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28 décembre 2014 - Fête de la Sainte Famille
« B »
Gn 15,1-6;21,1-3; Hé
11,8.11-12.17-19; Lc 2,22-40
Homélie
En
ce dimanche de la Sainte Famille, les Évangiles choisis pour chacune des trois
années du cycle liturgique ne nous présentent pas une doctrine mais trois
évènements vécus par la Sainte Famille. Le récit de l’an dernier (année A) était celui de la fuite en Égypte.
Pour les deux autres années (années B et C), nous lisons
deux récits de Luc racontant une montée de Jésus à Jérusalem avec ses parents –
la présentation de Jésus au Temple par ses parents dans un cas, le pèlerinage
de Jésus à Jérusalem avec ses parents, lorsqu’il avait douze ans, dans l’autre
cas.
Luc fait donc venir Jésus deux fois au Temple de Jérusalem
avec ses parents. Chaque fois Il retourne
ensuite à Nazareth où il continue de croître en âge et en sagesse, devant Dieu
et devant les hommes. De sa vie à
Nazareth Luc ne rapporte rien, sinon qu'il était soumis à ses parents.
Ces deux montées au Temple de Jérusalem préparent déjà la
grande montée définitive vers Jérusalem à la fin de la vie de Jésus (Luc 19,
45ss). Il y a beaucoup d'éléments
communs à ces trois "montées". Chaque fois, on vient au Temple par respect pour une prescription de la
Loi. La première fois, pour la
présentation du premier-né, et les deux autres fois pour la célébration
annuelle de la Pâque. Chaque fois il y a
des paroles qui provoquent l'étonnement. Lors de la présentation, "le père et la mère de l'enfant étaient
étonnés de ce que [Siméon] disait de lui"; lors de la deuxième montée,
tous ceux qui entendent le jeune Jésus discuter avec les docteurs de la loi
sont dans l'étonnement et ses parents ne comprennent pas sa réponse lorsqu'il
leur dit qu'il doit être aux choses de son Père; enfin, lors de la dernière
prédication de Jésus au Temple, personne ne le comprend lorsqu'il annonce la
destruction de ce Temple.
De la Sainte Famille on sait peu de choses sinon
qu'elle était pauvre. Joseph était un
simple ouvrier (le mot grec "tektón"
signifiant plutôt un homme à tout faire qu'un menuisier au sens strict). Lorsqu'ils présentent leur fils au Temple, ses
parents présentent non pas l'agneau des riches mais les tourterelles des
pauvres. Et cette pauvre famille
(bienheureux les pauvres, dira Jésus) éclatera rapidement, dans le sens le plus
positif du mot éclater -- comme une fleur éclate en ouvrant ses pétales, pour
s'ouvrir à la grande famille des disciples de Jésus, à la grande famille des
nations.
Avec
Jésus la famille prend en effet un sens tout à fait nouveau. Elle n'est plus, pour chacun des membres qui
lui appartiennent, le cœur du monde, auquel tout doit être rapporté et
rattaché. Elle est éclatée. Elle est le lieu dont on sort pour entrer
dans le monde -- un lieu de passage et d'initiation à l'univers. C'est le glaive qui sépare le cœur de Marie
en deux. Son cœur sera divisé entre le Fils qu'elle perd lorsqu'il lui échappe,
au Temple, à l'âge de douze ans, lorsqu'il la quitte vers l'âge de trente ans,
alors qu'elle est sans doute déjà veuve, et finalement lorsqu'il se fait
crucifier. Ce cœur divisé est tout de
suite re-soudé dans l'amour universel qu'elle partage
avec son fils.
N'y a-t-il pas là un message important pour notre temps,
où alors même que la famille éclate dans un autre sens, plutôt négatif, et
qu'on refuse même souvent de la former -- en même temps, un vent de repliement
sur soi souffle sur les groupements humains à tous les niveaux. Des nations entières, et pas des moins
puissantes, développent à nouveau des attitudes tribales d'agression en même
temps que d'isolement, que l'on croyait appartenir aux millénaires passés. La même chose se produit au niveau des
collectivités ou communautés plus restreintes.
C'est alors qu'entrent en scène dans l’évangile d’aujourd’hui
les deux personnages mystérieux et sympathiques de Siméon et d'Anne. Deux contemplatifs qui ont su intégrer leur
foi et leur espérance personnelles très vives dans la vie religieuse du Peuple
d'Israël. La prophétesse Anne a passé pratiquement toute sa vie au Temple,
servant Dieu nuit et jour dans la prière. Le vieillard Siméon de même a incarné dans sa vie l'attente du Messie
qui était l'attente de tout le Peuple, et il vient donc au Temple poussé par
l'Esprit. Parce qu'ils sont deux
véritables contemplatifs, ils voient ce que personne d'autre autour d'eux ne
voient.
Lorsque Jésus est présenté au Temple par Marie et Joseph,
qui accomplissent les rites coutumiers, Jésus n'est pour toute la foule
présente au Temple qu'un bébé entre d'autres, un premier-né pour le rachat
duquel on offre rituellement deux colombes ou deux tourterelles. Les deux contemplatifs que sont Siméon et
Anne, parce qu'ils ont le regard pur et perçant de personnes libérées de toute
attache et de toute ambition humaines, voient au-delà des apparences. Un sens intérieur, qui n'est autre que
l'Esprit Saint, leur dit qu'ils sont en présence du Messie, du Saint d'Israël,
du Sauveur. Siméon qui ne vivait pour
rien d'autre que pour attendre le Messie, peut donc maintenant partir, non sans
avoir annoncé à Marie un peu de ce qu'impliquera d'exigences douloureuses le
fait d'être la Mère du Messie. Anne,
dont l'attente est également comblée, ne peut s'empêcher de parler de cet
Enfant extraordinaire à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de cela pour nous-mêmes? Tout d'abord
celle que, si nous sommes de véritables contemplatifs, passant notre vie comme
Anne, au Temple, servant Dieu de jour et de nuit dans la prière, nous saurons déchiffrer les signes des temps,
et reconnaître le Christ dans toutes les formes sous lesquelles il voudra bien
venir à nous.
Mais la première leçon est celle que toute famille, que ce
soit la famille nucléaire ordinaire, ou que ce soit une famille monastique
comme celle que nous formons ici à Scourmont, ne peut approfondir sa cohésion
intérieure que si elle est en même temps solidement intégrée dans la grande
communauté ecclésiale et dans la société civile où elle se trouve établie et si
elle sait respecter et intégrer les traditions et les coutumes de l'une et de
l'autre. Elle pourra alors, comme Anne,
parler de façon crédible de l'Enfant à tous ceux qui attendent le Salut.
Armand VEILLEUX
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