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29 mars 2015, Dimanche
des Rameaux
Is 50, 4-7 ; Ph
2,6-11 ; Mc 14,1-15,47
Quel gaspillage !
Réussir sa vie est pour
toute personne une chose importante. Certains sont plus soucieux que d’autres
de percer dans leur milieu de travail ou dans leur environnement social, et, en
tout cas, de développer leurs talents. Or, selon nos normes humaines
d'appréciation, la vie de Jésus a été une vie gaspillée. Tout d'abord trente années
de vie bien ordinaire à Nazareth, dans l'atelier de son père, durant lesquelles
il ne semble avoir rien fait qui ait retenu l'attention de ses concitoyens, si
bien que lorsqu'il commencera à parler en public on dira : « D'où a-t-il appris
tout cela ? N'est-il pas le fils du charpentier ? » Et puis, durant ses trois
années de vie publique, il a eu l'art de se mettre à dos toutes les personnes
influentes du monde religieux, économique et politique. Et cela le conduira à
la mort. Quel gaspillage ! si l'on s'en tient au jugement des hommes
ambitieux de succès et de gloire.
C'est sans doute pourquoi
le récit des derniers jours de sa vie commence par une scène de gaspillage. La
scène se situe à Béthanie, non pas chez ses amis – Marthe, Marie et Lazare –
mais chez un certain Simon le lépreux, qui n'est mentionné nulle part ailleurs
dans l'Évangile. Il s’agit évidemment
d’un nom symbolique. S’il avait été un
vrai lépreux, cet homme n’aurait pas pu recevoir ni Jésus ni d’autres convives
chez lui. Et, évidemment, il aurait demandé à Jésus de le guérir. Ce « Simon le
lépreux » représente symboliquement tous les exclus, tous les malades, tous les
pauvres. C’est vers eux que Jésus vient, pendant que tout le monde monte vers
Jérusalem pour y pratiquer des rites religieux.
Et pendant que Jésus
prend un repas chez ce marginal, une femme entre. Elle n’était pas dans la maison ;
elle n’était donc pas invitée. Elle
entre tout simplement, portant un flacon d'albâtre rempli d'un parfum très pur. Le
nom de cette femme n’est pas mentionné et elle ne dit aucun mot durant toute la
scène. Elle vient pour oindre Jésus de son parfum, en silence. Elle ne se
limite pas à l'oindre avec le bout de ses doigts ni même à lui verser un peu de
parfum sur le corps. Elle brise le flacon d'albâtre – qui a lui-même une grande
valeur -- et lui verse tout le contenu sur la tête dans un geste fou comme
peuvent l'être les gestes d'amour.
Quel gaspillage ! C'est
justement ce que disent alors certaines des personnes présentes. Évidemment,
comme ils le font remarquer, la femme aurait pu en faire tout simplement don à
Jésus qui, n'en ayant vraiment pas besoin, aurait pu vendre ce vase et ce
parfum et donner l'argent aux pauvres, qui sont d'ailleurs ses amis
privilégiés. En défendant la femme contre ces critiques, Jésus indique bien que
ce gaspillage est un symbole de sa propre mort. Quel gâchis, du point de vue
humain ! Mais c'est par ce gâchis que nous avons reçu la vie en plénitude.
Dans
cette onction de la tête de Jésus, on peut voir une allusion à l’onction de
David par Samuel ( 1 Sm 10,1) et donc une reconnaissance de la royauté de Jésus, qui sera proclamée sur
la croix. Les vrais disciples de Jésus,
la communauté idéale de Jésus, représentée par cette femme, acceptent de voir
leur roi en Jésus crucifié. Un amour qui répond à l’amour de Jésus se donnant
totalement sur la croix.
Parmi ceux qui se
scandalisaient de ce « gaspillage », il y avait Juda Iscariote, qui apparaît
dans l'Évangile de Marc pour la première fois depuis la simple mention de son
nom dans la liste des Douze. Juda, quoique appelé par Jésus, a de tout autres
valeurs. Non seulement l'argent a de l'importance pour lui, mais il veut
réussir sa vie. II pensait la réussir en se joignant à ce jeune rabbi ou ce
jeune prophète ; mais dès que le vent tourne, il tourne sa veste et se met
du côté opposé.
La mort de Jésus apparaît
clairement dans tout ce récit de Marc comme le résultat d'un complot bien
orchestré. Par son parti pris pour les plus démunis, les plus faibles, les plus
nécessiteux du peuple, et par son appel à la justice et au respect des droits
de tous, Jésus a déstabilisé l'establishment religieux, politique et économique
de l'Israël d'alors. Ils se sont débarrassés de Lui, même en utilisant la
trahison de l'un des siens.
Parmi les nombreux
enseignements que nous pouvons tirer de ce long récit
il y a celui-ci : Nous sommes tous appelés, si nous voulons être fidèles à son
exemple, à choisir entre les valeurs de pure efficacité matérielle,
d'achèvement personnel, de réussite, d'une part ; et, d'autre part, les
valeurs d'amour, d'amitié, de partage et de détachement. C’est un appel au «
gaspillage » dans le sens où le dit Jésus : « Celui qui perd sa vie pour
moi la trouve » -- en plénitude, dès ici-bas et dans l'éternité.
Armand Veilleux
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