1 Jean 3, 14. 16-20 ; Matthieu 25, 31-40

Abbaye de Scourmont, 19 décembre 2013

 

 

Homélie pour les Funérailles de 

Max Delespesse

 

 

          Il y a une cinquantaine année, quand j’étais jeune abbé dans un monastère canadien, et fasciné par la dimension communautaire de la vie chrétienne, je découvris la revue Courrier Communautaire International, fondée en 1966 par Max Delespesse, et j’en fus sans doute l’un des premiers abonnés. Je découvris aussi le livre de Max. publié en 1968, intitulé Cette communauté qu’on appelle Église, qui me marqua profondément.  Un peu plus tard j’appris que Max et Linette donnaient des conférences au Québec et je les invitai à venir parler à ma communauté monastique de Mistassini. Ce fut le début d’une longue amitié qui dure jusqu’à aujourd’hui.

 

          Au cours des quinze dernières années, Max fit de nombreux séjours ici, à l’abbaye de Scourmont. -- Scourmont, comme il aimait me le redire, devint graduellement son principal sinon son seul point d’attache avec l’institution ecclésiale.  Il n’est donc pas surprenant qu’il ait demandé d’être enterré dans le cimetière de l’abbaye, ce que nous avons accepté sans hésitation.

 

          Max a eu une vie très pleine, avec un tournant important à mi-chemin, mais allant toujours dans la même direction, servant toujours le même Christ dans ses frères, sous des modalités différentes. 

 

          Devenu prêtre du diocèse de Tournai dans les années ’50, il fut très actif dans le renouveau biblique et liturgique, bien avant le Concile. Il fonda en 1957 la revue Feu nouveau, toujours largement utilisée par les prêtres et les agents pastoraux pour la préparation des célébrations liturgiques. Dans les années qui suivirent le Concile, il fut très impliqué dans le mouvement communautaire au sein de la Société et de l’Église. Divers soubresauts que connut l’Institution ecclésiale à cette époque et qui l’affectèrent, l’amenèrent à demander et à obtenir de Rome d’être dispensé de l’exercice de son ministère sacerdotal.

 

          Commença alors une deuxième période de sa vie, où avec son épouse Linette, il consacra une énergie énorme à unir les bonnes volontés de la région de Charleroi dans la mise sur pieds de toute une série de services sociaux destinés à répondre aux besoins humains fondamentaux et aussi culturels de la population locale, surtout des plus défavorisés de notre système. Les critiques sévères que ne cesse de faire le pape François à l’égard d’un type d’économie où toutes les valeurs humaines sont subordonnées au primat de l’argent, ces critiques, Max n’a cessé de les faire au cours des 25 ou 30 dernières années. Et non seulement il a émis ces critiques mais il a aussi mis sur pied des moyens de corriger cette situation.

 

          Dans chacune de ces deux périodes de sa vie, Max a été guidé par le même enseignement de Jésus-Christ, et en particulier par l’enseignement qu’on trouve dans l’Évangile que nous venons d’entendre. Ce récit commence par les mots : «Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire... il siégera su son trône de gloire.  Toutes les nations seront rassemblées devant lui.» Pour n’importe quel Juif qui écoutait Jésus, l’expression « toutes les nations » ne pouvait signifier qu’une seule chose : l’ensemble des nations païennes, tout le monde non juif, tous ceux qui n’ont pas entendu parler de Yahvé et n’ont pas été atteints par son message.

 

          Les membres de cees nations, selon l’enseignement de Jésus, se seront répartis d’eux-mêmes en deux groupes, que le Fils de l’homme n’aura qu’à placer l’un à sa droite l’autre à sa gauche.  On ne leur demandera pas s’ils ont eu des expériences mystiques, s’ils ont eu une vie privée vertueuse, s’ils ont suivi l’une des grandes religions dans lesquels les hommes de tous temps ont exprimé leur recherche de l’absolu.  Ce qui les séparera radicalement en deux groupes sera tout simplement leur attitude à l’égard de l’humanité.  Ce sera la façon dont ils auront traité leurs frères et leurs soeurs.  Ce sera surtout la façon dont ils se seront conduits à l’égard de ceux avec qui Jésus a voulu s’identifier de façon particulière : ceux qui ont faim et soif, les étrangers, ceux qui sont malades, sans vêtements, sans logis, prisonniers de toutes sortes de préjugés et d’exclusions de la part des riches et des puissants.  Jésus se fera alors connaître aux deux groupes de nations, et leur révélera qu’il était lui-même incarné dans ceux qu’on a abandonnés comme dans ceux qu’on a servis.

 

          Max était conscient que toute personne qui se consacre au bien-être de son frère, quelles que soient ses convictions philosophiques ou religieuses sert le Christ dans ses frères, qu’il en soit conscient ou non. C’était là le fondement de sa grande largeur d’esprit.

 

          Il y avait aussi chez Max une certaine angoisse existentielle. Son intelligence voulait tout comprendre. Son esprit avait des problèmes avec certaines affirmations dogmatiques. Mais il savait faire la distinction entre son esprit et son coeur. Et, dans son coeur, sa foi en Jésus-Christ fut toujours intacte et de plus en plus vive. J’ai eu la grâce d’être son confident ces dernières années, et je sais qu’il vivait souvent dans une présence tout en fait envahissante de la Présence de Dieu dans sa vie.

 

          Au cours de cette Eucharistie, nous allons prier pour Max, convaincus que Dieu l’a déjà introduit dans sa lumière. Nous rendrons aussi grâce à Dieu pour tout ce qu’Il a fait pour son Peuple et pour son Église à travers la vie de Max.  Et, bien sûr, nous prierons Dieu d’être Lui-même le Consolateur et le Soutien de Linette son épouse depuis plus de 35 ans, d’Andrée, leur fille, et de tous ses amis.

 

Armand VEILLEUX 

 

 

 

 

 

 

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