24 mars 2016 – Jeudi Saint

Ex 12, 1...14;  1 Co 11, 23-26; Jn 13, 1-15

 

 

Lavez-vous les pieds les uns aux autres

 

Les deux premières lectures de cette Eucharistie nous décrivaient deux rituels. La première lecture, tirée du Livre de l’Exode, nous décrivait le rituel de la Pâque des Juifs dans l’Ancienne Alliance, et la deuxième lecture tirée de la première Lettre de Paul aux fidèles de Corinthe, leur décrivait le rituel de la célébration du mémorial du Christ tel que Paul l’avait reçu de la tradition.

 

          Mais le lavement des pieds tel que décrit par saint Jean, dans la troisième lecture, ne fut pas un rituel.  Ce fut un véritablement lavement des pieds.  Il était normal, lorsque les convives arrivaient pour un banquet, après avoir marché dans la poussière du chemin, qu’un serviteur de la maison leur lave les pieds.  Ce jour-là Jésus décida de se faire leur serviteur.  Il ne leur versa pas simplement quelques gouttes d’eau tiède sur les pieds pour les essuyer ensuite avec un petit bout de linge. Il enleva sa tunique, se mit un linge autour de la ceinture, versa de l’eau dans un bassin et entreprit de laver les pieds aux convives en bonne et due forme.

 

          Ce lavement des pieds n’était pas un rituel, même si le geste avait une grande valeur symbolique – comme tous les gestes « vrais » entre personnes. C’était un service bien concret dont Jésus dégage ensuite la valeur symbolique.  Il leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car je le suis en vérité.  Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ». En leur disant cela, il n’institue pas un nouveau rituel, il ne les invite pas à faire un geste symbolique de lavement des pieds de temps à autre.  Il les invite plutôt à se faire les serviteurs les uns des autres dans la vie de tous les jours.

 

          Bien sûr, la coutume s’est établie, par la suite, de faire de temps à autre un lavement symbolique des pieds, en mémoire de ce geste de Jésus, comme nous l’avons fait en communauté il y a quelques instants. Mais le vrai sens d’un tel rituel n’est pas d’imiter le geste que Jésus à fait à la dernière Cène, mais de nous souvenir de l’exemple de service qu’il nous a donné non seulement à ce moment-là, mais tout au long de sa vie, et de nous rappeler surtout son commandement de nous faire les serviteurs les uns des autres.

 

          Pour bien comprendre ce geste de Jésus, il faut sans doute se rappeler ce qui s’était passé un peu auparavant.  Au cours des jours ou des semaines précédents, Jésus avait pris deux fois ses disciples en train de discuter pour savoir lequel d’entre eux serait le plus grand dans le royaume de Jésus. -- Lequel serait le premier ministre et lequel serait chef du cabinet. -- Ils n’avaient rien compris.  Et c’était tout juste après que Jésus eût annoncé -- trois fois déjà -- sa passion.  Il leur avait alors donné cette leçon très claire : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous.  Au contraire si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur… Le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir. »

 

          La façon dont saint Jean introduit ce récit est aussi pleine d’enseignements : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Pour Jean, comme pour Jésus, le service est l’expression par excellence de l’amour. Puis au moment d’introduire directement le lavement de pieds Jean écrit : « Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains… » Le Christ ressuscité et glorieux, le jour de l’Ascension, au moment d’envoyer ses disciples en mission leur dira « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ; allez, enseignez toutes les nations ». Mais tout au long de sa vie, il n’a jamais ni réclamé l’exercice du pouvoir, même s’il parlait et agissait avec autorité.  Une fois, cependant, il a réclamé le pouvoir – c’était le pouvoir de pardonner les péchés lorsqu’il a dit au paralytique : « Prends ton grabat et marche » : le pouvoir au service de la libération. 

 

          La vie chrétienne n’est pas faite de rituels. Il y a, bien sûr, au sein de la vie chrétienne des rituels importants, l’Eucharistie étant évidemment le plus important. Mais ces rituels sont là comme des mémoriaux donnant leur sens à la vie de tous les jours, et surtout la mémoire des enseignements de Jésus qu’il faut mettre en pratique.  Mettre ces enseignements en pratique est la chose la plus importante. Si la vie chrétienne se résumait à des activités rituelles elle perdrait non seulement tout son sens mais toute valeur.

 

          En racontant les derniers moments de Jésus avec ses disciples, les trois évangélistes Marc, Matthieu et Luc, ainsi que Paul, ont choisi de nous raconter le repas lui-même – qu’on appelle « la dernière Cène » ; Jean a choisi de nous raconter le lavement des pieds. La leçon est cependant la même dans chaque cas. Et ce n’est pas une leçon théorique mais un appel à l’action.

 

          Tout comme Jésus, après avoir lavé les pieds à ses disciples, a dégagé pour eux la valeur symbolique du geste concret qu’il avait fait, de même demandons-nous constamment quelle est la valeur symbolique de chacun des gestes que nous posons dans la vie de tous les jours.  C’est cela qui nous révèlera si nous sommes vraiment chrétiens.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

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