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5 mars 2017 - premier dimanche de
Carême « A »
Homélie
Dieu
a créé l’homme et la femme à son image. Il en a fait des êtres de communion et
a même insufflé en eux son propre souffle, son esprit de communion. Et il leur a fait un don extrêmement
dangereux, celui de la liberté. Depuis lors -- depuis le premier homme et la
première femme jusqu’à nous -- l’être humain est soumis à la tentation,
c’est-à-dire au tiraillement entre l’appel à la communion, qui est un appel à
la plénitude de vie, et la tendance à refuser la communion pour se replier sur
soi.
Ce
repli sur soi, qui est d’abord oubli de l’autre, puis facilement rejet de
l’autre, est à l’origine de tous les égoïsmes, de toutes les tensions entre
personnes et entre communautés ou nations, et de toutes les guerres.
Dans
le beau récit mythique de la création, plein d’une grande révélation sur Dieu
et sur l’homme, que nous trouvons au début du Livre de la Genèse, il y a tout
d’abord un dialogue entre Dieu et sa créature avec qui Dieu veut tout partager.
La première tentation a été celle de refuser ce dialogue, cette altérité, cette
situation où il y avait don et réception de vie et d’amour, dans le fol espoir
de s’identifier à l’autre. « Vous serez comme des dieux », dit le
tentateur. Tentation aussi de préférer
la connaissance à l’amour. « Vous connaîtrez le bien et le mal »,
ajoute le tentateur.
Dès
que la relation d’amour avec Dieu est brisée, toutes les autres formes de
communion en sont affectées. L’homme domine la femme, la compétition entre les
deux frères Caïn et Abel débouche sur le meurtre de l’un par l’autre. Et c’est
le début d’une longue histoire de guerres fratricides, qui n’est pas encore terminée
– nous en avons de nombreux exemples de nos jours.
Lorsque
le Fils de Dieu s’est fait l’un de nous, en assumant notre humanité, il a
assumé toutes nos tentations. C’est ce que les Évangélistes essaient de mettre
en lumière, dans ce récit qu’ils ont placé en tête de l’Évangile, au début de
la vie publique de Jésus.
En
Jésus l’humanité a une deuxième chance. C’est comme une nouvelle création. Le
même Esprit qui avait plané sur le chaos initial au moment de la création pour
y engendrer la vie, et qui avait été insufflé dans le premier homme – ce même
Esprit est descendu sur lui lors de son baptême. Le même Esprit qui avait fait
aux premiers humains le don merveilleux mais terrible de la liberté, met aussi Jésus
face à des choix importants en le conduisant dans la solitude où, comme Adam et
Ève au paradis terrestre, il fera la rencontre du tentateur.
Chaque
fois que l’être humain se retrouve au désert, dans la solitude, il doit faire
le choix entre se replier sur soi dans cette solitude, ou en faire un
instrument de communion. La communion est toujours entre des personnes ayant
chacune leur identité. Plus l’identité
est claire et bien affirmée, plus la communion avec l’autre est possible. C’est
le sens du désert où est plongé Jésus – qui n’est pas un désert géographique
avec un nom, comme le désert de Juda, où prêchait Jean-Baptiste, mais
simplement un désert symbolique, le désert absolu. « Jésus fut conduit par
l’Esprit dans le désert » dit simplement l’Évangéliste.
Dans
ce désert où l’être humain se perçoit lui-même dans son unicité, la tentation
est de se refermer sur soi, de ne rechercher que la satisfaction de ses besoins
et de ses désirs individuels, de tout ramener à soi. C’est l’essence de chacune des tentations à
laquelle est soumis Jésus.
Il
y a tout d’abord la tentation d’utiliser une sorte de pouvoir magique pour
satisfaire sa faim. Chez chacun de nous, il y a cette tendance à vouloir
satisfaire ma faim, mon besoin d’argent, mon besoin de
reconnaissance, ma vanité. Jésus
multipliera les pains un jour, mais ce sera par compassion pour la faim des autres,
pour nourrir les foules. Ce sera un geste de communion et non de repli sur soi.
La
deuxième tentation est celle d’utiliser Dieu comme un magicien pour répondre à
tous mes caprices. « Jette-toi du
haut du temple ; et Dieu enverra ses anges te prendre dans leurs mains
avant que tu ne touches le sol. » Le dieu proposé ici par le tentateur, c’est
le Dieu magicien que nous prions dans beaucoup de nos dévotions plus ou moins
superstitieuses où nous voulons mettre Dieu à notre service plutôt que d’entrer
en véritable communion d’amour avec Lui.
Mais
la tentation la plus profonde, la plus enracinée au coeur de l’être humain, est
celle du pouvoir. Elle consiste à se réfugier dans le désert absolu, la
solitude hautaine de celui qui veut tout mettre – les choses et les hommes – à
son service. Pour avoir ce pouvoir, il suffit de vendre son âme au diable. « Tout
cela m’appartient », dit le démon en montrant à Jésus tout l’univers. Je
te le donne, si tu veux bien m’adorer. Dans
l’exercice du pouvoir – qui est tout autre chose que l’autorité – tous les
autres sont niés comme êtres de relation. Toutes personnes et toutes choses
deviennent des objets permettant d’assouvir la soif de pouvoir qui est la pire
forme d’isolement que puisse connaître l’homme et qui le rend incapable de
véritable communion.
Chacune
de ces tentations, nous les voyons quotidiennement en action, si nous ne sommes
pas aveugles, dans chacune de nos vies personnelles, dans tous les groupes où
nous vivons, que ce soit nos familles ou nos communautés, dans les tensions
politiques au sein de notre pays, comme entre les pays sur la scène
internationale.
Il
ne faut pas espérer que ces tentations disparaissent. Elles font partie de
notre condition d’humains dotés de liberté. Mais Jésus nous a révélé à travers
sa vie d’homme qu’il est possible de les vaincre, qu’il est possible que les
forces de communion et de vie soient plus fortes que l’attrait du repli sur soi
et de la mort.
C’est
en vivant en communion avec Lui, que nous pouvons trouver la force de vaincre
ce penchant vers le néant. L’Eucharistie
que nous célébrons ensemble ce matin est à la fois l’offrande qu’il nous fait
de cette communion et notre acceptation de cette offrande.
Armand VEILLEUX
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