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29 septembre 2013 – 26ème dimanche « C »
Am 6,
1...7 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
Homélie
Au sud de l’Italie, dans
la Méditerranée, entre la Tunisie et l’Italie, se trouve une petite île
appartenant à l’Italie, portant le nom de Lampedusa. Depuis une dizaine d’année,
cette île, à la périphérie sud de l’Europe, est le théâtre du débarquement de
milliers de pauvres, quittant leurs pays au risque de leur vie. Ils voudraient apaiser
leur faim en mangeant les graines tombant de la table de l’Europe ; et on
les leur refuse.
C’est vers ces marginaux,
en marge de la société, à la périphérie de l’Europe, que le Pape François a
fait l’un de ses premiers voyages hors du Vatican. Et, il y a à peine une
semaine, il visitait une autre île italienne, la Sardaigne, qui connaît l’un
des taux les plus élevés de chômage en Europe. Aux deux endroits, François, ému
par ce qu’il voyait et entendait et laissant de côté les discours préparés, a
prononcé ses discours les plus forts et les plus clairs contre l’idolâtrie de l’argent
et le caractère proprement inique et pervers du système économique mondial
actuel.
On pourrait dire que ce
qui se passe aujourd’hui à Lampedusa, comme partout où les portes sont fermées
à l’étranger, est la répétition de ce que décrit la parabole de l’Évangile que
nous venons de lire.
À vrai dire, cette
parabole est étrange. Dieu n’y est même pas mentionné, alors que d’habitude,
dans ses paraboles, Jésus veut nous apprendre qui est son Père et qu’elle est
son attitude à notre égard.
Considérons un peu les
personnages de cette parabole. Il y a un riche et un pauvre. Il n’est pas dit
s’il s’agissait d’un bon ou d’un mauvais riche et d’un bon ou mauvais
pauvre. Non. Tout simplement l’Évangile nous parle d’un
riche bien habillé qui prend des festins somptueux, et d’un pauvre couvert de
plaies qui n’a rien à manger.
Le pauvre aurait bien voulu manger les miettes qui
tombaient de la table du riche, mais il n’est pas dit qu’il l’ait demandé ni
qu’on les lui ait refusées. Ces deux
hommes vivent tout simplement l’un à côté de l’autre et s’ignorent, sans
méchanceté et sans jalousie. La seule
note d’intimité est dans le chien qui vient lécher les plaies du pauvre ! Rien n’est mentionné de l’attitude
religieuse, soit du riche soit du pauvre.
Le riche n’a pas de
nom. Il représente tous ceux qui se sont
laissé aliéner par leur avoir. Il
n’était pas méchant, mais tout simplement inconscient, tout au long de sa
vie. Le pauvre a un nom, dont
l’étymologie est ‘el ‘Azar et qui veut
dire « Dieu secourt ». Ce qui
est sans doute un peu ironique puisque Dieu ne l’a guère secouru ici-bas.
À sa mort, le pauvre, qui gisait par terre, est
emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Il n’est pas question de ciel,
puisque Jésus, parlant aux Pharisiens, utilise leurs catégories. Lorsque meurt
le riche, qui reposait durant sa vie sur des divans élevés, il est tout
simplement enterré. Il s’est à tel point lié aux réalités d’ici-bas, qu’il y
reste enchaîné après sa mort. Il souffre maintenant terriblement et, comme il a
bon coeur, il voudrait épargner le même sort à ses frères, et voudrait
qu’Abraham leur envoie Lazare pour les sortir de leur torpeur. C’est alors qu’Abraham répond : « C’est
inutile. Ils sont inconscients. Ils ont Moïse, c’est-à-dire la Loi et les
prophètes. S’ils ne les écoutent pas il
n’écouteraient pas non plus quelqu’un qui ressusciterait des morts ».
Les personnages les plus
importants de cette parabole, ce sont les cinq frères de l’homme riche, dont il
est dit : « Ils ont Moïse et les prophètes ». Et ces cinq frères encore ici-bas, ce sont
nous tous, qui avons non seulement Moïse et les Prophètes, mais aussi le
Message de Jésus et son Évangile.
S’il y en a sans doute bien peu d’entre nous qui
vivent dans un faste semblable à celui du riche de la parabole, il y en a sans
doute bien peu également qui vivent dans une misère semblable à celle de
Lazare. Mais il reste que, de nos jours
comme au temps de Jésus, et sans doute encore plus, il y a un fossé entre les
riches et les pauvres – un fossé qui ne cesse de se creuser. Depuis un bon nombre d’années, surtout depuis
l’avancée rapide d’une économie néo-libérale à l’échelle mondiale, ce fossé se
creuse toujours plus, aussi bien au sein de chaque pays qu’entre les pays. Au sein de notre pays, bien peu d’entre nous,
je crois, appartiennent soit aux plus riches soit aux plus pauvres ; mais
nous appartenons tous à un des pays riches, alors que la grande majorité des
pauvres se trouvent en Asie ou en Afrique.
Sommes-nous inconscients,
comme le riche de l’Évangile d’aujourd’hui, ou bien sommes-nous conscients de
toutes les inégalités au sein desquelles nous vivons et dont, sans doute, nous
profitons ? Faisons-nous quelque chose pour y remédier ? Jean-Paul II, parlant à la Tribune des
Nations Unies, il y a 34 ans (2 octobre 1979) faisait allusion à cette parabole
du riche et du pauvre Lazare et concluait qu’il était « urgent de [la]
traduire en termes économiques et politiques, et en termes de droits humains,
de relations entre le premier, le deuxième et le tiers Monde ». François, aussi bien à Lampedusa qu’à
Cagliari, en Sardaigne, a appelé chacun et chacune à travailler pour changer
les structures d’oppression en réseaux de compassion.
Demandons-nous ce que nous pouvons faire et ce que
nous faisons pour traduire ce message de l’Évangile dans notre vie de tous les
jours.
Armand VEILLEUX
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