21 février 2016 – 2ème dimanche de Carême "C"

Gen 15, 5...18; Ph 3, 17-4, 1; Lc 9, 28-36

 

 

Homélie

 

          Lorsque Jésus, dans les moments importants de sa vie, désire rencontrer son Père dans une prière intense, il se retire dans la solitude, et s'en va souvent à la montagne.  L'événement raconté dans l'Évangile d'aujourd'hui est un de ces moments importants.  Jésus est arrivé plus ou moins à la moitié de sa vie publique.  Les débuts de son ministère avaient été marqués par de grands succès : les foules le suivaient avec enthousiasme et espoir.  Graduellement ces mêmes foules l'abandonnent et les chefs du peuple veulent le faire mourir.  Il doit choisir lucidement de ne pas être appelé à répondre aux attentes des foules ; il doit accepter la mort plutôt que des compromis concernant sa mission.  C'est ce qui l'amène alors, une fois de plus, sur la montagne pour y rencontrer son Père dans la prière.

 

          Cette fois-ci, cependant – et cela est important – il n'y va pas seul.  Il prend avec lui trois de ses disciples, ceux avec qui il sait qu'il peut partager ce qu'il vit de plus intime.  Ce seront les mêmes qu'il amènera avec lui au Jardin de Gethsemani au moment de sa Passion.

 

Durant sa prière, Il dit son "Oui" à la volonté de son Père.  Il doit accepter pleinement sa mission, accepter la mort.  C'est alors que, à l'heure où toutes les portes semblent se fermer, où l'avenir se clôt devant lui, où les espoirs humains s'écroulent, il ne lui reste plus que l'espérance toute nue en son Père.  Et sa véritable identité est révélée : «Celui-ci est mon fils bien-aimé". Il est transfiguré.  Toute son humanité est réduite au désir de son Père sur Lui.  Et comme les trois disciples avaient eu le privilège de participer à sa prière, ils sont aussi admis à entendre la révélation de son identité de Fils de Dieu.

 

          Nous avons là déjà quelques-uns des éléments fondamentaux de la vie chrétienne et – plus particulièrement pour nous, moines – de la vie monastique.  C'est une vie de prière dans la solitude, sur la montagne, à l'exemple du Christ et avec Lui.  Mais nous n'y allons pas seuls.  Comme Jésus nous amenons avec nous nos frères ou nos soeurs, ceux qui vivent avec nous et célèbrent avec nous tous les jours la louange divine, et tous ceux et celles que nous portons dans nos cœurs.

 

          De quoi parlaient Jésus et ses hôtes, Moïse et Élie ?  Ils parlaient de sa mort qui allait se réaliser à Jérusalem.  À nous aussi, lorsqu'il nous visite, Dieu parle de la mort – de la mort à nous-même qui est nécessaire pour que nous puissions nous laisser transformer.

 

          Pierre ne comprend pas très bien ce qui se passe et il dit : "Maître, il est heureux que nous soyons ici : dressons donc trois tentes : une pour toi, une pur Moïse et une pour Élie".  Que veulent dire les Évangélistes, lorsqu'ils disent tous, un peu cavalièrement, que Pierre "ne savait pas ce qu'il disait" ?  Je crois que le sens est que Pierre ignorait qu'il ne nous appartient pas de construire une demeure au Seigneur.  C'est Lui qui veut se construire à Lui-même une demeure en nous.

 

          Dans l'événement de la Transfiguration, il y a une révélation non seulement sur la personne de Jésus, mais aussi sur la nature de la vie chrétienne.  Trop souvent nous voulons faire de la foi un simple idéal moral, réduire l'évangile à une simple règle de vie.  En réalité, ce qui importe c'est que nous nous laissions transfigurer, que nous nous laissions transformer à l'image du Christ, et dans tous les éléments de notre vie.  Pour nous comme pour Jésus cela arrivera d'une façon plus radicale et plus signifiante lorsque nous serons confrontés à des moments de crise dans notre vie : par exemple lorsque nous devrons accepter des échecs alors que nous espérions une suite ininterrompue de succès.  Accepter la croix et la souffrance, ou encore l'humiliation, cela peut être pour nous aussi un moment de transformation.  Alors, peut-être aurons-nous des yeux nouveaux, des yeux purs qui nous permettront de voir – de voir Dieu -- et de le voir en tout être humain. 

 

          Chacune des trois lectures de cette messe parle d'une forme de transformation radicale.  La première lecture parlait de la transformation d'Abraham de l'état de colon établi qu'il était déjà à celui de nomade à la recherche d'une terre promise, et de l'état de païen qu'il était encore à celui d'adorateur du vrai Dieu.  Quant à la lettre de Paul aux Philippiens, elle parle de la transformation d'une vie de péché à une vie de vertu.  Toutes ces transformations pourraient fort bien être appelées du nom qu'elles ont dans la tradition chrétienne : elles sont des conversions.

 

          Le carême doit être pour nous non seulement une brève parenthèse pénitentielle, mais bien un temps de conversion authentique et profonde, un temps de transfiguration.  Ce doit être un temps où nous déposons le personnage que nous montrons aux autres, l'image que nous nous sommes construite de nous-mêmes et que nous voulons voir admirée par les autres, pour accepter le défi d'être simplement, devant les autres, qui nous sommes devant le Dieu vivant.

 

          Une telle transformation demandera de longues heures de prière solitaire sur la montagne.  Comme étape de ce processus de transformation, continuons notre célébration de l'Eucharistie durant laquelle nous osons nous approcher de Dieu avec tous nos besoins, afin d'être nourris et confortés par la nourriture et le breuvage de son corps et de son sang, ainsi que par la nourriture de notre fraternité.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

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