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12 mars 2017 – 2ème dimanche de Carême “A”
H O M É L I E
Le père d’Abraham était né à Ur, en Chaldée (Gen 11,31) et s’était établi à
Harân, beaucoup plus au nord. Être né à
Ur voulait dire avoir été exposé à la culture la plus développée du monde de
cette époque. Ur était l’endroit où
étaient apparus les premiers tribunaux connus par l’histoire, et la première
forme de législation sociale. L’agriculture y avait aussi atteint des sommets inconnus
auparavant. Or, tout ce développement,
et les conflits qu’il engendra, provoqua un important mouvement de migration
vers le nord au 17ème siècle avant le Christ. Le père d’Abaham et sa famille furent emportés par ce mouvement
migratoire. Harân, où ils s’établirent –
à environ 1.500 kilomètres au nord de Ur -- était à une croisée de chemins pour
caravanes. On s’y trouvait aux confins
de la civilisation sumérienne, à laquelle appartenait Ur. Aller plus loin signifiait changer de culture.
Abraham appartenait donc à une première génération
d’immigrants à Harân. Et nous savons
qu’une première génération d’immigrants dans un nouveau pays a besoin de
stabilité et de sécurité, afin de pouvoir s’y enraciner. Or, Abraham reçoit de Dieu l’appel à quitter
cette stabilité et cette sécurité, et à s’aventurer au-delà des frontières de
sa culture – à entreprendre un voyage dans l’inconnu, sans aucune autre
assurance que la parole de Dieu. Il
accepta cette parole de Dieu et c’est pourquoi il fut appelé le père de tous
les croyants: “Il partit – dit le livre
de la Genèse – sans savoir où il allait.” Son voyage fut rempli de dangers et de tentations, mais il les vainquit
et parvint à la terre promise.
Presque deux mille ans plus tard, le Fils de Dieu fut aussi
envoyé en voyage – un voyage qui, pour utiliser les mots de saint Paul aux
Philippiens, consistait à renoncer à tous ses privilèges. Il s’installa d’abord à Nazareth, comme
Abraham l’avait fait à Harân. Mais un
jour, lors de son baptême dans le Jourdain, il entendit l’appel messianique,
qui l’envoyait en voyage sur les routes de Judée et de Galilée. Il rencontra lui aussi la tentation, comme
nous l’avons vu dans l’Évangile de dimanche dernier, ainsi que le danger.
Lorsqu’il se mit à prêcher à Capharnaüm et à Nazareth, les
foules étaient dans l’admiration, et le révéraient comme un prophète. Il s’arracha à cette tentation. Alors, après les premiers miracles,
particulièrement après la multiplication des pains, les foules voulurent le
couronner roi. Autre tentation de
laquelle il s’enfuit. Mais lorsque les pouvoirs
en place commencèrent à le percevoir comme une menace, ils lui firent une
guerre systématique, et les foules le désertèrent graduellement. À un certain moment il réalisa que les
autorités du peuple réussiraient leurs plans et qu’il allait mourir. Ce fut un important point tournant dans sa vie
active. À partir de ce moment il
consacra la plus grande partie de son temps et de son énergie à former ses
disciples plutôt qu’à enseigner aux foules.
L’incident dont nous lisons le récit dans l’Évangile d’aujourd’hui,
se situe à ce moment crucial dans la vie de Jésus. Il avait à peine annoncé sa mort à ses disciples. Il amena alors
trois d’entre eux sur la montagne pour une nuit de prière. Là, alors que tout espoir humain était
éliminé, et qu’il ne restait plus que l’espérance pure et nue – alors que tout
ce qui n’était pas sa mission messianique disparaissait ou s’écroulait, sa
véritable identité se révéla. Il fut
transfiguré. Toute son humanité fut
réduite à la volonté du Père sur lui.
Il y a dans cet épisode de la transfiguration non seulement
une révélation sur la personne du Christ, mais aussi une révélation sur la
nature de notre vie morale. Nous avons
trop facilement tendance à réduire notre foi à un idéal moral, à réduire le
message évangélique à une règle de vie, si noble soit-elle. Ce à quoi nous sommes appelés c’est à être
transfigurés – à devenir identifiés dans tout notre être avec la volonté de
Dieu sur nous, à travers notre fidélité à poursuivre notre chemin dans le
désert.
Le carême ne doit pas être une simple parenthèse
pénitentielle dans nos vies. C’est un
temps où il nous est rappelé que nous sommes un peuple en cheminement dans le
désert. Nous avons été appelés et
envoyés. Accepter l’insécurité radicale
de ce cheminement est le prix à payer si nous voulons atteindre la terre
promise de notre transfiguration au Christ. Avec actions de grâces continuons notre célébration eucharistique, au
cours de laquelle le Christ se donnera à nous comme la nouvelle manne, la
nourriture dont nous avons besoin pour poursuivre notre route.
Armand Veilleux
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