9 février 2018 -- vendredi de la 5ème
semaine ordinaire
1R 11, 29-32. 12,
19 ; Mc 7, 31-37
H O M É L I E
Les Évangiles nous montrent
rarement Jésus en dehors du territoire d’Israël. Dans les passages de
l’Évangile de Marc que nous avons lus ces jours-ci, Jésus était allé dans la
région de Tyr, au nord du Lac de Galilée. C’était une région limitrophe, avec
une population mêlée, de religion surtout païenne. C’est là qu’il avait guéri
la fille de la Syro-phénicienne. Et, au début du texte d’aujourd’hui, nous le
voyons quitter Tyr, passer par Sidon, en direction du Lac de Galilée et aller
directement en terre païenne, dans la fédération de dix villes qu’on
appelait la Décapole.
Que fait Jésus en terre
païenne, c’est-à-dire non juive ? Il ne prêche pas. Il n’essaie pas de convertir les habitants au
judaïsme. Il ne leur parle même pas du
Royaume, comme il le fait aux Juifs. Il
fait plutôt advenir le Royaume. Il fait simplement une guérison. Et ce
récit est une introduction à celui de la deuxième multiplication des pains.
Ce récit de guérison, qui
est propre à Marc, est plein de détails lourds de symboles. On dit par exemple que le malade était sourd
et muet. Or, l’adjectif grec (mogilalon) qu’on
traduit ici par muet, et qui signifie plutôt quelqu’un qui parle difficilement,
n’existait pas dans le grec classique et ne se trouve qu’une fois, ici, dans le
NT et une fois dans l’AT, dans une prophétie d’Isaïe qui
annonçait que les yeux des aveugles s’ouvriront, les sourds entendront et la
bouche de ceux qui ont de la difficulté à parler criera de joie.
On amène donc à Jésus un
sourd-muet. Celui-ci pourrait bien
représenter, dans la pensée de Marc, les disciples qui ,
dans le texte précédent, n’avaient pas compris l’enseignement de Jésus (sur ce
qui sort du coeur de l’homme), et ne pouvaient donc pas encore transmettre
correctement le message de Jésus. On amène
à Jésus ce malade ; il ne vient pas de lui-même, et il n’est pas dit qui
l’amène. On supplie Jésus (on ne lui « demande » pas
simplement ; on le « supplie ») – non pas de le guérir, mais de
lui imposer les mains, et donc de
lui transmettre sa force vitale.
Jésus lève les yeux au
ciel, dans un geste de prière à son père, en soupirant – ce qui souligne
l’importance du moment, et exprime probablement sa tristesse à cause de la
lenteur de ses disciples à comprendre.
Après avoir touché les oreilles et la langue du malade il dit à
celui-ci : « Ouvre-toi ».
Le mot « effata » est un mot
araméen, un impératif à la deuxième personne du singulier. Jésus ne dit pas aux
oreilles « ouvrez-vous ». Il
dit au malade, à la personne : « ouvre-toi ». Lorsque la personne s’ouvre à la grâce et à
la personne de Jésus, elle peut parler et entendre. Elle est libérée de ses
obstacles.
Revenons sur le contexte
dans lequel Jésus accomplit ce miracle.
C’est l’une des rares fois où Il pénètre en terre païenne. À ces
non-Juifs Il ne parlera pas en utilisant le langage des prophètes
d’Israël. Il n’essaiera évidemment pas
d’en faire des Juifs. Il les évangélisera --
non pas en leur apportant un contenu intellectuel, en leur parlant du
salut, mais simplement en le réalisant au milieu d’eux, en leur
apportant ce salut sous forme de guérison.
En certains pays, de nos
jours, il n’est pas possible d’annoncer l’Évangile en paroles, ce qu’on appelle
« prosélytisme » étant interdit.
En Algérie, par exemple. En ces
pays, de petites communautés de Chrétiens évangélisent simplement en vivant la
charité au milieu des gens. Comme l’ont fait nos frères de Tibhirine avec un
résultat si évident et si surprenant.
Même nos sociétés
européennes, qui, du point de vue matériel, sont des terres fertiles comme la
Décapole du temps de Jésus, ont largement perdu le contact avec les expressions
orales du message chrétien. Certains d’entre
nous sont sans doute appelés à prêcher ce message en paroles. Mais ce n’est possible ni partout ni
toujours. Ce qui est toujours possible,
à nous tous et en tout temps, c’est de vivre le royaume, d’incarner l’amour
chrétien dans des gestes de charité et de communion comme ceux de Jésus
touchant de ses doigts les oreilles du sourd et touchant sa langue avec sa
salive.
Le Règne de Dieu est dans
les gestes avant d’être dans les paroles.