Abbé Général serait donc « de guider l’Ordre dans ses efforts d’adaptation », sauvegardant les vetera sans pour autant oublier les nova auxquelles il faudrait s’ouvrir avec prudence. Résidant à Rome l’Abbé Général – au surplus membre du Concile – « se trouve plus aisément et plus naturellement que tout autre à l’écoute de l’Eglise.  Il est donc tout désigné pour faire connaître à l’Ordre ces ‘nova’ que l’Eglise attend de nous, pour orienter nos travaux et en être, selon l’expression nouvelle, le ‘modérateur’. »  Un autre défi de l’Abbé Général était alors, pour Dom Ignace, de maintenir l’unité de l’Ordre dans une période d’expansion.

 

            En 1974 la situation fut assez différente.  Était au programme du Chapitre Général à la fois le vote sur l’approbation de la démission de l’Abbé Général et l’étude du « Statut de l’Abbé Général ».  Le vote d’acceptation de la démission de Dom Ignace eut lieu à la neuvième séance, et les rapports de l’étude de toutes les commissions sur le statut de l’Abbé Général furent donnés à la treizième séance.  Entretemps Dom Ignace continua de donner les huit conférences qu’il avait préparées.  Les comptes rendus des commission sur le statut de l’abbé général et les échanges en plénière conduisirent à la composition d’un texte intitulé « Rôle de l’Abbé Général », qui servit aux Capitulants dans leur choix du nouvel Abbé Général.

Dom Ambroise, qui était alors l’Abbé Vicaire, ne fit aucun discours avant le vote.

(Ce texte se trouve en annexe au Compte-rendu des séances du Chapitre Généal de 1974 pages [68]-[70]). Le voici en entier (sauf l’introduction historique) :

 

L'Abbé Général continue l'œuvre du Chapitre Général en faisant communier l'Ordre entier à son esprit de collaboration fraternelle, et en veillant à l'application de ses décisions.

Centre d'unité, il fait le lien, en sa personne, entre les communautés, les différentes régions, et avec les moniales de notre Ordre.

Gardien averti de la tradition vivante de Cîteaux, il aura le souci de maintenir la forme de vie instaurée par nos fondateurs ; attentif aussi aux nouvelles expressions que la vie cistercienne peut prendre dans tel ou tel monastère ou dans diverses parties du monde, il y discerne ce qui est de nature à promouvoir le progrès monastique et spirituel de l'Ordre dans son ensemble. Dans le même esprit de discrétion, il signalera aux abbés et aux communautés qu'il visite, ce qui lui paraîtrait moins authentique dans leur façon de vivre ou de penser, ou ce qui s'écarterait par trop de l'idéal bénédictin, qui est au cœur de la "scola caritatis" créée par nos Pères.

Pour remplir cette tâche efficacement, au cours des Chapitres Généraux qu'il préside, il fera partager par les supérieurs l'expérience des communautés qu'il aura acquise, stimulant ainsi leur intérêt en élargissant l'horizon de leurs réflexions.

En visitant les communautés, et de préférence celles qui auraient le plus besoin de son aide et de ses encouragements, il fera participer les moines à la vie de l'Ordre : dans la peine avec ceux qui sont dans la peine, se réjouissant avec ceux que la grâce favorise.

Il est souhaitable que l'Abbé Général assiste aussi à quelques réunions régionales qui s'annonceraient plus significatives par la portée de leur programme. Occasions de rencontres amicales avec des abbés rassemblés, il y prendra connaissance des orientations qui s'y font jour. Ces multiples relations l'aideront dans la préparation des réunions de conseil général et des Chapitres Généraux.

Il sera le garant de la volonté de l'Ordre de rester en étroite communion avec la vie de l'Église, et c'est dans cet esprit qu'il entretiendra les relations avec le Saint-Siège, avec les Évêques et les autres Ordres religieux.

Abbés, moines et moniales témoigneront à son égard des sentiments de respect et d'affection que lui méritent d'aussi lourdes responsabilités : le poids de toutes les églises de Notre Dame de Cîteaux.

 

            L’essentiel de cette compréhension du rôle de l’Abbé Général qu’on trouve dans cette description de 1974 du rôle de l’Abbé Général passa dans le texte de nos Constitutions rédigées à Holyoke (1984) et El Escorial (1985), puis à Rome (1987) et approuvées par le Saint Siège (1990)

 

            Lors de l’élection de Dom Bernardo en 1990 une réflexion en commissions, comme celle de 1974, ne s’est pas produite, même si elle fut demandée par certains aussi bien à la réunion des Commissions Centrales à Cardeña en 1989 qu’au Chapitre Général même.  On jugeait sans doute qu’on en avait suffisamment parlé dans les Conférences Régionales.  Ce qui était peut-être vrai au moins pour certaines Régions.

 

            La situation de l’Ordre ayant considérablement évolué depuis 1990, il serait urgent de réfléchir de nouveau en 2008 sur le rôle de l’Abbé Général comme nous l’avons fait de façon très élaborée durant le Chapitre Général de 1974.  Évidemment, il serait bon que cette réflexion se fasse d’abord dans les Régions.  Il y aurait lieu de faire le point sur la situation actuelle de l’Ordre, avec ses forces et ses faiblesses, ainsi que ses défis.  On pourrait ensuite étudier l’évolution des diverses structures de l’Ordre depuis Vatican II et de leurs interactions (Pères Immédiats, Visites Régulières, Conférences Régionales, Commission Centrales, etc.).  Ce n’est qu’après qu’on pourrait, comme en 1974, décrire le rôle que l’on voudra confier au prochain Abbé Général.

 

 

Question de durée du mandat

 

            En annonçant la démission qu’il entend présenter au prochain Chapitre, Dom Bernardo a soulevé la question de la durée du mandat de l’Abbé Général. Un coup d’œil sur l’évolution de la législation à ce sujet peut nous éclairer.

 

            Nous avons eu neuf Abbés Généraux depuis 1892, l’Abbé Général actuel étant le 9ème.  Cela donne donc jusqu’à maintenant une moyenne de 12,7 années en charge. Sur les 9 Abbé Généraux, quatre sont morts en charge, quatre ont démissionné et un est toujours en charge mais a annoncé sa démission.

 

            Jusqu’en 1971 l’Abbé Général était élu à vie. L’abbatiat à vie pour les abbés locaux avait été supprimé au Chapitre de 1969, et avait été remplacé par l’abbatiat ad tempus (i.e. ad tempus non definitum, la possibilité d’un abbatiat ad tempus definitum étant laissée à l’étude du Chapitre de 1974).  Les raisons en faveur d’un mandat « non definitum » pour l’abbé local ne valant pas nécessairement dans le cas d’un Abbé Général, une légère majorité de 38 vs 36 votèrent en 1971 en faveur d’élire l’Abbé Général ad tempus definitum.  Mais comme on n’avait pas la majorité requise des deux tiers, on se rabattit sur le tempus non definitum.

 

            La question fut quand même de nouveau débattue en 1974, avant l’élection de Dom Ambrose. De nombreuses possibilités furent envisagées dans les commissions du Chapitre Général (comme elles l’avaient été dans les Conférences Régionales). Il fut impossible de savoir lesquelles de ces possibilités étaient appuyées par un plus grand nombre de Capitulants, car tout fut réglé par un seul vote préliminaire demandant si l’on voulait changer la législation votée en 1971. Une très grande majorité vota pour changer cette législation (49 vs 30 et 1 abstention)... mais il manquait quelques voies pour atteindre les deux tiers. On en resta donc à l’abbatiat ad tempus non definitum même si presque les deux-tiers des Capitulants désiraient l’autre solution. (Après son élection Dom Ambrose annonça que, par respect pour la majorité des Capitulants il demanderait « un vote de confiance lors du deuxième chapitre qui suivra celui de 1974 ».  Ce qu’il fit.

 

           Lors de la mise au point des Constitutions aussi bien à Holyoke qu'à El Escorial, cette question ne fut guère discutée. Par ailleurs, à la première RGM, à Rome, en 1987, elle fut assez longuement étudiée en Commissions Mixtes. L'amendement selon lequel l'Abbé Général serait élu " ad tempus definitum " reçut, comme en 1974, une forte majorité des voix du Chapitre des Abbés, sans toutefois atteindre les deux tiers (51 oui, 34 non, 1 abs). Le vote du Chapitre des Abbesses fut encore moins concluant (30 oui, 30 non, 1 abs). 

 

            Dom Bernardo ayant explicitement ouvert la question à Assise, il y a lieu d’en réétudier tous les aspects.

 

 

 

Scourmont, 1 avril 2006                                                     Armand Veilleux



[1] Les liens prévus par la Carta Caritatis entre l’abbé de la maison-mère et l’abbé de ses fondations sont des liens de charité et de sollicitude pastorale. Dans les cas où ces liens impliquent l’exercice d’une autorité (par exemple déposition d’un abbé), il s’agit d’une autorité déléguée par le Chapitre Général.

[2] « Les pouvoirs de l’abbé de Cîteaux aux XIIe et XIIIe siècle » dans Analecta cisterciensia, T. 24 (1968), pp. 47-85 « Les pouvoirs de l’abbé de Cîteaux aux XIIe et XIIIe siècle »

[3] Voir Dom Vincent Hermans, Commentarium cisterciense historico-practicum in codicis canones de Religiosis, Rome 1961, p. 113. 

[4] Déjà en 1892 le Saint Siège aurait voulu d’un Supérieur Général comme ceux des Instituts religieux centralisés;  mais les Capitulants restèrent fidèles à l’esprit des premiers siècles de l’Ordre et confièrent à leur Abbé Général un rôle correspondant à celui qu’il avait eu dans le passé. Voir Dom Vincent Hermans, “ L'Abbé Général et les Cisterciens Réformés”, dans Analecta cisterciensia,  T. 24 (1968), pp. 119-142.