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1 mars 2017 – Mercredi
des Cendres
Joël 2, 12-18; 2 Cor 5, 20 ; 6, 2; Matt 6, 1-6.
16-18
Homélie
Dans ce que nous appelons le Sermon sur la montagne,
c’est-à-dire le long discours par lequel, dans l’Évangile de Matthieu, Jésus
commence sa prédication, il établit d’abord, dans la série de béatitudes, la
charte fondamentale du monde nouveau – du royaume des cieux -- qu’il veut
instaurer. Puis Jésus explique qu’il
n’est pas venu abroger la Loi mais la porter à sa plénitude, et il conclut :
« si votre justice ne dépasse pas celles des Scribes et des
Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ».
Que signifie le mot « justice » dans ce
contexte ? Dans le langage et la vision juridique de l’époque, être juste
consistait à être conforme aux préceptes de la Loi, en trois domaines en
particulier : l’aumône, la prière et le jeûne. Jésus dit donc à ses
auditeurs que si leur aumône, leur prière et leur jeûne ne dépasse pas ceux des
Pharisiens, ils n’entreront pas dans le Royaume. Serait-ce qu’il les invite à faire plus
d’aumônes, à réciter plus de prières et à pratiquer un jeûne plus
rigoureux ?
Non ! Ce n’est pas
ce à quoi Jésus nous appelle. Et il
s’explique tout de suite après, dans le texte que nous venons de lire. Lisons le premier verset selon la traduction
de la Bible de Jérusalem, qui rend beaucoup mieux le sens du texte grec que
l’adaptation du lectionnaire liturgique. « Gardez-vous, dit Jésus, de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux » [au lieu de « Ce que vous faites pour devenir des justes,
évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer »]. Et
alors, il donne ses recommandations concernant ce qui était considéré comme les
trois piliers de la justice, selon les Pharisiens : l’aumône, la prière et
le jeûne.
Dans ces trois domaines,
l’enseignement de Jésus est un appel à la vérité et à la droiture d’intention.
Notre être vrai, notre vrai « moi » à chacun de nous, se trouve au
centre le plus intime de nous-mêmes, là où nous recevons notre être de Dieu, là
où nous sommes sans cesse engendrés par le Souffle de vie de Dieu. Autour de ce noyau, il y a diverses couches
d’enveloppes protectrices – tous nos « egos » -- et nous en avons
ajouté plusieurs pour mieux nous protéger. Si bien que nous courons le danger de toujours vivre à la superficie de
notre être. Nous essayons de donner aux
autres la plus belle image possible de nous-mêmes, et nous nous complaisons
facilement dans cette image, étant d’ailleurs souvent plus dupes que ceux et
celles qui nous entourent.
Au sujet de l’aumône,
Jésus met en garde de la pratiquer, soit pour se faire remarquer par les
autres, soit même pour se donner bonne conscience. Moins la chose sera
publique, moins on sera conscient soi-même de sa propre générosité, mieux ce
sera, car la seule chose qui compte vraiment est la motivation profonde, qui,
de sa nature même, est secrète pour tous, y compris pour nous-mêmes et que seul
le Père voit dans le secret.
De même pour la prière.
Si nous prions pour nous faire remarquer – soit des autres, soit de nous-mêmes,
soit même de Dieu, nous avons déjà reçu notre récompense. Notre prière ne va pas plus loin. La vraie prière est dans le secret du
coeur : ce n’est pas celle qu’on pourrait prétendre enseigner, ni celle
qui procure de beaux et chauds sentiments, ni celle qui peut se soupeser. C’est la prière tout nue, tout intérieure, au-delà
des gestes ou des paroles qui peuvent l’exprimer et que personne autre que Dieu
ne peut entendre, même pas nous-mêmes. C’est sans doute d’elle que voulait parler saint Antoine d’Égypte qui
affirmait que la prière n’est pas encore pure aussi longtemps que l’on a
conscience de prier.
L’évangéliste Matthieu
introduit ici le texte du Pater et, dans un passage qui vient tout de
suite après et qui est le troisième élément du triptyque, Jésus donne le même
enseignement concernant le jeûne.
Puisse ce Carême nous
aider, chacun de nous, à nous délester de quelques couches supplémentaires de
notre ego, pour nous permettre de vivre, dans une vérité toujours plus
grande tous les aspects de notre vie, et pénétrer ainsi toujours plus
profondément dans la vie intérieure, laquelle consiste à être en contact
aussi constant que possible avec ce point, au coeur de notre être, où se tient,
en secret, l’échange de Parole qui nous engendre sans cesse à la Vie.
Armand VEILLEUX
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