14 août 2016 -- 20ème dimanche
"C"
Jer 38,
4...10; Heb 12, 1-4; Luc 12, 49-57
Abbaye de la Clarté-Dieu, Rép. Dém. du Congo
H O M É L I E
« Je suis venu apporter un feu sur la terre... ».
Certains penseront peut-être que ce sont mes confrères qui ont choisi cet
évangile à l’occasion de mon jubilé d’ordination... Eh bien, non!
C’est bien le texte évangélique prévu pour ce vingtième dimanche de l’année.
Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas un texte facile. C’est une noix
plutôt dure; mais une fois qu’on en a cassé
l’enveloppe on y trouve une amande fort savoureuse.
Dans l’antiquité, dans toutes les religions primitives, le
feu était considéré comme quelque chose de sacré. Pour les peuples primitifs,
il y avait un fossé, une séparation radicale, entre ce qui est était considéré comme
le domaine des dieux, et l’espace habité par les humains;
entre le sacré et le profane. Le feu,
qui est une chose si mystérieuse, qui réchauffe et nourrit la vie, mais qui
peut aussi détruire, était considéré comme divin. C’est pourquoi dans les
mythologies anciennes, par exemple dans le mythe grec de Prométhée, un point
tournant de l’histoire humaine fut franchi lorsque Prométhée, l’un des titans, arracha
aux dieux le secret du feu et le donna aux humains.
Nous pouvons garder cela présent à l’esprit lorsque nous
lisons les paroles de Jésus : « Je
suis venu apporter le feu sur la terre... » Il est venu en effet pour
supprimer le fossé entre Dieu et les hommes.
C’était déjà l’enseignement du premier livre de la Bible, le Livre de la
Genèse, et du récit de la création qu’on y trouve. Dans la tradition juive et la tradition
chrétienne, contrairement à ce qu’on trouvait dans les religions païennes, Dieu
a confié aux humains l’ensemble de la création et a fait d’eux les gardiens de celle-ci. Il n’y a donc plus rien qui soit sacré
par nature. Tout est profane. Toute la
création est à la disposition de l’homme. Mais tout peut devenir sacré s’il est
utilisé pour rendre gloire à Dieu.
Jésus est venu précisément pour combler le fossé entre Dieu
et les humains; il est venu combler aussi le fossé
entre les humains. Dans l’ancienne
tradition d’Israël, telle qu’on la trouve dans l’Ancien Testament – tout comme,
d’ailleurs, dans les traditions des autres peuples de l’antiquité -- les liens
familiaux avaient une importance extrême.
Une personne devait tout à sa famille, et ces liens familiaux
s’étendaient aux cercles concentriques de la famille élargie, du clan, de la
tribu, de la nation. En dehors de ces cercles, il n’y avait que des ennemis. Dans un contexte de guerres presque
continuelles, une personne devait aimer les siens et haïr tous les autres. C’était
une condition de survie.
Jésus a voulu combler aussi ce fossé. Il était venu
apporter le salut à tous les hommes et toutes les femmes. Il aimait tout le
monde et voulait que chacun étende sa capacité d’aimer au-delà des limites de sa
famille et de ses proches. Pour Jésus, les liens familiaux demeurent importants; mais ils doivent être subordonnés à quelque
chose d’encore plus élevé : à l’amour de Dieu et à son appel à l’amour
universel. Rien ne peut barrer la route à un tel engagement. Si ton œil est
pour toi une occasion de chute, arrache-le... Si ta
main est une occasion de chute, coupe-la...
Jésus a montré lui-même plus d’une fois qu’il ne voulait pas être emprisonné
par les liens qui l’attachaient aux siens.
« Je vous donne
la paix; je vous donne ma paix... » Cette
paix apportée par Jésus n’est pas la simple absence de conflit et encore moins
une forme romantique de tranquillité.
Des conflits sont inévitables entre les humains. S’ils sont toujours
évités, la paix qui en résulte n’est pas la paix que Jésus est venu apporter.
S’ils sont bien gérés, de la façon dont Pierre et Paul l’ont fait au premier
Concile de Jérusalem, et comme l’ont fait à leur manière les premiers martyres
chrétiens, alors la paix du Christ est établie sur notre terre. Cela est vrai
de l’Église, d’une famille, d’une communauté. Il y a des groupements humains,
des communautés, où tout le monde est toujours souriant, où il n’y a jamais de
conflits, parce toute question pouvant être l’objet de conflit est toujours
soigneusement évitée. C’est alors une
situation semblable à celle de certains échangeurs parfois très complexes sur nos
autoroutes : le danger d’accident est limité;
mais il n’y a plus aucune rencontre. Chacun va droit devant soi en ignorant les
autres.
Jésus est venu apporter le feu sur la terre. Une communauté
chrétienne, que ce soit l’Église universelle, une église diocésaine, une
communauté monastique ou une famille, est une place où il doit y avoir du feu,
parfois même des feux d’artifice. Car le feu apporte la vie et purifie. Demandons à Dieu pour chacun de nous la grâce
d’être fidèles à notre appel à l’Évangile, fidèles à nos principes, fidèles au
Royaume de Dieu, et capables de subordonner tout le reste à cette
fidélité. C’est dans un engagement
radical et honnête comme celui-là que se trouve la source de toute paix ultime.
Armand VEILLEUX