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12 janvier 2020 – Fête du Baptême du Seigneur
Is 42,1-4.6-7 ; Ac 10,34-38 ;
Mt 3,13-17
H O M É
L I E
Au cours d’un voyage, les moments les
plus importants sont ceux où l’on arrive à une croisée des chemins. C’est alors qu’il faut prendre les décisions
les plus lourdes de conséquence concernant notre route. Ce sont vraiment les moments où il est
essentiel de bien savoir où nous voulons et devons aller.
Dans
l’Évangile d’aujourd’hui deux personnes se rencontrent, qui sont toutes les
deux à la croisée des chemins, et dans plusieurs sens de l’expression :
géographiquement,
d’abord : Le lieu où ils se
rencontrent le long du Jourdain, près de
Jéricho, est le point le plus bas sur la planète, à près de cent mètres sous le
niveau de la mer. C’est le lieu où se
termine la route qui vient de Jérusalem et celle qui vient de la Galilée. Ces routes ne conduisent plus nulle part.
spirituellement, aussi, cet
endroit est une croisée des chemins. Là,
tout près, se trouve l’établissement monastique de Qumrân : une secte qui s’est dissociée de la liturgie
d’Israël et qui vit en marge du Peuple de Dieu, dans l’attente du Maître de
Justice qui rétablira le règne politique de David et la liturgie légitime du
Temple – une secte qui nourrit une tradition qui ne conduit nulle part.
personnellement, enfin. Et à ce point de vue les deux personnes en présence -- Jésus et
Jean-Baptiste -- ont beaucoup en commun.
Jean-Baptiste
est un marginal. Il était de famille
sacerdotale et dès le moment de son enfance il était
destiné au Temple. À un certain moment
il a renoncé au service sacerdotal pour prendre la route du désert. Une voie qui ne conduit nulle part. Là dans la solitude, là où il n’y avait plus
de chemin, le Chemin est venu à lui.
Jésus
également se trouve à une croisée des chemins. Il avait grandi dans une famille juive traditionnelle, dans la Galilée
conservatrice du Royaume du Nord. Il
avait reçu sa formation religieuse à la synagogue locale et avait la coutume de
faire le pèlerinage annuel au Temple de Jérusalem avec ses parents. Puis, de façon imprévue, vers l’âge de 30
ans, il a quitté sa Galilée, il s’est séparé de sa famille (dont certains
membres viendront un jour pour le prendre et le ramener à la maison, car ils
pensent qu’il a perdu la tête). Il a,
lui aussi, pris la route du désert, où il reçoit le baptême de Jean.
Le chemin
qu’il a pris ne conduisait nulle part. Mais en le prenant il a pu conduire les êtres humains à eux-mêmes. Écoutant la voix du Père tonner dans le
silence de cette solitude : « Tu es mon fils bien-aimé », il a
découvert la voie de son coeur, il a reçu dans son psychisme humain, la
révélation que c’était Lui, la Voie. À
partir de ce moment, tout fut changé -- radicalement changé -- pour lui, pour
nous, pour tous les humains.
La majeure
partie des gens entrent dans l’histoire à reculons, regardant leur passé. Le mythe du paradis perdu et la tentation d’y
retourner ont affligé toutes les traditions religieuses à travers les siècles. Regarder en avant demande plus d’audace et
d’engagement. Il s’agit d’affronter l’histoire en regardant en avant, vers
quelque chose qui, en relation au temps, n’existe pas encore, mais qui, en
relation avec l’éternité, détermine déjà notre identité.
Jésus et
Jean marchaient tous les deux vers l’avenir regardant en avant.
Selon
Arnold Toynbee, les êtres humains peuvent se diviser en deux groupes, qu’il
appelle les Zélotes et les Hérodiens. Les Zélotes sont ceux qui essaient de comprendre leur présent à la
lumière de leur passé. Les Hérodiens
sont ceux qui s'efforcent de construire leur présent à la lumière de la
perception qu’ils ont déjà de leur avenir.
Jésus et
Jean étaient certainement des « Hérodiens », dans ce sens du
mot. Et c’est aussi ce que nous sommes
appelés à être.
Le sang du
Christ, dans lequel nous avons été baptisés et que nous recevrons dans
l’Eucharistie, est le point fixe où viennent aboutir tous les chemins. C’est le lieu où notre rencontre personnelle
avec Jésus peut être survolée par l’Esprit Saint, comme il arriva à Jésus, et
où nous pouvons entendre nous aussi la voix du Père qui nous dit une fois de
plus que nous sommes ses fils et ses filles.
Et quel qu’ait été le chemin qui nous a conduit jusque là, avec ses joies comme ses douleurs, avec ses grâces et ses blessures, suivant une ligne droite ou des vagabondages sinueux, c’est ici que peut se situer la rencontre qui pourra nous guérir de toute blessure et donner un sens à notre présent comme à notre avenir. C’est de cela que nous rendons grâce à Dieu dans cette Eucharistie.
Armand Veilleux
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