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Solennité de la
Pentecôte 2015
Ac 2,1-11; Ga 5,16-25; Jn 15,26-27;
16,12-15
Homélie
Derrière le récit de Luc que nous
avions comme première lecture se trouve, comme en filigrane, celui de la tour
de Babel. Dans ce récit de l’Ancien
Testament, la construction d’une tour qui avait la prétention d’atteindre le
ciel représentait l’effort du pouvoir politique et militaire des Assyriens d’exercer
son autorité sur toutes les populations du monde connu et de leur imposer
l’uniformité des coutumes et de la langue. Dieu intervient alors pour assurer la diversité des langues. Ce récit
conservait cependant une certaine ambigüité, cette diversité pouvant être
interprétée aussi bien comme un don que comme une punition.
Dans le récit de Luc, par ailleurs, la
diversité apparaît clairement comme une richesse. Ce qui se produit le jour de la Pentecôte, ce
n’est pas un miracle transformant les Apôtres (et tous les disciples présents,
qui sont au nombre de 120 – cf. Actes 1,15) en autant de polyglottes parlant
toutes les langues. Le miracle se
produit plutôt chez les auditeurs. Les
Apôtres parlent leur patois galiléen ; mais tous les entendent, chacun
dans sa langue. Les Juifs présents, qui
sont venus de la diaspora pour célébrer la Pâque à Jérusalem, représentent
toutes les cultures et toutes les races connues à l’époque. Tous entendent le message des Apôtres chacun
dans sa langue.
Déjà dans le récit de la création, au
Livre de la Genèse, l’Esprit – ou le Souffle -- de Dieu engendre la vie à
travers un processus de la diversification. C’est lorsque l’Esprit de Dieu plane sur le chaos initial, que la
lumière se sépare des ténèbres, les eaux de la terre, que la vie animale se
distingue de la vie végétale et qu’apparaît l’être humain, homme et femme.
Quant au passage de l’Évangile de Jean
que nous venons de lire, il comporte deux récits nettement distincts, tirés
tous les deux des discours de Jésus à ses disciples durant la dernière Cène. Dans la première citation, Jésus parle d'un
"Défenseur" (paraclètos, en grec)
qu'il nous enverra d'auprès du Père. Mais il faut bien faire attention au fait que l'Esprit est présenté ici
non pas comme le défenseur des Apôtres – ou le nôtre – mais bien comme le
Défenseur de Jésus lui-même. Il est
l'avocat qui prendra la défense de Jésus dans le Procès qui l'oppose au monde.
La deuxième partie du texte
évangélique que nous avons lu nous décrit un deuxième rôle de l'Esprit de Dieu --
en nous. Cet Esprit, défenseur de Jésus,
est aussi l'Esprit de vérité qui nous conduit à la vérité tout entière. Jésus
ne parle pas ici du témoignage des disciples face au monde mais le témoignage
de l'Esprit-Saint au coeur de la communauté ecclésiale. On ne peut témoigner du Christ que si l'on a
foi en lui. Or, la foi est une relation
personnelle, une connaissance au sens le plus profond et le plus intime de la
parole. Cette relation n'est pas le
résultat de paroles ou d'un enseignement. On aurait beau recevoir cet enseignement, même de la bouche de Jésus
lui-même, il ne produira rien en nous si nous ne sommes pas encore disposés à
le recevoir et à l'assimiler.
"J'aurais encore beaucoup de
choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les
porter", dit Jésus à ses disciples. Le rôle de l'Esprit-Saint sera de les
guider vers la vérité toute entière. Il
les guidera vers Celui qui est la Vérité. Ils devront accepter de Le rencontrer, de faire l'expérience du Christ
tout entier, c'est-à-dire dans l'entièreté de son mystère, comprenant sa mort
aussi bien que sa résurrection. C'est
sans doute ce que veut dire Jésus, lorsqu'il dit à ses disciples : "Vous
aussi, vous rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi depuis le
commencement". Le Christ de qui ils
doivent rendre témoignage, ce n'est pas seulement le Christ ressuscité, mais le
Christ fait homme, le Christ qui a passé en faisant le bien, le Christ qui est
mort et qui est ressuscité.
Tel doit être le témoignage des
Chrétiens dans le monde -- un témoignage qui ne consiste pas simplement à
"enseigner" les vérités de la foi ou à les "défendre", mais
un témoignage de vie qui consiste à "conduire" tous les humains vers
la Vérité toute entière, vers le Christ afin qu'ils en fassent eux-mêmes l’expérience ;
afin qu'ils le rencontrent eux aussi dans une relation personnelle intense.
Dans son Exhortation apostolique Evangelii
gaudium, le pape François cite ce texte de l’Évangile de Jean d’une façon
tout à fait originale. C’est dans le passage où il parle de la dimension
sociale de l’évangélisation et de la nécessité de privilégier les processus de
croissance sur l’accaparement des espaces de pouvoir. S’il y a aujourd’hui
tellement de conflits au sein de la société, tellement de guerres entre les
peuples et même de tensions au sein de l’Église, c’est qu’on a trop voulu
reconfigurer le monde et l’Église par voie d’autorité, en exerçant le pouvoir.
Nous ne pouvions pas encore comprendre... Le temps est maintenant venu de nous laisser
guider vers la Vérité, de faire confiance au dynamisme interne de la vie, d’où nous
tenons notre être propre, de savoir nous insérer avec confiance dans un
dynamisme de croissance dont nous ne connaissons pas toutes les possibilités –
en nous-mêmes, dans la société et dans l’Église.
L’exercice du pouvoir a largement
démontré sa capacité de destruction. L’ouverture
confiante en l’avenir nous réserve des surprises. Laissons-nous conduire par l’Esprit
de Jésus.
Armand
Veilleux
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