1 janvier 2014

Solennité de Marie, Mère de Dieu

Nb 6,22-27; Ga 4,4-7; Lc 2,16-21

 

H o m é l i e

          À Noël, à la messe du jour, nous avons lu le superbe prologue de l’Évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe, la Parole... Et la Parole s’est faite chair, et elle a habité parmi nous ». Les deux premiers chapitres de l’Évangile de Luc sont aussi une sorte de « prologue », et au coeur de ce prologue, et tout spécialement du passage que nous venons d’entendre, se trouve aussi la « Parole ». La différence est que Jean utilise le mot logos, emprunté à la philosophie grecque, alors que Luc utilise le mot plus usuel de rèma, qui, en grec, signifie toujours « parole », même si plusieurs traductions modernes (y compris celle du missel) le traduisent souvent par « événement », parce que le mot « parole » dans les langues sémitiques est parfois utilisé pour désigner une parole accomplie, donc un événement. Relisons notre texte, en laissant aux mots leur sens premier.

          Par le passage d’Évangile que nous venons de lire, nous sommes ramenés à la nuit de Noël.  Il y avait dans la montagne des bergers qui paissaient leurs troupeaux.  Un ange leur apparaît et il leur parle. Il s’agit déjà de « paroles ». Il leur annonce une grande joie : il leur est né un Sauveur dans la ville de David. C’est « leur » sauveur.  L’ange dit bien : « un sauveur vous est né ». Un signe leur est donné : ils trouveront un nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire. Dès que cette parole est donnée, une armée d’ange apparaît, qui chantent les louanges de Dieu.

          Comment les bergers réagissent-ils à cette parole ?  Ils parlent entre eux. Ils disent : « Allons jusqu’à Bethlehem pour voir ce qui est arrivé» -- traduit littéralement : « allons voir cette parole ». Luc est seul à identifier « Bethlehem » avec la « cité de David ».  Il faut probablement voir un lien symbolique entre le nom de « Bethlehem » qui signifie la « maison du pain » et la mangeoire dans laquelle Marie a déposé Jésus, pour nous l’offrir symboliquement en nourriture spirituelle.

          Les bergers viennent donc à Bethlehem et y découvrent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire (un nouveau-né qui n’a pas encore de nom). Ils prennent alors la parole et racontent ce que l’ange leur avait dit. Tout comme eux-mêmes avaient été saisis d’une grande crainte à l’arrivée de l’ange dans la nuit de Noël, de même les personnes à qui ils rapportent ces paroles sont saisies d’un grand étonnement. Et tout comme la multitude des anges était venue dans la montagne chanter les louanges de Dieu, les bergers repartent en louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu.

          L’attitude de Marie à l’égard de la Parole est différente. Lorsque l’ange lui avait annoncé qu’elle mettrait au monde le Fils de Dieu, elle avait répondu : « Qu’il me soit fait selon ta parole. » Cette parole s’était faite chair en elle. Maintenant qu’elle a déposé dans une mangeoire cette parole incarnée, et qu’elle entend toutes ces paroles au sujet de son fils, que fait-elle ? Elle ne dit rien. Elle reste silencieuse, et, nous dit Luc, elle retient toutes ces paroles dans son coeur et les médite.

          Nous sommes ici en présence d’une solitude d’une profondeur inouïe.  Alors que Dieu se faisait Homme pour sauver toute l’humanité, Marie a été absolument, tragiquement seule à l’accueillir, au nom de tous, en prononçant son « Oui ».  À partir du moment où Jésus est né, c’est Lui qui est au coeur de l’histoire et de l’attention.  Dans la visite des bergers, dont nous venons de lire la description, ces derniers trouvent bien Marie et Joseph, lequel partage un peu la solitude de Marie, mais c’est l’enfant que les bergers viennent voir, et c’est de l’enfant qu’ils vont parler à tout le monde, lorsqu’ils repartent, laissant Marie à sa solitude. Marie reste cachée, avec sa solitude et un secret incommunicable.  Elle vit des événements qui la dépassent infiniment ; et il n’y a personne avec qui elle peut en parler ; pas même Joseph.  Elle ne peut que retenir et méditer ces événements dans son coeur. 

          Marie vivra cette solitude née de sa mission unique tout au long de sa vie.  Elle en fera l’expérience lors de la présentation de son Fils au Temple ; de nouveau, au même Temple, douze ans plus tard ; de nouveau encore lorsque Jésus quittera la maison vers l’âge de trente ans pour une mission incompréhensible.  Elle la connaîtra encore, cette solitude, au pied du Calvaire, et de nouveau, après la mort de son Fils, au coeur de la communauté des croyants qui se constitueront en Église.  Toujours, elle porte toutes ces paroles dans son coeur, les repassant et les méditant.

          Au coeur de notre vie chrétienne – et plus particulièrement, pour nous moines, au coeur de notre vie monastique, se trouve la Parole : la Parole que nous lisons chaque jour, que nous entendons proclamer dans la liturgie, sur laquelle nous méditions dans la solitude, mais aussi et surtout la Parole constamment prononcée en chacune de nos coeurs et qui nous donne à chacun notre nom.

          Comme Marie, nous ne pouvons assumer cette Parole que dans la solitude. La solitude de Marie donne un sens et un éclairage à notre propre solitude. Je ne parle pas de cet « isolement » que nous pouvons fabriquer nous-mêmes, ou dans lequel des événements malheureux peuvent nous retenir. Je parle de la solitude dans laquelle se vit notre face à face avec Dieu tout au long de nos vies.  Cette solitude est faite de tous les instants où nous avons à choisir entre un « oui » et un « non », et où nous sommes absolument seuls à pouvoir et à devoir faire ce choix. Tous les instants où nous recevons une « mission » -- qui peut n’avoir rien de brillant et rien de glorieux mais quelque chose que nous devons assumer pour être vrais avec nous-mêmes.

          Marie, Mère de Dieu, est la mère de toutes nos solitudes.  Elle a engendré son Fils et nous a engendrés dans la sienne. Puisse-t-elle faire de nos solitudes une matrice d’où jaillisse sans cesse la vie. C’est uniquement au coeur de cette solitude, de cette solitude habitée, que nous pouvons entendre en nous la voie de l’Esprit nous permettant d’appeler Dieu notre Père – « Abba ».

          Et huit jours après la naissance de Jésus, de nouveau une parole se fera entendre : cette parole c’est le nom qui est prononcé sur lui, le nom qui lui est donné, et qui lui avait été destiné avant sa conception dans le sein de Marie.    

          Cher frères et soeurs, mettons notre confiance dans la Parole de Dieu le Père qui nous a appelés à être ses enfants. Mettons aussi notre confiance dans le nom propre qu’il nous a donné à chacun et chacune d’entre nous.  Faisons comme Marie qui ruminait toutes ces paroles dans son coeur, et faisons aussi comme les bergers, glorifiant et louant les merveilles de Dieu dans nos vies comme dans la vie de son Peuple.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

Autres homélies pour la même solennité

2013 - français

2012 - français

2011 - français

2010 - français

2009 - français

2008 - français

2007 - français / español

2006 - français / italiano


2005 - français / italiano


2004 - français / italiano


2003 - français


2002 - français / italiano


2001 - français


2000 - français / italiano


1999 - français / español

 

 

 

www.scourmont.be