13 avril 2014, Dimanche des Rameaux

Is 50, 4-7 ; Ph 2,6-11 ; Mt 26, 14 – 27, 66

 

 

Homélie

 

Le Fils de l’homme s’en va, dit Jésus ; mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré !  Cette juxtaposition des deux expressions (l’homme et le Fils de l’homme) est frappante. L’expression « fils de l’homme » revient 70 fois dans les Évangiles, et toujours sur les lèvres de Jésus. Parfois c’est sa façon de se désigner Lui-même. D’autre fois il l’utilise dans le sens qu’elle avait dans l’Ancien Testament, où elle désignait tout simplement l’être humain. Un « fils d’homme » c’est tout simplement un « homme ». Mais souvent, dans la bouche de Jésus, les deux sens sont en quelque sorte combinés. Jésus s’appelle le « Fils de l’homme », parce qu’en lui l’humanité a réalisé pleinement ce à quoi elle était appelée, l’être humain ayant été créé à l’image de Dieu.

 

En conséquence, lorsque Jésus dit « malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré », il déclare malheureux quiconque livre un de ses frères, quiconque méprise ou bafoue l’humanité en l’un de ses frères. Il est plutôt rare que les hommes veulent vraiment faire du mal à l’autre. Lorsqu’ils le font, c’est en général par égoïsme, par recherche de gain personnel, ou tout simplement par lâcheté.

 

Judas n’avait rien contre Jésus. Il n’aurait pas voulu le trahir, mais il voulait de l’argent et le trahir était un moyen de se procurer l’argent.  C’est d’ailleurs uniquement dans l’Évangile de Matthieu que c’est Judas lui-même qui demande de l’argent pour livrer Jésus. Il dit aux chefs des prêtres : « Que voulez-vous me donner si je vous le livre ? ». Il regrettera d’ailleurs cette lâcheté au point d’aller se pendre.

 

Pilate était gouverneur de Galilée.  Son pouvoir n’était pas très grand, mais au sein de l’Empire romain, c’était une position somme toute enviable, que quiconque l’avait obtenue ne voulait pas perdre.  Il n’était pas arrivé à cette situation sans une certaine intelligence.  Il connaissait assez bien le peuple qu’il devait administrer.  Surtout, il connaissait la classe dirigeante, composée des prêtres, des sénateurs (le sanhédrin) et des lettrés (ou « docteurs de la Loi »).  Il savait qu’il s’agissait d’un groupe d’opportunistes, imbus de leur pouvoir, jaloux de leurs privilèges et impitoyables envers quiconque s’opposait à eux.  Il ne se laissait aucunement tromper par les motifs qu’ils avançaient pour faire mettre Jésus à mort.  Il le savait innocent ; et le rêve (ou le cauchemar) qu’avait eu sa femme durant la nuit précédente, venait le convaincre à nouveau que Jésus était innocent.

 

Si Jésus est innocent, il conviendrait de le relâcher et d’empêcher les chefs du peuple de lui nuire, ou en tout cas de le mettre à mort, ce que la loi romaine ne leur permet pas de faire eux-mêmes.  C’est ce qu’il conviendrait de faire ! Oui, mais voilà ! Ces chefs du peuple, que Pilate méprise souverainement, peuvent lui faire du tort.  Il suffirait qu’ils fassent parvenir à l’Empereur César un rapport défavorable à son sujet, et il pourrait perdre son poste.  Alors, bien qu’il ne se résigne pas à condamner Jésus à mort, il le livre aux chefs du peuple pour qu’ils le mettent à mort eux-même avec l’aide des soldats romains.  Un compromis qui semble acceptable à sa conscience et qui évite que sa fonction et ses privilèges ne soient mis en danger.  Alors, dans un geste solennel, il se lave les mains.  Geste souvent répété depuis. Depuis tout le temps que l’humanité se lave les mains, n’est-il pas surprenant qu’elle les ait encore aussi sales ! 

 

La première lecture, tirée du Livre d’Isaïe, nous présentait l’image du Serviteur de Yahvé, du juste victime de la violence et de l’oppression injuste.  Jésus, dans sa Passion, non seulement est la réalisation de cette prophétie, mais il incarne et représente tous les justes de tous les temps, victimes de l’ambition, de la jalousie, de la convoitise ou simplement de lâcheté.  Sa mort est la prophétie de la mort de toutes les victimes innocentes des guerres et des oppressions de toutes sortes.  Et Pilate incarne dans sa faiblesse et ses calculs égoïstes tous ceux qui, au long des âges, ne cessent de se laver les mains devant les injustices qu’ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître comme telles, mais qu’il serait trop dérangeant pour eux de dénoncer.

 

Il suffit d’ouvrir un journal quotidien pour être confrontés à des situations structurelles et systémiques d’injustice, soit près de nous, soit un peu partout autour du globe.  Comme Pilate, le reste de l’humanité s’en lave les mains.  Nous nous en lavons les mains, quotidiennement, en refermant le journal.

 

Ce péché est, finalement le même que celui de Judas. Il est d’une gravité extrême, car il est une faute contre la vie, contre l’humanité destinée à la plénitude de vie.  Ce qu’en dit Jésus, en toute sérénité, au début du récit évangélique que nous venons de lire, a de quoi nous faire trembler jusqu’au fond de notre être. 

 

Le Fils de l’homme s’en va, dit Jésus ; mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré !  L’homme qui s’attaque à cette plénitude, qui la rejette, qui accepte de détruire la vie, ou de payer pour que d’autres la détruise, ou qui accepte simplement de ne rien dire quand d’autres le font, cet homme – et ce pourrait être chacun de nous, lorsque nous nous lavons les mains – cet homme, dit Jésus, il vaudrait mieux qu’il ne soit pas né !  Non pas parce qu’il sera « puni » pour ce qu’il aura fait ; mais simplement pour avoir choisi la mort au lieu de la plénitude de vie à laquelle l’humanité est destinée.

 

          Méditer, tout au long de cette semaine, le prix payé par Jésus pour sauver notre humanité nous aidera à comprendre le prix qu’elle a à ses yeux et qu’elle devrait donc avoir à nos propres yeux – qu’ils s’agisse de notre propre humanité ou de celle de chacun de nos frères et de nos soeurs en humanité.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

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