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25 décembre 2014 – Messe de Minuit
Is 9, 1-6; Tt 2, 11-14; Lc 2,
1-14
H o m é l i e
Chers
frères et sœurs,
Le
problème des « sans papiers » n’est pas nouveau. Il existait déjà au temps de la naissance de
Jésus. Les Juifs, sous l’occupation
romaine, étaient des réfugiés dans leur propre pays – comme il y en a des
millions de nos jours. C’est ainsi que, pour répondre au caprice de l’occupant,
Marie et Joseph, comme tant d’autres, durent se mettre en route pour aller se
faire mettre en règle.
C’est
précisément avec une brève mention de cet évènement que l’Évangéliste Luc, ouvre
le grandiose chapitre 2 de son Évangile, dans lequel il annonce tous les grands
thèmes de cet Évangile. Il ne s’agit pas, dans ce texte, d’un simple récit de
la naissance de Jésus. De fait, Luc ne fait parler aucun des personnages de son
récit sauf les anges ! Il s’agit d’une prise de position doctrinale. Et
Luc, qui est un excellent écrivain, choisit avec grande attention chacun des
mots qu’il utilise lui-même dans ce récit.
En premier
lieu, Luc fait arriver Marie et Joseph jusqu’à Bethléhem,
la cité de David. La naissance de Jésus n’a pas lieu durant le voyage, mais une
fois qu’ils sont arrivés à Bethléhem – « pendant
qu’ils étaient là », dit le texte. Puis
la traduction que nous avons lue dit : « le temps où elle devait
enfanter fut accompli ». Il serait sans doute plus juste de traduire
littéralement l’original grec et dire : « Les temps furent accomplis
et arriva pour elle le temps d’enfanter ». Ce sont les temps, dans l’absolu,
qui sont accomplis (et non seulement les neuf mois de la gestation de Marie).
Nous sommes arrivés à la fin des temps. Et puis il y a un autre problème de
traduction. Le texte grec ne dit pas qu’elle
mit au monde « son fils premier-né », mais bien qu’elle mit au
monde « le premier-né », le premier-né par excellence, c’est-à-dire
le premier-né du Père éternel.
Et que
fait Marie ? Tout de suite elle nous donne son fils, et elle nous
le donne en nourriture. En effet, dans les paroles qui suivent, Luc annonce
déjà le mystère de l’Eucharistie et de la Passion. Marie dépose son fils dans une mangeoire.
Notons bien que Marie et Joseph sont déjà dans la cité de Bethlehem et que le
texte de l’Évangile ne parle ni d’étable, ni de grotte, et encore moins de boeuf ou d’âne. Dans le langage symbolique de Luc, en
déposant son enfant dans une mangeoire, Marie
nous l’offre
en nourriture, non sans l’avoir entouré de bandelettes, comme on fait pour la
sépulture, ce qui annonce déjà la passion. Car il n’y
avait pas encore de place dans la « chambre haute », c’est-à-dire que
son « heure » n’était pas encore venue. En effet le mot grec utilisé
ici ne signifie pas une auberge. Le mot n’est utilisé que deux fois dans le
Nouveau Testament : ici, et dans le récit de la dernière Cène célébrée où
il désigne la chambre haute où se fait le dernier repas.
Sans aller
plus loin dans l’exégèse de ce passage de l’Évangile de Luc, nous voyons déjà
qu’il ne s’agit pas simplement d’un récit un peu romantique de la naissance d’un
bébé dans une grotte, en pleine nuit. On
y trouve plutôt ici une réflexion théologique très profonde sur le sens de
cette naissance. On comprend alors pourquoi Luc fait intervenir les anges pour
dire aux pasteurs qui gardent leurs troupeaux : « Je vous annonce une
bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple... Aujourd’hui...
vous est né un Sauveur ». Et quel est le signe qu’est arrivé le salut ?
« Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ».
Et le récit se termine avec le chant d’un choeur céleste : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur
la terre aux hommes, qu’il aime ».
Saint Luc
écrit en grec. Pour parler de « paix », il utilise ici le mot eirenè, qui signifie absence de violence, de guerre.
Mais les anges ont certainement chanté dans la langue des bergers ( ! ) et ils ont certainement utilisé le mot shalom, qui est beaucoup plus lourd de sens. Shalom signifie le bien-être des humains entre eux, un bien-être fondé sur la justice
et la vérité et qui s’exprime dans la fraternité et engendre la joie. Cela n’a
rien à voir avec la pax romana, cette
tranquillité résignée qui produit les empires.
Cette paix
qu’annonce les anges, c’est celle dont parlait déjà le prophète Isaïe dans un
langage poétique évocateur que nous avons entendu comme première lecture :
« un enfant nous est né, un fils nous a été donné » ; alors « le
peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière et sur
les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi ».
Et saint
Paul, en penseur profond qu’il est, parle – dans la deuxième lecture -- de la « manifestation
de la grâce de Dieu » -- grâce dans le sens de beauté, de tendresse, de
miséricorde, et qui nous appelle à vivre dans le temps présent de manière « raisonnable »,
c’est-à-dire avec justice et pitié.
Ces trois
lectures nous tracent tout un programme de vie. Noël ne doit pas être un moment de nostalgie qui nous fait oublier la
réalité. La réalité est que, de nos jours comme au temps de Jésus, mais sans
doute dans proportions numériques nettement plus grandes, nombreux sont les sans-papiers,
nombreux sont les réfugiés dans leur propre pays. Le nombre des enfants
réfugiés se compte par dizaines de millions. Nombreux sont les enfants tués par
des hordes barbares, au nom d’idéologies diaboliques. Nombreux sont les enfants
soldats à qui on apprend à tuer à un âge où il faut apprendre à vivre.
Nombreuses sont les victimes des crises économiques et des programmes d’austérité
censés y porter remède. Et pourtant...
Et pourtant, « Je vous annonce une grande joie pour tout le peuple »,
disait l’ange aux bergers. Pour tout
le peuple... Il nous appartient, à
nous, à chacun de nous, de voir ce qu’il nous est possible de faire pour que ce
projet se réalise, pour que tous nos frères et soeurs en humanité soient
rejoints dans leur vie de tous les jours par ce message de paix et de joie.
Nos chants
de Noël, avec toute leur poésie, et parfois leur romantisme, ne seront utiles,
notre contemplation de l’Enfant de la crèche ne sera vraie, que si nous le
chant des anges et l’étoile des bergers nous conduisent vers les éléments les
plus fragiles et les plus marginalisés de notre humanité, et si nous
reconnaissons en eux Celui dont nous célébrons cette nuit la naissance.
Armand Veilleux
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