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14 mai 2015 -- Solennité de l'Ascension,
"B"
Ac 1,1-11; Ep 4, 1-13;
Mc 16,15-20
Homélie
L’Évangéliste Luc est le seul à nous
avoir donné une description de l’Ascension. Les trois autres Évangélistes ne séparent pas le moment de la
résurrection de celui de l’entrée définitive de Jésus dans la gloire du Père. Le
dernier chapitre de l’Évangile de Marc, que nous venons d’entendre, est une
addition postérieure empruntée à Luc.
Bien plus, Luc nous donne deux récits
de l’Ascension, l’un à la fin de son Évangile et l’autre au début du Livre des
Actes des Apôtres. Ces deux récits de
Luc ne sont d’ailleurs pas totalement concordants. Il serait donc futile d’essayer de
reconstituer une description historique des faits, en conjuguant les détails
provenant des deux récits ; car le but de Luc n’est pas de décrire un événement
mais de donner un enseignement spirituel et théologique.
Dans son Évangile, qu’il appelle son
« premier livre », Luc avait décrit la vie de Jésus au milieu de ses
disciples,. Puis il commence son « deuxième
livre », que nous appelons les « Actes des Apôtres » par le
récit que nous avons entendu comme première lecture. Dans son langage
symbolique habituel, il décrit comment une nuée descendit sur le lieu où
les Apôtres se trouvaient et comment Jésus, après leur avoir fait ses dernières
recommandations, disparut dans cette nuée. Ce sera désormais son mode de présence parmi les hommes. Arrêtons-nous
un peu à cette image de la nuée.
L’un des moments clés de l’histoire du
Peuple juif au désert fut celui de la conclusion de l’Alliance. Moïse, laissant
le peuple au pied du mont Sinaï, monta seul sur la montagne, qui fut alors
couverte d’une nuée. La gloire du Seigneur demeura sur la montagne, et la nuée
la couvrit pendant six jours (Exode 24,15). De même, quelques siècles plus
tard, lorsque l’arche d’Alliance fut intronisée dans le temple de Salomon, une
nuée emplit la maison de Yahvé, et la gloire du Seigneur emplissait tout le
lieu ; si bien que les prêtres ne pouvaient pas exercer leurs fonctions
parce que la gloire de Dieu emplissait la maison (1 Rois, 8,10).
La nuée, dans l’Écriture, signifie toujours une présence mystérieuse
de Dieu. On ne peut toucher Dieu, mais
il est là, à la fois révélé et caché. Sa
présence pénètre tout. Tous les admirables récits nous racontant les débuts de
l’Église primitive, que nous avons lus durant nos célébrations liturgiques
depuis Pâques, nous décrivent la vie des premiers Chrétiens sous cette nuée,
protégés et guidés par cette présence de la gloire de Dieu – la gloire du
Christ – habitant cette nuée.
Plus de deux mille ans plus tard, nous
vivons toujours sous cette nuée, qui nous révèle la présence de Dieu, que nous
ne saurions voir encore face à face. Nous vivons dans la période de la foi et
de l’espérance. Nous pourrions dire que
plus cette nuée, qui est aussi le symbole de l’absence, se fait épaisse, voire opprimante,
plus la présence est réelle et efficace.
Le dernier chapitre de l’Évangile de
Marc, emprunté à saint Luc comme je l’ai dit au début, nous rapporte les
dernières paroles de Jésus avant d’entrer dans la nuée. Il parle des signes qui accompagneront ceux
qui croiront en cette présence mystérieuse : « En mon nom ils
chasseront les esprits mauvais, il parleront un langage nouveau, ils prendront
des serpents dans leurs mains et boiront un poison mortel sans en ressentir aucun
mal. Ils procureront du bien aux malades en leur imposant les mains ». Il ne s’agit pas là de miracles, mais
simplement de la protection du Seigneur contre toutes les formes de mal aussi
longtemps que l’on reste sous la protection de cette présence mystérieuse de
cachée.
De nos jours on parle beaucoup de
crises : la crise économique, les crises politiques, la crise sociale, les
crises de l’Église et au sein de l’Église. « Crise » est un nom qu’on donne à la nuée qui couvre notre
monde. Pourquoi ne pas regarder cette
nuée avec des yeux de croyants et y voir une forme de la présence de Dieu en train
de transformer notre monde ? En réalité ce que nous vivons présentement,
aussi bien dans l’Église que dans le monde, n’est pas une crise. C’est un moment de mutation.
Cette nuée semble parfois nous
opprimer. Ainsi en fut-il de la nuée qui
couvrit le Sinaï lorsque Moïse y monta pour rencontrer Dieu. Ainsi en fut-il aussi de la nuée qui emplit
le Temple lors de l’intronisation de l’Arche d’Alliance. Une présence si forte de la gloire de Dieu
que les prêtres ne pouvaient plus y effectuer leur service liturgique (1Rois
8,10). Ainsi en fut-il des persécutions
qui se déchainèrent sur les premiers Chrétiens.
Depuis Vatican II, ceux qui veulent
vivre son message, s’efforcent de « parler au monde un langage
nouveau », comme le fait le Pape François. Ayant fait une option
préférentielle pour les pauvres et les petits du royaume, il leur arrive de
devoir prendre des serpents dans leurs mains et même boire un poison mortel,
comme un Oscar Romero, qui sera canonisé dans quelques jours. D’autres offrent
leurs mains aux malades. On voit parfois la diminution radicale du nombre de
prêtres comme un résultat de la sécularisation et de la déchristianisation,
rendant plus difficiles et plus rares les célébrations liturgiques. Et si c’était le résultat d’une présence plus
forte de la gloire de Dieu en train de recréer le monde et de reconfigurer
son Église ? Pourquoi ne pas privilégier cette vision d’espérance plutôt
qu’une vision de découragement ?
Saint Paul, nous disant dans sa lettre
aux Éphésiens que Jésus est « monté » parce qu’il était d’abord
« descendu », exprime la même idée si merveilleusement reprise dans sa
lettre aux Philippiens. C’est parce que
le Fils de Dieu s’est fait homme, descendant jusqu’aux profondeurs de notre
humanité, qu’il a été exalté par le Père, nous amenant tous avec lui dans ce
mouvement ascendant de retour au Père.
Lorsque la nuée a plané sur les eaux,
au premier jour de la création, elle y a déclenché la naissance de la vie. Lorsqu’elle a plané sur Marie elle a fait
descendre en son humanité et la nôtre la plénitude de la divinité. N’ayons pas peur de toutes les nuées qui nous
couvrent, même lorsqu’elles semblent nous opprimer. Non seulement Dieu y est présent ; mais
l’un d’entre nous, le Dieu fait homme, y a pénétré, nous montrant le chemin et
nous y attendant.
Armand
VEILLEUX
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