16 avril 2014 – Jeudi Saint

Ex 12, 1...14;  1 Co 11, 23-26; Jn 13, 1-15

 

 

H o m é l i e

 

            « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »

 

          Cette première phrase de l’Évangile que nous venons d’entendre introduit non seulement le récit de la dernière Cène mais l’ensemble des chapitres de l’Evangile de Jean qui nous racontent la passion et la mort de Jésus, jusqu’à sa mise au tombeau.

 

          Mais qui Jean désigne-t-il par l’expression « les siens qui étaient dans le monde » ? Parle-t-il d’un groupe choisi d’amis ? On sait que Jésus avait une relation d’amitié plus étroite avec certaines personnes. Dans l’Évangile du 5ème dimanche de Carême nous avons entendu le récit de la résurrection de Lazare, où il nous était dit à quel point Jésus aimait Marie, Marthe et Lazare. Et, dans le long discours à ses disciples, à la dernière Cène, dont nous venons d’entendre seulement le début, Jésus leur dit qu’il ne les appelle plus ses serviteurs, mais ses « amis ». Est-ce de ces amis intimes dont parle Jean lorsqu’il dit « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde » ? – Non.

 

          On sait comment Jean, qui est un grand mystique, aime souligner les aspects apparemment opposés mais complémentaires des mêmes réalités.  Pour lui, le monde est à la fois le monde que Dieu aime et auquel il a envoyé son Fils et le monde qui a rejeté son Fils.  Jésus a d’ailleurs dit à ses disciples qu’ils devaient être dans le monde et au service du monde, mais pas du monde. 

 

          L’Évangile de Jean commence par l’affirmation que le Verbe s’est fait chair, qu’il est venu chez les siens et que les siens ne l’ont pas reçu.  Et ce même Évangile se termine maintenant par l’affirmation que Jésus, au moment de passer de ce monde à son Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.  Les siens qu’il aima jusqu’au bout sont précisément ceux qui ne l’ont pas reçu, tout autant que ceux qui l’ont reçu.  Cela est symbolisé par le fait que, parmi les disciples privilégiés avec qui il célèbre ce repas d’adieu, il y a non seulement les onze qui lui sont – ou en tout cas voudraient lui être – fidèles, mais il y a aussi celui qui le trahira.  C’est à eux tous que Jésus lave les pieds et ce sont eux tous qu’il reçoit à sa table.

 

          Nous avons déjà là la révélation de l’aspect le plus profondément nouveau, le plus dérangeant de l’amour chrétien.  C’est un amour qui s’étend – qui doit s’étendre – même aux ennemis ; sinon il n’est pas chrétien et n’est pas réel.

 

          Dans nos célébrations liturgiques, tout comme dans notre vie, nous tendons à donner une grande importance à des gestes symboliques, essayant même de découvrir ou d’inventer de nouveaux symboles lorsque ceux qui sont traditionnels ne parlent plus.  Or, Jésus, dans l’Évangile, ne fait jamais de gestes symboliques.  Il fait cependant constamment des gestes réels et concrets qui ont une immense force symbolique.  La mort de Jésus n’a pas été un sacrifice rituel ; Il a été tout simplement assassiné.  La dernière Cène n’a pas été un geste rituel.  Ce fut un réel repas d’adieu.  Le lavement des pieds n’a pas été pour Jésus un symbole.  Se laver ou se faire laver les pieds par un serviteur avant de s’approcher de la table d’un banquet était, dans la Palestine du temps de Jésus, un geste concret nécessaire lorsqu’on venait de marcher dans la poussière ou dans la boue. Mais ce service bien concret acquit, à la dernière Cène une énorme force symbolique. 

 

          Pour Jésus, il n’y a pas de classes dans la communauté de ses disciples ; il n’y a pas de supérieurs et d’inférieurs.  Il y a simplement une variété de services. D’ailleurs il n’est pas dit dans quel ordre Jésus lave les pieds de ses disciples. Pierre, à qui il a donné une mission spéciale, ne semble pas être le premier à qui Jésus lave les pieds, puisque le texte dit : « Lorsqu’il arrive à Pierre... » Lorsque Jésus, qui remplit le service de Maître, se défait de son manteau, se ceint d’un tablier et se penche devant les pieds de ses disciples pour les laver ; et lorsqu’il leur dit « vous aussi, faites de même », il leur apprend que quiconque remplit un service à l’égard de ses frères, doit être disposé à se mettre les mains dans la poussière et la boue de la vie quotidienne dans laquelle nous marchons tous.  La supériorité n’est pas dans le titre ou la fonction, mais dans le service.  Dans cet Évangile Jésus nous appelle, chacun de nous, à nous mettre au service de tous nos frères et soeurs, c’est-à-dire de tous les humains.

 

*   *   *

 

          Le Livre de l’Ancien Testament qui s’appelle le Deutéronome se termine par le récit de la mort de Moïse, tout juste avant l’entrée du peuple d’Israël dans la terre promise, où Moïse lui-même, d’ailleurs, n’entrera pas.  Avant de mourir, Moïse récite un long cantique d’action de grâce et prononce une longue bénédiction sur les douze tribus.  Avant cela il rédige tout le texte de la Loi qui sera déposé auprès de l’Arche d’Alliance du Seigneur, qui accompagnera le peuple dans la terre promise.  Et le texte dit que Moïse rédigea ces articles de la Loi « jusqu’au bout », ou « jusqu’à la fin ».

 

          Or, le récit du dernier repas pris par Jésus avec ses disciples, dans l’Évangile de Jean, s’inspire visiblement sur plusieurs points de ce récit des derniers moments de Moïse. On peut donc certainement mettre en parallèle ce texte où il est dit que Moïse rédigea les articles de la Loi « jusqu’au bout », avec la première phrase du texte de saint Jean que nous venons d’entendre : « sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens... les aima jusqu’au bout. »  Cet amour jusqu’au bout sera la nouvelle Loi, que Jésus substituera à l’ancienne.

 

          C’est cette Loi nouvelle qu’il nous demande de mettre en pratique lorsqu’il nous dit : « C’est un exemple que vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » et encore lorsqu’il nous dit : « Faites ceci en mémoire de moi ».

 

Armand Veilleux

 

 

Autres homélies pour la même solennité

2013 :
français

2012 :
français

2011 :
français

2010 :
français

2009 :
français

2008 :
français

2007 :
français

2006 :
français  /  italiano

2004 :
français

2003 :
français  /  italiano

2002 :
français

2001 :
français  /  italiano

2000 :
français  /  italiano

1999 :
français  /  portugais

 

 

www.scourmont.be