|
|
||
|
|||
26 juin 2016 – 13ème dimanche ordinaire
"C"
1 R 19, 16...21; Ga 5, 1...18; Lc 9, 51-62
Abbaye du Bon Conseil, St-Benoît Labre, Québec
H O M É L I E
La montée de Jésus vers Jérusalem est l’un des
grands thèmes de l’Évangile de Luc. À tous
les dimanches, à partir d'aujourd'hui et jusqu'à la fin de l'année liturgique,
nous lirons une longue section de son Évangile racontant cette lente et souvent
dramatique montée.
L'Évangile d'aujourd'hui commence par ces mots : "Comme
s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage
déterminé, prit la route de Jérusalem. » Cette petite phrase, qui
semble une entrée en matière élégante et innocente, est en réalité d'une
intensité à faire frémir, si on la décortique un peu. Il faut dire que les traducteurs, dans
quelque langue que ce soit, ont eu de la difficulté à rendre toute la force
prégnante des expressions employées par Luc. " Comme s’accomplissait le
temps… » dit notre texte. Luc
dit, littéralement, "Comme les jours allaient être accomplis..." Tout comme il avait dit, dans son récit de la
naissance de Jésus, "Comme les temps
étaient accomplis où elle (Marie) devait enfanter..." On est donc arrivé à un moment décisif, à la
fin des temps, à la naissance définitive de Jésus. Et cette naissance définitive, cette fin des
temps, ce sera sa mort. Notre texte dit
: "Comme s’accomplissait le temps où
il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de
Jérusalem. » Cette belle paraphrase traduit assez bien le sens de la
phrase grecque. Mais une traduction
littérale serait beaucoup plus brutale. Il faudrait dire : "Comme le temps
approchait où il allait être éliminé".
Quelle est l'attitude de Jésus face à cette fin brutale de
son ministère, qui déjà se dessine. Non seulement
il en est conscient, mais il la regarde en face, et se dirige résolument vers
le but. « Le visage déterminé (il) prit la route de Jérusalem ». Ici de
même, si l'on traduisait littéralement on dirait : "il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem", ou bien, selon une autre traduction
qui rend assez bien le sens, "il
prit irrévocablement la route de Jérusalem".
La mission de Jésus sur terre s'achèvera dans un échec
retentissant, appelé la Croix. Très tôt
il en est conscient. Cela ne l'empêche
pas d'être totalement fidèle à sa mission, et d'accepter résolument
l'échec. En cela il nous enseigne
beaucoup. Même dans l'ordre purement
naturel, la vie humaine n'est pas normalement une longue suite de succès. Elle est faite, à tous les niveaux, d'une
alternance de réussites et d'échecs. La
personne qui mûrit et grandit, tout au long de sa vie n'est pas celle qui nie
ses échecs, mais celle qui sait les gérer, c'est-à-dire les accepter clairement
pour ce qu'ils sont, en tirer les leçons, mettre un point final à un chapitre,
puis tourner sereinement la page et commencer un autre chapitre. La tentation ne manque jamais, soit de ne pas
reconnaître l'échec pour ce qu'il est et de feindre de le prendre pour un
succès, soit de s'y complaire d'une façon masochiste. L'attitude de Jésus est tout autre : Il a
entreprit un chemin et il ne déviera pas de sa route même s'il sait que
Jérusalem tuera le dernier des prophètes comme elle en a tué bien d'autres.
Il doit, en cours de route, former à la fois la communauté
de disciples qui l'accompagnent et ceux qui se présentent à Lui. Il doit traverser la Samarie. Or, on sait qu'il y avait une grande tension
et de l'animosité entre les Juifs dont la capitale religieuse était Jérusalem
et les Samaritains, dont la capitale religieuse était Samarie. Il envoie ses disciples préparer sa venue
chez les Samaritains, et c'est aussi pour eux un insuccès, car ils ont sans
doute annoncé l'arrivée du grand prophète qui montait vers Jérusalem pour y
être couronné roi-messie ! Ils n'avaient
encore rien compris. Leur mission est un
échec et non seulement ils en blâment les Samaritains, mais ils veulent se
venger d'eux en faisant descendre sur eux le feu du ciel ! – Combien de fois ne
blâmons-nous pas les autres de nos échecs personnels et ne voulons-nous pas les
en punir ?
Sur la route – sans doute dans le pays des Samaritains – se
présentent à Jésus deux personnes qui veulent le suivre et, entre les deux il y
en a une que Jésus invite Lui-même à le suivre. Ces personnes ne sont pas nommées, comme le sont normalement les
disciples que Jésus appelle. Il s'agit
donc de figures types. Il s’agit de chacun de nous, selon les circonstances de
nos vies.
Au premier, qui dit : "Je te suivrai partout où tu iras", Jésus ne répond pas "Bravo, bienvenu dans mon groupe !". Il ne lui pose même pas une seule
question. Il lui trace seulement les
exigences de ce qu'il veut entreprendre ; et il le fait en décrivant simplement
ce qu'il vit lui-même : "Le Fils de Dieu n'a pas où reposer la tête." À l'autre qui lui dit: "Je
te suivrai... mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison",
il répond: "Celui qui met la main à
la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le royaume des cieux..."
Mais il y a l'autre, celui que Jésus appelle Lui-même. Comme dans toutes les autres vocations
semblables, Jésus dit simplement : "Suis-moi". Il ne dit
pas comme font souvent les supérieurs de nos jours : "Tu sais, j'ai pensé que peut-être tu pourrais considérer la possibilité
d'accepter telle responsabilité... peut-être voudras-tu y penser durant
quelques semaines." Jésus dit
tout simplement "Suis-moi";
et le sens de ce "Suis-moi"
est éclairé par tout le contexte de cette montée vers Jérusalem. Il monte vers
Jérusalem pour y mourir.
Chacun de nous a reçu un appel personnel. Notre cheminement sera normalement fait d'un
mélange de réussites et d'échecs, de satisfactions personnelles et de
déceptions. Nous grandirons vers la
plénitude de la Vie à travers ce cheminement, dans la mesure où, comme Jésus,
notre regard et notre visage seront décidément et irrévocablement tournés vers
le but, advienne que pourra.
Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||